Suite à la publication des noms des cardinaux qui seront créés au prochain consistoire, le directeur de Crux (un média online que je définirais comme le clone américain de La Croix) se livre lui aussi au jeu des pronostics.
Ici, l’auteur est presque plus intéressant que les faits qu’ils raconte, (très) à sa façon.

Avec la désinvolture qui est sa marque, la star (??) des vaticanistes américains propose une short list de quatre papabili, et à l’exception de Tucho, son critère de sélection est uniquement politique. A la place de ces quatre hommes, s’ils sont vraiment intéressés par le job, je m’inquiéterais: John Allen est connu pour ses « talents » de pronostiqueur (voir annexe).

On retiendra malgré tout son analyse d’un collège électoral en grande partie issu des périphéries donc éclaté, et peu informé des arcanes du Vatican. C’est très bien vu, et ce sera un facteur déterminant pour le futur conclave.

La nouvelle fournée de cardinaux du pape est pleine à craquer de successeurs possibles


John Allen
Crux Now

ROME – Bien qu’il s’agisse d’une comparaison quelque peu désinvolte, chaque consistoire, événement au cours duquel un pape crée de nouveaux cardinaux, est un peu comme les caucus de l’Iowa dans la politique américaine – c’est-à-dire qu’il s’agit d’une occasion pour les nouveaux candidats au poste le plus élevé du système de se présenter.

Officiellement, les cardinaux sont les principaux conseillers du pape qui les a créés et, bien entendu, ils choisiront un jour son successeur.

Cependant, ils représentent également le champ des candidats potentiels pour devenir ce successeur. Chaque fois qu’un consistoire a lieu, la liste est donc examinée à la loupe pour y trouver des indications non seulement sur ce que les cardinaux recherchent, mais aussi sur l’identité de leurs candidats.

Naturellement, l’identification des « papabili », c’est-à-dire des candidats à la succession du pape, est une science inexacte. Personne ne crée de comité d’évaluation [exploratory commitees], ou ne fait d’annonces de campagne fracassantes.

En fait, si vous demandiez à la grande majorité des prélats qu’on a faits papes avant leur élection s’ils se considéraient comme des candidats, ils le nieraient mordicus – et certains d’entre eux seraient même sincères.

C’est dans ce vide que s’engouffre une catégorie de l’humanité aux contours mal définis connue sous le nom de « Vatican-watchers » [« vaticanistes »], ce qui signifie souvent des personnes qui disent tout haut ce que les autres pensent et ne disent que « sotto voce » (« à voix basse », [note de Allen]).

Alors, que font les Vatican Watchers des 21 nouveaux cardinaux annoncés par le pape François, dont 18 âgés de moins de 80 ans, qui participeront à l’élection du prochain pape ?

Trois observations essentielles s’imposent.

Premièrement, il est tentant de croire qu’en nommant près des trois quarts des cardinaux qui éliront son successeur, François a augmenté les chances que le prochain pape lui ressemble.

Comme le dirait Lee Corso sur ESPN [Lee Corso est consultant sur la chaîne américaine de sport ESPN, ndt] « Pas si vite ! ».

En vérité, en raison de la prédilection de François pour nommer des cardinaux issus des périphéries, une part importante de l’électorat du prochain conclave sera composée de prélats aux profils extrêmement discrets (low profiles), dont les perspectives et les désirs pour le prochain pape sont presque impossibles à cerner.

Récemment, Crux a eu l’occasion de s’entretenir de manière informelle avec l’un des cardinaux périphériques de François, créé lors d’un précédent consistoire, qui se trouvait à Rome pour une affaire. Lorsqu’il a été question des controverses entourant le cardinal désigné Victor Manuel Fernández, le principal conseiller théologique du pape, il était clair que ce cardinal était déconcerté et un peu troublé par ce que tout cela pouvait signifier.

Bien que cela ne soit pas concluant, cela suggère que toute prévision sur le résultat d’une élection dans laquelle une grande partie des électeurs sont essentiellement des inconnus, se résume à des exercices de conjecture. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’en 2013, un corps de cardinaux entièrement composé de personnes nommées par Jean-Paul II et Benoît XVI a néanmoins élu François.

Papabili
Papabili
De gauche à droite: Víctor Manuel Fernández; Claudio Gugerotti; Christophe Pierre; Pierbattista Pizzaballa ; Agostino Marchetto

Deuxièmement, ce consistoire est exceptionnellement riche en « papabili ». D’après mes calculs, il y en a au moins quatre. Les voici, accompagnés d’un résumé en une phrase de l’argument en leur faveur.

  • Fernandez : Comme le cardinal Joseph Ratzinger l’a été pour Jean-Paul II, Fernandez serait l’héritier logique de l’héritage doctrinal de François.
  • L’archevêque italien Claudio Gugerotti : Le prochain pape héritera d’un scénario géopolitique dominé par les conséquences de la guerre russe en Ukraine, et peu de personnalités parmi les cardinaux actuels connaissent mieux la sphère russe et les églises orthodoxes.
  • L’archevêque français Christophe Pierre : Actuel ambassadeur du pape aux États-Unis, Mgr Pierre serait la substance de la papauté de François, mais avec un degré de prudence diplomatique beaucoup plus grand en ce qui concerne ce qu’il dit à haute voix.
  • L’archevêque italien Pierbattista Pizzaballa : ayant navigué habilement dans le conflit israélo-palestinien en tant que patriarche de Jérusalem, l’apaisement des tensions d’une Église catholique divisée pourrait être une promenade de santé.

Troisièmement, il y a un choix très remarquable parmi les cardinaux dits « honoraires », c’est-à-dire ceux qui ont plus de 80 ans et ne peuvent donc pas participer au prochain conclave : l’archevêque italien Agostino Marchetto, ancien secrétaire de l’ex-Conseil pontifical pour les migrants et les réfugiés, mais plus connu pour ses études historiques sur le concile Vatican II.

Ce qui rend cette nomination vraiment remarquable, c’est que Marchetto est connu pour défendre une herméneutique de la continuité vis-à-vis de Vatican II, autrement dit le concile n’a pas marqué de rupture avec l’Église avant le milieu des années 1960. En un mot, il est considéré comme un historien plus « conservateur », croisant souvent le fer intellectuellement avec « l’école de Bologne » en Italie et sa lecture progressiste du concile, que François a ratifiée en élevant une série d’hommes d’église associés à cette perspective, y compris l’actuel archevêque de Bologne, le cardinal Matteo Zuppi.

Que signifie donc le fait que François ait offert une sorte de sceau d’approbation papale à Marchetto ?

Il convient de préciser que le service de Marchetto au Vatican était consacré aux migrants et aux réfugiés, une préoccupation particulière de François. Mais plus généralement, il est probablement juste de dire que pour un pape dont le nouveau mot à la mode est « synodalité », qui signifie en gros dialogue et consultation, ce n’est pas une mauvaise chose d’être perçu comme ouvert à un homme d’église associé à des points de vue différents.

Bien sûr, il est également juste de souligner que François a attendu que Marchetto ait plus de 80 ans, et donc qu’il soit hors-course pour participer à la prochaine élection papale, avant de lui accorder cet honneur.

En d’autres termes, il s’agit d’un certain équilibre… d’une inclusion, mais pas d’une influence.

Quelle que soit la manière dont on le présente, il s’agit d’un consistoire captivant et lourd de conséquences. Et le fait est qu’il ne s’agit en réalité que d’un échauffement pour le drame qui suivra le lendemain, lorsque le rideau se lèvera sur le premier des deux synodes des évêques de François sur la synodalité.

On peut dire ce que l’on veut de la papauté de François, mais nous devrions tous être d’accord sur ce point : Il n’a jamais été ennuyeux, pas même un seul instant.

Annexe

Voilà ce que j’écrivais de John Allen en 2011
12 ans après, je ne suis pas mécontente de moi… Je ne retrancherais pas une ligne à ce que j’écrivais alors, et que l’article d’aujourd’hui (qui ne manque d’ailleurs pas d’intérêt) illustre à la perfection

Entre 2007 et 2009, j’ai traduit beaucoup d’articles du vaticaniste de National Catholic Reporter, John Allen (un petit résidu amusant ici: Commérage de vaticaniste) . Il suffit de regarder ici pour s’en convaincre.
Mettons que c’était une sorte de défi que je m’étais fixé. D’une certaine façon, je ne le regrette pas, car j’ai appris ainsi pas mal de choses.

John Allen est ce visionnaire qui dans un livre datant de 2000 (A biography of Joseph Ratzinger, réédité après l’élection sous le titre Pope Benedict XVIavait dressé la liste des 10 raisons pour lesquelles « the enforcer of the faith » ne pourrait jamais devenir pape!!

Il serait inélégant de déballer aujourd’hui la liste de mes critiques, et ce n’est pas l’endroit. Je persiste à trouver que John Allen est en général un professionnel plutôt compétent, mais aussi, malheureusement – à côté d’autres défauts que je serais mal placée de lui reprocher – absolument pas un croyant, et que donc la vision surnaturelle de l’Eglise et du Pape lui échappe totalement. Pour lui, l’Eglise est une multinationale comme IBM, « BXVI » le PDG, et lui-même n’a que le mot PR (public relation) à la bouche. La composition du Sacré Collège se réduit à des diagrammes et des compilations de chiffres. Bref, selon moi, il a tout faux. Il n’est ni historien, ni théologien. Il n’est que journaliste. Et c’est regrettable, car son influence dans les médias américains (il collabore à CNN) le désigne comme « faiseur d’opinion » redoutable dans son pays, dans le domaine légèrement ésotérique, selon lui, de l’Eglise catholique.

(…)

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https://benoit-et-moi.fr/2011-I/0455009e5f0781801/0455009e7208bef01.html
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