Mgr Aguer est l’archevêque émérite de La Plata, siège qu’il a dû quitter précipitamment en 2018, à peine révolus les 75 ans canoniques, pour faire place à Tucho Fernandez (détails ici: Tucho Fernandez: chronique d’une ascension inarrêtable. Voir aussi benoit-et-moi.fr/2019/actualite/limogeage-express). Ici, dans ce texte daté du 4 juillet, il commente l’Instrumentum Laboris du Synode. On peut imaginer ce qu’il pense de la nomination de son vieil adversaire à la DDF, et de la liste des participants au Synode!
Mais ce qui frappe dans ces lignes (qui ne correspondent plus à l’actualité stricte au sens médiatique du terme et ne constituent pas une surprise, venant de lui) c’est la puissante réflexion que j’ai mise en exergue et qui est à méditer longuement dans la perspective d’un prochain conclave.
Heureusement, Mgr Aguer étant émérite, il n’a plus rien à perdre.

Dans la sphère mystérieuse de la Providence divine se trouve le jeu des causes secondes, qu’elle ordonne selon des desseins impénétrables.

Dans la Providence se manifestent la justice et la miséricorde. Ladite Providence, donc, inclut la dialectique des causes secondes, et l’on peut dire ainsi qu’elle permet le mal.

.

Les desseins des auteurs du synode sont ces causes secondes, libres de faire le mal.

.

Je reconnais et je vénère François comme le successeur de Pierre, le vicaire du Christ. Mais François reste Jorge Bergoglio. Or, je connais Jorge Bergoglio depuis quarante-cinq ans. C’est une « cause seconde ».

Jeter le caillou et cacher la main. Le prochain synode et la nouvelle église

Stupéfaction. C’est le mot qui me monte aux lèvres après avoir lu les cinquante pages de l’Instrumentum laboris pour le synode programmé « démocratiquement » depuis 2021.

La Prensa, de Buenos Aires, titre : « Le Vatican a publié l’épineuse road map du prochain synode ». Le document souligne le « besoin profond d’imiter notre Maître et Seigneur dans la capacité de vivre un paradoxe apparent : proclamer agressivement son enseignement authentique, et en même temps servir de témoin pour l’inclusion et l’acceptation radicale ».

Quelle imitation agressive et paradoxale du Christ ! Il s’agit d’une approche inhabituelle : l’Église synodale formule une glose progressiste sur l’Évangile.

L’Instrumentum laboris illustre comment l’Agenda 2030 mondialiste peut être reçu au niveau ecclésial. Il est admirable de voir comment la monarchie papale fait dire à la « démocratie synodale » ce qu’elle veut que cette « démocratie » dise. C’est comme lancer un caillou et cacher sa main.

L’itinéraire de la future assemblée, déjà en préparation depuis deux ans, fait parler et voter la « foule », en particulier et de façon nouvelle, les femmes. C’est à cela que je faisais allusion avec l’exemple bien connu du caillou. Lorsque le projet de cette autre église sera achevé, le Souverain Pontife, face aux critiques qui ne manqueront pas, pourra dire : « Ce n’est pas moi qui l’ai fait ! »

Reprenant le chemin parcouru depuis 2021, le document aborde la question d’une nouvelle ecclésiologie : la synodalité. Une digression : « synode » signifie « marcher avec » (du grec syn et hodós) mais ne dit pas vers où. La destination peut donc être la nouvelle Église progressiste, hétérogène par rapport à la grande Tradition ecclésiale. Et allons-y tous ensemble.

L’un des sujets à l’ordre du jour, qui attire immédiatement l’attention, est « comment l’Église peut être plus sensible aux personnes LGBTQ+ ». Il convient de noter que l’expression « personnes ayant des tendances homosexuelles », qui figure dans plusieurs documents romains et dans le Catéchisme de l’Église catholique, n’est plus utilisée. Le nom d’autres « collectifs » qui se sont sentis marginalisés ou ignorés n’est pas non plus mentionné. Il est toujours indiqué que les pauvres « occupent une place centrale » ; de nouveaux domaines sont introduits, tels que le changement climatique et les mouvements migratoires, auxquels il est souvent fait référence dans la prédication papale.

Le synode prévu sera composé de 75 % d’évêques et de 25 % de laïcs, dont des femmes, qui auront le droit de s’exprimer et de voter. Si je lis bien, il me semble que les prêtres sont ignorés, ce qui est très surprenant et indique que leur nombre ne cesse de diminuer dans tous les diocèses. Les vocations sacerdotales ne sont plus une priorité. Une fois de plus, « le temps des laïcs est venu ».

Le texte poursuit en soulignant que

« certaines personnes ne se sentent pas acceptées dans l’Église, comme les divorcés et les remariés, les personnes vivant dans des mariages autrefois définis comme irréguliers, ou les personnes LGBTQ+, et il existe des formes de discrimination raciale, ethnique, de classe ou de caste qui conduisent certains à se sentir moins importants ou moins bien accueillis dans la communauté ».

L’objectif du dépassement est ainsi formulé :

« Comment pouvons-nous créer des espaces où ceux qui se sentent blessés par l’Église et rejetés par la communauté peuvent se sentir reconnus, non jugés et libres de poser des questions ? Et quelles sont les mesures concrètes à prendre pour atteindre les personnes qui se sentent exclues de l’Église en raison de leur affectivité et de leur sexualité ? »

Telles seront les questions que posera l’assemblée synodale. Je me risque à une interprétation : la vérité objective et la reconnaissance de préceptes par lesquels la vertu et le péché sont jugés et reconnus ne comptent plus. Ce qui compte maintenant, c’est le sentiment de ceux qui se considèrent comme exclus ; c’est leur sentiment, pas l’état objectif dans lequel ils se trouvent.

Un autre point clé est la nécessité d’

« affronter la participation des femmes à la gouvernance, à la prise de décision, à la mission et aux ministères à tous les niveaux de l’Église, en s’appuyant sur des structures adéquates, afin que cela ne reste pas une simple aspiration générale ».

Comme on peut le constater, le programme n’ose pas parler d’un éventuel « sacerdoce féminin ». Cette remarque spécifique sur les « structures adéquates » renvoie aux aspirations bien connues à un changement structurel. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’Église catholique commence tardivement à suivre la voie ouverte par la Réforme protestante, alors que le protestantisme a depuis longtemps été englouti par le monde.

C’est le moment de citer ce qu’un luthérien danois et grand philosophe chrétien, Soren Kierkegaard, écrivait dans son Journal en 1848 : « Au moment où l’on parle de réorganiser l’Église, on voit bien le peu de christianisme qu’il y a en elle » (IX A 264). Sur la même page, il parle de la « malheureuse illusion du christianisme, qui remplace le fait d’être chrétien par le fait d’être humain ».

C’est cette funeste illusion qui trompe l’Église catholique aujourd’hui. Le programme du synode, comme celui du synode allemand, dessine une autre église, hétérogène par rapport à la grande et unanime Tradition.

Comment les catholiques fidèles vont-ils réagir ? Heureusement, dans plusieurs pays, une réaction souvent qualifiée de « conservatrice » par le progressisme officiel se dessine déjà.

La Providence de l’Époux et Seigneur de la katholiké inspire et illumine cette contemporanéité avec le Christ qui exprime l’accomplissement de la promesse évangélique : « Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Le texte grec dit : « jusqu’à la synteléias [συντέλεια] du cosmos ».

La formule « fin du monde » est une traduction ambiguë ; l’ « accomplissement » est la réalisation de l’Histoire, selon les plans mystérieux de la Providence.

Dans la sphère mystérieuse de la Providence divine s’inscrit le jeu des causes secondes, qu’elle ordonne selon des desseins impénétrables. Dans la Providence se manifestent la justice et la miséricorde. Ladite Providence, donc, inclut la dialectique des causes secondes, et l’on peut dire ainsi qu’elle permet le mal.

Les desseins des auteurs du synode sont ces causes secondes, libres de faire le mal.

Comment osé-je m’exprimer en ces termes ? Je reconnais et je vénère François comme le successeur de Pierre, le vicaire du Christ. Mais François reste Jorge Bergoglio. Or, je connais Jorge Bergoglio depuis quarante-cinq ans. C’est une « cause seconde ». Cela explique ce qui a été dit, et aussi beaucoup plus que ce qui pourrait être dit.

+ Hector Aguer
Archevêque émérite de La Plata
4 juillet 2023

Mots Clés :
Share This