Le philosophe-journaliste-essayiste italien fièrement de droite, consacre son dernier éditorial aux émeutes des banlieues en France. Mais attention, bien que sa réflexion parte d’une situation bien française, et de l’hostilité qu’une vaste frange de l’opinion publique chez nous nourrit envers Macron, sa réflexion ne concerne pas tant la France que l’ensemble de l’Europe: c’est le constat de l’échec du « modèle français » (pas seulement le modèle d’intégration, mais celui des alliances politiques et de la marginalisation d’une certaine droite qualifiée chez nous d’extrême). Plutôt que de jouer le derby riches/pauvres ou celui « de souche »/ « allogènes », il suggère une troisième voie, intéressante mais difficile, respectueuse de tous, qui ferait la part belle à l’identité de chacun. Chiche!

Existe-t-il un moyen de lutter contre le mal français ?

Marcello Veneziani
La Verità
6 juillet 2023

Le mal [en français dans le texte] français. Nombreux sont ceux qui en souffrent, et pas seulement en France ; c’est aussi le cas chez nous et dans toute l’Europe.

En résumé, on pourrait dire que le modèle d’intégration français ne fonctionne pas, et ce depuis longtemps. Révoltes, malaise généralisé, crise de rejet, terrorisme : la deuxième vague du fanatisme islamiste, qu’il porte le nom de Daesh ou d’Isis, est principalement d’origine française. La France est une poudrière, et pas seulement sur la question des migrants, mais, comme on l’a vu ces dernières années, sur de nombreuses questions sociales et économiques, des gilets jaunes aux agriculteurs, des retraités aux jeunes et à toute une série de revendications qui ont longtemps effiloché le tissu français.

Face à une société en ébullition, la France est dirigée par un président impopulaire, étranger à l’histoire française et à la réalité populaire, détesté par les autochtones et les migrants. Macron ne tient que parce que le vote dispersé entre la droite de Le Pen, les modérés et la gauche radicale n’est pas combinable. Mais les deux tiers des Français et même davantage ne veulent pas de lui.

Face à ces affrontements, la première chose qui se produit est la radicalisation : les islamistes entraînent une partie des immigrés modérés et une frange de la gauche qui, au nom du malaise socio-économique, épouse la révolte des banlieues. Et d’autre part, la violence, les attaques contre la police, les biens et l’ordre public élargissent le front [sic!] national de Marine Le Pen, le premier parti in pectore de la République française (elle a beaucoup changé au fil des ans par rapport à la configuration d’origine).

Ainsi, le mal français devient la bombe à retardement posée en Europe.

Arrive Matteo Salvini, qui applique au niveau européen ce qui fut la stratégie gagnante de Berlusconi en Italie : les modérés s’allient aux radicaux, à l’époque droite nationale et leghisti [de la Ligue], les Populaires [présumés de droite!!] font front avec les populistes, contre la gauche et les « pouvoirs forts » [sauf que les populaires sont une émanation des « pouvoirs forts »!! ndt].

Impeccable sur le plan linéaire de la logique politique mais explosif sur le plan des alliances. On sait qu’une telle alliance gagnerait en Europe, aurait une large majorité à l’europarlement et porterait Le Pen, ou qui que ce soit, à l’Elysée.

Mais est-ce faisable ? Est-il possible que les Populaires, toujours alliés aux Socialistes au Parlement européen et participant de longue date à ce Centre gauche qui est la formule de gouvernement de l’Europe, malgré le virage à droite dans presque tous les pays européens, et qui est la traduction politique de l’establishment, acceptent ce changement d’alliance ?

Difficilement. Tout au plus peuvent-ils dire comme Antonio Tajani [membre fondateur de Forza Italia et président du Parlement européen du 17 janvier 2017 au 3 juillet 2019] que l’alliance entre partis populaires et conservateurs, disons entre Von Der Leyen et Meloni, peut se faire, même en agrégeant d’autres forces, mais en écartant la droite lepéniste française et la droite allemande. Vous, Matteo, vous pouvez entrer, vos amis franco-allemands ne le peuvent pas, dit Tajani.

Meloni, quant à elle, ne le dit pas, parce qu’elle sait que si elle se range du côté de Salvini, elle perd son rôle de ciment européen, elle fait sauter la trêve de voisinage avec Macron, elle risque d’avoir des problèmes, et pas seulement en Europe, bien qu’avec un grand consensus populaire. Et inversement, si elle choisit la ligne de Tajani, elle se heurte à Salvini et affaiblit son gouvernement, se met à dos une bonne partie de son électorat, creuse le fossé avec la droite européenne, après avoir déjà pris ses distances avec la Hongrie et la Pologne.

Bref, le mal français risque d’ébranler l’Europe. Et de déchirer la droite entre une position cohérente et populaire et une position prudente, appréciée par l’establishment mais pas par le peuple.

Alors, quelle voie emprunter ? J’essaie d’indiquer une troisième voie : quand deux raisons stratégiques valables conduisent dans des directions opposées, au lieu de céder à l’une et de nier l’autre, il vaut mieux changer la donne et revenir à la réalité.

Ainsi, prenons le mal français de ces jours-ci : sommes-nous sûrs qu’il suffit de répondre par des mesures policières et des rapatriements massifs (impossibles, désormais) d’immigrés ? Ou à l’inverse que tout se résoudra en « écoutant » les insurgés, en répondant à leurs demandes ? N’est-il pas possible d’essayer de faire les deux, et surtout de monter d’un cran dans l’analyse et la stratégie ?

Je m’explique. Il ne sert à rien de jouer le derby français-islamistes ou riches-pauvres en prenant parti.

Le thème sous-jacent est qu’une société libérale et capitaliste dans sa pratique, progressiste et inclusive dans ses préceptes, ne parvient pas à gouverner les sociétés et à garantir les Européens et les migrants. Il faut un modèle social, national, européen, centré sur l’identité et la primauté des peuples sur les oligarchies d’en haut et le consumérisme d’en bas, dans lequel on propose un pacte de citoyenneté, une intégration des droits et des devoirs, une synthèse du patriotisme et de la politique sociale. Et la renaissance d’une identité nationale, européenne, chrétienne, non contre l’identité des autres.

Contre les islamistes, deux lignes continuent d’être suivies, à tort et à travers : la ligne de ceux qui ont honte de leur propre civilisation et en effacent les symboles pour se rendre plus accueillants. Et la ligne de ceux qui brûlent le Coran, parce qu’à l’intolérance, on répond par l’intolérance.

La vraie démarche est de respecter toutes les identités et toutes les religions, mais en commençant par la sienne ; et d’accepter l’identité des autres tant qu’elle n’est pas en conflit ouvert avec la loi et les coutumes européennes.

D’où une ligne précise : d’une part, défendre l’ordre public sans hésitation, freiner les flux migratoires car nous avons déjà atteint, comme on le voit en France, le surbooking, et la situation devient incontrôlable ; promouvoir les politiques de natalité et favoriser les choix identitaires et les cultures traditionnelles. D’autre part, garantir les pleins droits à ceux qui acceptent des obligations et des devoirs et reconnaissent qu’ils se trouvent dans un pays d’une autre tradition, avec tout ce que cela implique ; lancer des politiques sociales avancées, adopter de nouvelles chartes du travail, privilégier les intérêts publics, populaires, nationaux par rapport aux intérêts privés et à la logique du profit en général.
Et sur un tel programme, proposer aux Populaires d’un côté et aux lepénistes de l’autre, une possible entente « asymétrique ».

Facile à dire, très difficile à faire. Mais les leaders, ce sont ceux qui savent tracer de nouvelles voies. Si cette voie n’est pas tentée, le mal français l’emportera et il ne restera plus qu’à féliciter ceux qui brûlent ou à se consoler en brûlant le Coran.

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