Le point d’interrogation est entre parenthèse, car il est de pure forme. François s’acharne à démolir méthodiquement tous les pans de l’édifice-Eglise, et le pan Eglise-institution n’échappe pas à sa fureur destructrice. Andrea Gagliarducci consacre sa chronique hebdomadaire à deux faits: l’un récent (les présumées initiatives papales en faveur de la paix en Ukraine, avec la « mission » confiée au « saint-egidien » cardinal Zuppi, sans grand succès pour le moment, on pourrait presque parler de bide); l’autre sur le plus long terme, le procès actuellement en cours autour de présumées malversations financières liées à la vente de l’immeuble de Sloane Avenue, à Londres, mettant en cause le cardinal Becciu (en réalité cardinal « réduit de moitié ») et qui, en mélangeant malencontreusement le droit pénal et celui canonique, la morale et la loi, risque d’affaiblir la crédibilité du Saint-Siège comme sujet de droit international. Dans les deux cas, c’est le rôle du Saint-Siège en tant qu’entité garantissant l’indépendance de l’Eglise du pouvoir temporel qui est remis en cause. Le Pape agit en solo, pour le seul bénéfice de son image, privilégiant les initiatives personnelles sur les initiatives institutionnelles. Bref, on en est « au dernier chapitre d’une opération qui vise à changer l’institution en profondeur ». Mais après lui?

Le pape François, l’avenir du Saint-Siège

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-future-of-the-holy-see
24 juillet 2023

Le vrai problème de l’Église après le pape François ne sera peut-être pas la doctrine, la perte d’une figure charismatique comme le pape ou la gouvernance de l’Église. Le vrai problème sera peut-être l’affaiblissement du Saint-Siège, l’institution appelée à garantir la liberté des fidèles dans le monde entier et le rayonnement international du pape, et qui n’a jamais été aussi endommagée et menacée qu’aujourd’hui.

En particulier, deux situations mettent en évidence ce danger. La première, la plus évidente, est représentée par le processus judiciaire qui se déroule actuellement au Vatican. Le procès s’articule autour de trois volets d’enquête, le principal étant l’investissement de la Secrétairerie d’État dans un immeuble de luxe à Londres. Selon les accusations, l’investissement a été réalisé de manière frauduleuse et contre l’intérêt de la Secrétairerie d’État. Liée à cette tendance, une autre concerne la destination de certains fonds de la Secrétairerie d’État en Sardaigne alors que l’actuel cardinal [??] Angelo Becciu était le substitut de la Secrétairerie d’État, et l’embauche par la Secrétairerie d’État d’une soi-disant experte en renseignement [intelligence], Cecilia Marogna, qui aurait détourné à son profit de l’argent destiné à des initiatives de médiation.

Le procès a atteint l’heure de la sentence, prévue dans six jours. Mais dès les trois premiers jours de la procédure judiciaire, sous la houlette du promoteur de justice Alessandro Diddi, le procureur du Vatican, tous les problèmes structurels de la procédure sont devenus évidents.

Diddi a voulu souligner dès le départ qu’il ne s’agit pas d’un procès contre la Secrétairerie d’État, mais contre des fonctionnaires qui auraient mal agi. Mais chaque étape de la présentation est une mise en accusation du système dirigé par la Secrétairerie d’État. Indirectement, c’est aussi l’indépendance de la Secrétairerie d’Etat, affaiblie ces dernières années, qui est niée. Les structures financières qui, malgré leurs limites, ont permis au Saint-Siège de survivre, sont remises en question.

En pratique, un prétendu comportement corrompu devient le prétexte à la remise en cause de tout un système vatican qui s’est toujours distingué, entre autres, par le maintien de deux sphères distinctes. D’une part, le Saint-Siège ; d’autre part, l’État de la Cité du Vatican. Et, d’une part, le droit canonique, qui dans tous les cas est un point de référence, et d’autre part, la direction de l’État, qui n’est pas moralisante mais travaille sur les faits.

Ce processus a tout mélangé. Le pape y est intervenu avec quatre rescrits, exerçant pleinement les prérogatives d’un pape-roi qui, au fil des ans, s’étaient quelque peu assoupies – à tel point que Jean-Paul II a confié le gouvernement de l’État de la Cité du Vatican à une commission de cardinaux. Le promoteur de la justice a défini les crimes sur la base du droit canonique, introduisant subrepticement le droit canonique dans une procédure pénale du Vatican. Le crime devient un problème moral plutôt que pénal. Il y a un risque de dérive vers l’éthique dans les rapports avec l’État, ce que le Saint-Siège a toujours cherché à éviter.

Le recours au droit canonique donne corps à des accusations qui sinon ne pourraient exister. Les interrogatoires de ces derniers mois ont montré que de nombreuses procédures étaient légitimes, que de nombreuses décisions s’inscrivaient dans les règles de l’époque et que de nombreux choix étaient dictés par des nécessités qui dépendaient du cadre juridique, des contrats signés et du risque de s’empêtrer dans l’arène internationale. Mais si tout renvoie à l’obligation morale d’un bon père de famille, tout peut éventuellement devenir un délit. Et c’est probablement ainsi que se construit le dossier du procureur.

Au-delà des problèmes internationaux que cela a déjà entraîné au niveau de la crédibilité du Saint-Siège, quel sera l’impact d’un processus géré de cette manière sur l’influence du Saint-Siège ? Comment le pape pourra-t-il parler de procédure régulière face à une telle situation ? Et comment le Saint-Siège peut-il être un organe fiable si la monocratie institutionnelle existe dans son État ?

Ces questions découlent précisément des arguments du procès et nous donnent matière à réflexion. Que pense le pape du Saint-Siège et de l’État de la Cité du Vatican ? S’agit-il de simples outils personnels à utiliser selon les besoins ou ont-ils une valeur institutionnelle qui transcende la figure du pape ?

Si ces questions se posent, c’est parce que d’autres décisions du pape montrent qu’au fond, le pape François préfère les initiatives personnelles aux initiatives institutionnelles. Les récentes missions du cardinal Matteo Zuppi en tant qu’envoyé papal en sont la preuve.

Le cardinal Zuppi s’est d’abord rendu en Ukraine, puis en Russie, puis aux États-Unis, et on pense qu’il se rendra également à Pékin. Un fonctionnaire de la Secrétairerie d’Etat l’a toujours accompagné, mais l’initiative vient du Pape et n’est pas coordonnée avec la Secrétairerie d’Etat. Et Zuppi n’a pas manqué d’intégrer dans ses délégations des experts de Sant’Egidio, le mouvement ecclésial dont il est issu et qui est connu depuis longtemps pour ses initiatives de « diplomatie parallèle ».

Le pape François a accepté cette diplomatie parallèle et l’a valorisé. Mais ce faisant, la diplomatie royale, celle qui appartient au pape et qui le représente officiellement dans le monde entier, est déligitimée. Les nonces sont les ambassadeurs du pape et représentent le Saint-Siège dans le monde entier, en portant la voix du pape, en dialoguant et en écoutant. Mais qui est l’ambassadeur du pape aujourd’hui ? Qui a besoin d’être écouté ?

Le pape François a adressé un clin d’œil au monde diplomatique en annonçant la création en tant que cardinaux de deux nonces, Mgr Christophe Pierre et Mgr Emil Tscherrig. Mais leurs barrettes rouges récompensent davantage le travail effectué dans leur sélection d’évêques que les initiatives diplomatiques, et cela semble être un signe clair de ce que le pape pense être la première tâche d’un nonce. Ainsi, le nonce doit avant tout être appelé à un devoir pastoral. En même temps, les initiatives diplomatiques critiques ne sont pas confiées à l’institution du Saint-Siège et au réseau des nonces, mais à des envoyés spéciaux. Ces derniers peuvent même être des nonces – Gugerotti l’était lorsqu’il s’est rendu en tant qu’envoyé du pape en Biélorussie pour résoudre l’impasse concernant l’exil de l’archevêque Kondrusiewicz – mais ce n’est pas la considération principale.

Dans ces deux cas, malgré leur portée différente, le rôle du Saint-Siège semble flou. Ces dernières années, nous avons assisté à une sorte de « vaticanisation » du Saint-Siège par le pape, qui gouverne son petit territoire et ne se préoccupe guère des conséquences internationales de ses choix. Nous sommes dans le dernier chapitre d’une opération qui vise à changer l’institution en profondeur. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Est-ce la fin du Saint-Siège ?

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