Une analyse complète des faits, leurs motifs, leurs implications par LE spécialiste argentin du caractère néfaste (pour rester soft) du Pape François. Parmi les raisons et les signes annonciateurs, il y a la volonté de créer une nouvelle église et la nécessité en conséquence de faire table rase de l’ancienne (ce qui n’est pas forcément le but de François lui-même, ce serait un but trop grand pour lui, nous dit The Wanderer); le caractère mesquin et rancunier du pape lui-même, justement, qui règle des comptes pas encore apurés à ses yeux, et qui laisse ainsi, par pure malice, un « cadeau » empoisonné à son successeur; les nominations catastrophiques en cascade de ces dernières semaines, dont celle-ci constitue la suite logique. Mais dans cette nomination, il y a aussi, du (relativement) bon, et même une lueur (inattendue) d’espoir. Elle est tellement excessive, tellement HENAURME qu’elle risque de se retourner contre ses auteurs (au pluriel!!), et ouvre même des perspectives pas si catastrophiques pour le conclave prochain.

Radicaliser à ce point la position ultra-progressiste à ce moment final de son pontificat peut susciter la peur ou activer l’instinct de préservation institutionnelle, même chez les cardinaux qui n’ont aucune sympathie pour l’aile conservatrice mais qui conservent un peu de foi et de raison.

François et Mgr Tucho. Analyse d’une nomination

caminante-wanderer
3 juillet 2023

Il y a quelques semaines, lorsque nous avons appris la nomination de Mgr García Cuerva comme nouvel archevêque de Buenos Aires, j’ai dit sur ce blog que le pape François avait déjà lâché la main de Mgr Tucho Fernández. Un lecteur a posté un commentaire disant qu’en réalité, le Souverain Pontife réservait Tucho pour le poste de Préfet de la Doctrine de la Foi. Je n’ai pas publié ce commentaire parce que je ne publie pas de non-sens. Et au vu de la nouvelle qui nous a réveillés samedi dernier, je dois dire que le lecteur n’avait pas tort, mais moi non plus, car cette nomination est un non-sens ou, mieux encore, une catastrophe.

Le fait mérite d’être analysé sous plusieurs angles.

Si nous nous concentrons sur la personne en question, et sur la base de son parcours public, que j’ai résumé dans l’article précédent, il est clair qu’il s’agit de la personne la plus inadéquate pour le poste auquel il a été élevé.

Mgr Fernandez n’a pas de doctrine et sa foi catholique est plus que douteuse.

La première affirmation est prouvée si l’on s’approche de l’un des exemplaires de son abondante production bibliographique. Nous ne parlons pas ici de son ouvrage le plus connu, El arte de besar (L’art du baiser). Choisissez n’importe lequel de ses autres livres et vous verrez qu’ils sont toujours volumineux et adaptés à la lecture de religieuses âgées et désenchantées ; une sorte d’auto-assistance légère avec une coloration chrétienne. Quant à sa foi, si l’on écoute ce qu’il dit dans ses homélies ou ce qu’il écrit dans la presse, il n’est pas téméraire de douter du caractère catholique de ce qu’il croit. Le cardinal Müller lui-même, en 2016, en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’a qualifié d’hérétique (sogar häretisch). En d’autres termes, c’est un hérétique – selon la qualification du cardinal – qui sera chargé de veiller à l’orthodoxie de la foi catholique. Personne n’aurait pu imaginer une situation plus absurde, ni Mgr Robert Benson, ni Hugo Wast [écrivain argentin, 1883-1962], ni Soloviev, ni Castellani [Leonardo Castellani, écrivain et poéte argentin, 1899-1981]. La réalité, une fois de plus, dépasse la fiction.

Il y a quelques heures, une lettre de Mgr Fernandez a été publiée, dans laquelle il fait ses adieux à ses paroissiens.

Peu croiront à ses propos, mais il faut reconnaître qu’il dit quelques vérités.

Ses proches savaient que le pape François lui avait effectivement fait cette proposition il y a un mois, probablement en même temps que la nomination de Mgr García Cuerva à Buenos Aires, afin d’éviter toute déception. On savait également qu’il prendrait ses nouvelles fonctions en septembre. Mais la prise de fonction a été avancée au mois d’août, ce qui est très étrange car c’est un mois où Rome et le Vatican sont déserts. Certains soupçonnent que c’est parce que François n’arrivera pas au mois de printemps ou d’automne. D’autre part, il est curieux que Mgr Tucho, l’amoureux du pape, ait avoué avec une étonnante naïveté dans sa lettre que le pape s’est arrangé pour qu’il vive dans une petite maison à l’intérieur du Vatican, avec une terrasse et une vue sur les jardins. Il s’agit probablement d’une des petites maisons dans lesquelles les papes de la Renaissance logeaient leurs maîtresses, ce qui n’est pas un bon précédent.

Mais c’est le pape François qui mérite une analyse plus détaillée et plus attentive, des raisons de cette décision et des perspectives qu’elle ouvre pour l’Église.

1- Par cette décision, le souverain pontife tente d’esquisser de manière définitive une nouvelle Église dont le cœur consiste en la négation de l’ancienne. En d’autres termes, la nouvelle Église est la non-Église. La nomination de l’évêque Fernandez lui-même, mais aussi la lettre inhabituelle qui l’accompagne, le montrent clairement. Le pape y déclare explicitement :

« Le dicastère que vous présiderez en d’autres temps en est venu à utiliser des méthodes immorales. Il s’agissait d’époques où, au lieu de promouvoir la connaissance théologique, on poursuivait d’éventuelles erreurs doctrinales. Ce que j’attends de vous est sans aucun doute très différent ».

Un écho à ce que Tucho lui-même avait récemment déclaré dans sa cathédrale de La Plata et que nous avions commenté dans ce blog . Ce que notre ami Ludovicus a si bien défini comme le « cannibalisme institutionnel«  et que nous avons toujours considéré comme un outil pour soutenir la popularité médiatique de Bergoglio, est devenu l’instrument doctrinal passe-partout qui donne lieu à la constitution d’une nouvelle église.(…) Parce que cette nouvelle église doit être l’église du monde moderne, comme vient de le dire l’ami et biographe pontifical Sergio Rubin, elle doit renier la doctrine anti-moderne de l’ancienne église (adultère consenti, homosexualité autorisée, bref, abrogation du sixième commandement) et la seule façon de le faire avec une certaine légitimité est de la discréditer et de montrer l’inéluctable nécessité de ces changements.

2- Il y aurait une autre interprétation, plus basique mais tout aussi possible. Le Pape François est un homme mesquin, plein de rancœurs et de ressentiments, sur la base desquels il prend nombre de ses décisions. Il suffit de revoir les évêques dépossédés de leurs sièges pour constater que, dans le cas des Argentins au moins, une vendetta personnelle se cache toujours derrière. Que ce soit dans les nominations, ou les non-nominations ; le cas de la création cardinalice de l’évêque de San Diego, par exemple, n’était rien d’autre que le signe de son ressentiment à l’égard de l’archevêque de San Francisco, Mgr Cordileone. Dans le cas de Tucho, c’est la même chose. Rappelons qu’il a toujours été, inexplicablement, le chouchou du cardinal Bergoglio, qui a insisté pour le nommer recteur de l’Université catholique d’Argentine. À Rome, cette nomination lui a été refusée à plusieurs reprises parce qu’il n’avait pas l’étoffe et que son orthodoxie était douteuse. Il a fallu deux ans de va-et-vient pour qu’il parvienne enfin à obtenir le poste. C’est pourquoi l’une des premières mesures qu’il a prises dès son accession au pontificat a été de nommer le père Tucho archevêque in partibus. C’était sa façon de faire payer à la Curie les souffrances qu’elle lui avait infligées. Il l’a ensuite transféré au siège de La Plata pour remplacer l’évêque Héctor Aguer, un ennemi déclaré et public de Tucho et de Bergoglio lui-même, qui les surpassait de loin en compétences théologiques. Ce sont les rancœurs papales qui ont été satisfaites par ces promotions totalement imméritées. Enfin, il l’a nommé à la Doctrine de la foi, jusqu’à récemment occupée par le cardinal Müller, qui avait publiquement accusé Mgr Fernandez d’être un hérétique et s’était à plusieurs reprises durement opposé à François.

Il est probable que le Souverain Pontife n’a pas agi dans le but d’établir une nouvelle église, un objectif très maléfique mais en même temps très élevé pour un petit esprit comme le sien, mais simplement pour satisfaire, avant de mourir, une autre de ses rancœurs. Il se vengeait par ailleurs du coup que lui avait porté le cardinal Re, il y a quelques mois, lorsqu’il avait voulu nommer Mgr Wilmer à la Doctrine de la Foi et qu’il en avait été empêché par le doyen du Collège des cardinaux.

3- L’Église a subi de nombreux mauvais papes au cours des siècles. L’un d’eux, durant « les Années de fer » [Años de Hierro – ?], pouvait jeter un cardinal rebelle du toit du Château Saint-Ange ; un autre, à la Renaissance, pouvait empoisonner sa maîtresse ; et un autre, au XIXe siècle, pouvait s’allier à Napoléon. Bergoglio a suivi toutes ces voies avec plus d’élégance : il a déchu des cardinaux indociles (Burke et Müller, par exemple) de leur poste et les a laissés flotter dans le vide, et il s’est allié avec les pires personnages d’aujourd’hui, de Fidel Castro à Hillary Clinton. Mais le mal entièrement nouveau de ce pontificat est d’avoir fait de l’Église son principal ennemi. Il ne s’agit plus seulement de persécuter des évêques, d’emprisonner des cardinaux ou d’empoisonner des maîtresses, mais de tenter sans complexe de mettre fin à deux mille ans d’Église catholique, ou bien de la rénover de telle sorte qu’elle ne ressemble plus du tout à celle qui l’a précédée. Il ne s’agit plus de se venger de ses fidèles porteños en nommant Mgr García Cuerva, ou du cardinal Cipriani en nommant Mgr Castillo Mattasoglio. Il s’agit de se retourner contre l’Église elle-même. Une sorte de maladie auto-immune ; une sorte de VIH qui est déterminé à détruire tout le système immunitaire du corps ecclésial par la confusion, de sorte que n’importe quelle maladie puisse entrer et tuer l’organisme.

4- Ces dernières semaines, nous avons eu une tempête de nominations catastrophiques : Buenos Aires, Madrid, Bruxelles et maintenant la Doctrine de la Foi. Et il ne serait pas du tout étrange que, dans quelques jours, on annonce un consistoire au cours duquel ces personnages, et d’autres du même acabit, seront créés cardinaux. C’est la manifestation de ce dont on parle de plus en plus : le pape François vit ses derniers jours et cherche à ce que tout ce qu’il a fait durant son pontificat soit « ficelé et bien ficelé ». Mais nous savons combien de temps ont duré les nœuds que le pauvre Francisco Franco avait noués lorsqu’il a prononcé cette phrase en 1969.

5- Mgr Tucho Fernández à la Doctrine de la Foi est un « petit cadeau » que François laisse à son successeur, surtout lorsqu’il devra affronter les débats et les résultats du synode sur la synodalité. Rappelons que lors des synodes précédents, comme celui sur la famille, Bergoglio a dû faire face à l’opposition farouche de nombreux cardinaux. Aujourd’hui, il a ouvert la voie à l’opposition et tout se passera bien. Compte tenu des positions publiques de l’évêque Fernandez, il ne serait pas étrange qu’il soit lui-même le champion des propositions de changements plus radicaux pour parvenir à une église pour tous, toutes et tous [todos, todas y todes… s’agit-il d’une allusion « genrée »?], mais surtout pour todes.

6- Et pourtant… cette nomination pourrait être une maladresse du Pape François. Il est bien connu qu’en politique, lorsque les positions sont extrêmes, le centre tend à triompher.

Radicaliser à ce point la position ultra-progressiste à ce moment final de son pontificat peut susciter la peur ou activer l’instinct de préservation institutionnelle, même chez les cardinaux qui n’ont aucune sympathie pour l’aile conservatrice mais qui conservent un peu de foi et de raison. Les nominations agressives de ces derniers temps, et les politiques du même ordre qui sont censées les accompagner, ne seraient couronnées de succès que si le pape François avait encore de nombreuses années de pontificat ou si l’ensemble de l’appareil ecclésial était « bien ficelé ». C’est ainsi que le régime soviétique a survécu si longtemps : même dans le dernier village de l’URSS, des commissaires politiques totalement alignés sur le Kremlin veillaient à l’exécution des ordres du politburo. Ce n’est pas le cas dans l’Église catholique, où les évêques et les prêtres sont très irrités par le pape François, et beaucoup d’entre eux attendent l’émergence d’un leadership qui leur permettra de s’opposer. Pour cette même raison, et peut-être naïvement, je reste modérément optimiste quant au prochain conclave ; je ne m’attends pas à des changements majeurs, mais je ne m’attends pas non plus à ce qu’une réplique de Bergoglio soit élue.

7- La nomination pourrait également être un échec. Mgr Fernandez ne possède pas une intelligence de premier ordre, ni même l’habileté politique qui caractérise son protecteur. Il suffit de le laisser parler, et ses propos ne seront plus seulement reproduits dans quelques médias d’un pays marginal comme l’Argentine, mais seront entendus et lus dans les plus hautes sphères catholiques. Il ne serait pas étrange qu’il ait quelques faux pas scandaleux et que le successeur de François y trouve l’excuse propre et élégante pour le relever de ses fonctions sans avoir à attendre le mandat de cinq ans. Et il ne serait pas étrange non plus que dans les prochains jours apparaissent quelques dossiers [carpetazo], ce que nous, Argentins, savons faire (si l’on en croit l’expression).

8- Dans son commentaire de la semaine dernière, le Père Santiago Martín a parlé de « catholiques déracinés » en commentant un livre récent du même nom écrit par Aldo Maria Valli et Aurelio Porfiri. Et il faisait référence à nous tous qui ne nous sentons plus chez nous dans cette nouvelle église de Bergoglio, nous qui nous sentons « déracinés », nous qui devons chaque jour faire face à des nouvelles douloureuses pour la foi des apôtres que nous professons. Nous voyons qu’il y a des miséricordes pour tous, sauf pour nous. « Souffrir ou s’en aller, c’est ce que nous disent François, Tucho et les leurs. Sont-ce les souffrances qui ont été prophétisées ?

9- Enfin, on peut tirer quelque chose de bon de tout cela.
En premier lieu, Bergoglio a définitivement tué le néoconisme [l’idéologie neocon, ndt], ou la « ligne du milieu ». Ce n’est plus un lapsus, ce n’est plus une question d’interprétation des faits, si la nomination de Mgr Fernandez a même été accompagnée d’une lettre pour dissiper les doutes à ce sujet ! Il n’est plus possible de rester au milieu et de continuer à défendre l’indéfendable.

Et, deuxièmement, Bergoglio a aussi assassiné le papalisme, le magistérialisme si cher à certains et l’idée délirante d’un pontife conçu comme une hypostase de l’Esprit Saint, si chère à l’ultramontanisme.

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