Le mensuel La Nef vient de mettre en ligne un texte du Chanoine Christian Gouyaud (je découvre son nom en même temps que l’article, je ne le connaissais donc pas, et c’est bien ainsi) issu de son numéro de février et écrit à l’occasion de la mort de Benoît XVI. L’article est long, c’est, à très grands traits, une biographie résumée et plutôt fidèle du grand Pape.


© LA NEF n° 355 Février 2023
Mis en ligne juillet 2023
Capture d’écran

En voici les deux derniers « chapitres »:

Les inoubliables funérailles de Jean-Paul II présidées par le doyen du Sacré Collège

Le Pape

Doyen du Sacré Collège, le cardinal Ratzinger présida la célébration des funérailles, place Saint-Pierre, le 8 avril. Par la hauteur et la justesse de son homélie, Benoît XVI perçait déjà sous Joseph Ratzinger.

Toujours au titre de sa fonction de doyen du Sacré Collège, le cardinal Ratzinger présida encore la célébration d’ouverture du conclave le 18 avril. Son homélie, aux antipodes d’un discours électoral à caractère démagogique, disait exactement ce qu’il fallait pour ne pas être élu dans sa dénonciation de « la dictature du relativisme » !

Le 19 avril 2005, cependant, Joseph Ratzinger fut élu pape et prit le nom de Benoît XVI. L’intéressé, qui souhaitait se retirer « pour trouver enfin paix et repos », vécut cette élection comme le couperet d’une guillotine.

En prenant possession de sa chaire au Latran, le 7 mai 2005, l’auteur de la Déclaration Dominus Jesus affirma :

« Du haut de cette chaire, l’Évêque de Rome est tenu de répéter constamment : ‘‘Dominus Jesus / Jésus est Seigneur’’. »

Tout son pontificat tiendra dans cette profession de foi et son Jésus de Nazareth en trois volumes en est la meilleure illustration. S’il n’avait pas d’autre « programme de gouvernement » que celui de se « mettre à l’écoute de la parole et de la volonté du Seigneur, et de [se] laisser guider par lui, de manière que ce soit lui-même qui guide l’Église en cette heure de notre histoire » (24 avril 2005), Benoît XVI s’assignait naturellement comme tâche de « poursuivre l’engagement de mise en œuvre du concile Vatican II dans le sillage de [ses] prédécesseurs et en fidèle continuité avec la tradition bimillénaire de l’Église » (20 avril 2005).

Le 22 décembre 2005, Benoît XVI systématisa les idées-forces qu’il avait exprimées à ce sujet de façon récurrente autour de la notion d’« herméneutique ». Les problèmes liés à la réception du concile viennent de la confrontation entre deux herméneutiques contraires : d’un côté, une « herméneutique de la discontinuité et de la rupture » entre une Église préconciliaire et une Église postconciliaire, herméneutique bruyante qui se fonde non sur les textes conciliaires qu’il s’agit de dépasser car ils ne seraient que les résultats de compromis destinés cyniquement à obtenir un consensus, mais sur l’« événement » conciliaire qui recèle une charge utopique qu’il convient de constamment solliciter ; d’un autre côté, « une herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église », beaucoup plus silencieuse mais aussi fructueuse, qui n’est nullement fixiste ou sclérosante mais qui correspond à une « dynamique de la fidélité ». Et c’est le cap qu’il entendit donner à son pontificat.

C’est notamment dans le domaine de la liturgie que Benoît XVI mit en œuvre ce principe. Par son motu proprio « Summorum pontificum » du 7 juillet 2007, il dépassa la problématique de l’interdiction ou de la permission du Missel antérieur à la réforme liturgique, constatant simplement que ce dernier « n’a jamais été juridiquement abrogé, et […] par conséquent, en principe, est toujours resté autorisé ».
Benoît XVI affirmait ainsi l’unicité du rite romain et la dualité de ses formes et confia aux curés le soin de la célébration de la « forme extraordinaire », évitant de ce fait à cette liturgie d’être marginalisée et aux fidèles qui souhaitent y participer d’être « ghettoïsés ».

Benoît XVI situait clairement la légitimité de l’usage du missel traditionnel dans le cadre de l’acceptation du missel rénové. Son premier objectif fut assurément la réconciliation mémorielle de l’Église avec son propre être historique :

« L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste » (Lettre aux évêques de 7 juillet 2007).

En invitant à un « enrichissement mutuel » des deux formes, Benoît XVI espérait aussi une émulation sur le terrain dans l’art de célébrer.

Il est enfin certain qu’il était animé par le désir de réaliser la « réconciliation interne au sein de l’Église ». Dans la lettre que Benoît XVI adressa le 10 mars 2009 aux évêques au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, il tint que, à l’instar de la société civile qui se doit de « prévenir les radicalisations et de réintégrer – autant que possible – leurs éventuels adhérents dans les grandes forces qui façonnent la vie sociale, pour en éviter la ségrégation avec toutes ses conséquences », l’Église se doit de « réduire les durcissements et les rétrécissements » en faisant preuve de cette ouverture du cœur qui, seule, peut confondre les « unilatéralismes ».

Benoît XVI comptait ainsi sur la grâce du vivre-en-Église pour venir à bout de positions radicales. Il observait que, à la faveur du motu proprio Ecclesia Dei de 1988, des instituts bénéficiaires de ce dispositif avaient ainsi « atténué des durcissements » en leur sein. A contrario, les mesures restrictives et vexatoires qui seront prises par la suite aboutiront à la cristallisation du ressentiment et au repliement d’un certain nombre de traditionalistes sur leurs positions les plus rigides.

Quant au choc de la levée de l’excommunication des évêques ordonnés par Mgr Lefebvre avec l’affaire Williamson, l’un d’entre eux, elle a révélé non seulement des dysfonctionnements dans la Curie mais aussi « une opposition romaine au pape ».

Au sujet de l’unité, la réintégration de groupes anglicans à travers l’établissement d’ordinariats personnels, suite à la Constitution apostolique Anglicanarum coetibus (4 novembre 2009), reste un modèle de souplesse quant à la prise en considération des valeurs positives de la tradition anglicane dans le respect des normes catholiques.

Benoît XVI a été confronté à la révélation des crimes pédophiles commis par des membres du clergé. Premier pape à avoir rencontré – et à plusieurs reprises – des victimes d’abus sexuels, il a su gré aux médias d’avoir contribué à la divulgation de la vérité. En affirmant que « le pardon ne remplace pas la justice », il a placé les victimes au centre du traitement de ces affaires. Sa lettre aux catholiques d’Irlande du 19 mars 2010 fustige la « trahison » de ces clercs auxquels il demande de reconnaître « ouvertement » leurs fautes et de se soumettre « aux exigences de la justice », non seulement devant Dieu mais aussi « devant les tribunaux constitués à cet effet ».

Le 11 avril 2019, le pape émérite sortira du silence qu’il s’était imposé pour proposer une réflexion puissante à ce sujet. Le drame absolu des crimes perpétrés par des clercs, c’est que « l’Église meurt dans les âmes » des victimes ! Ultimement, c’est le refus de Dieu qui explique que la puissance devient le seul principe, hors normes du bien et du mal, et c’est en raison de l’absence de Dieu que la pédophilie a atteint de telles proportions.

Dans ce contexte, à travers l’Année sacerdotale, Benoît XVI a voulu rappeler aux prêtres que leur consécration ontologique fonde leur « ministérialité » fonctionnelle et qu’ils ne seront totalement disponibles pour tous que dans la mesure où ils sont entièrement attachés à Jésus. Comme émérite, il tiendra que le célibat du sacerdoce de la Nouvelle Alliance n’est pas fonctionnel mais, là aussi, ontologique.

De façon générale, son pontificat constitue un grand appel à la sainteté. Les chrétiens doivent vivre de la grâce et des vertus théologales auxquelles Benoît XVI consacre ses encycliques. Dans ses catéchèses, il mit en exergue la sainteté personnelle, convoquant en quelque sorte les grands témoins qui ont vécu en cohérence avec leur foi. Le puissant spéculatif qu’il était n’en restait jamais aux archétypes mais s’intéressait à la réalisation de l’idéal évangélique en des sujets concrets.

Pape émérite

J. Ratzinger-Benoît XVI avait une conception modeste du primat de juridiction qu’il a exercé. Pour lui, la première primauté était celle du martyre et la chaire de Pierre devait être la Croix ! Il n’était certes pas un adepte de l’absolutisme pontifical. « Simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur », conscient de l’inadéquation des instruments dont Dieu se sert, peut-être aussi par « acceptation de l’inachevé », Benoît XVI renonça, à compter du 28 février 2013, au ministère pétrinien actif, huit années après son élection, dans la ligne de saint Pierre Célestin qu’il décida de reconnaître saint en tant que pape en l’appelant « saint Pierre Célestin V ». Il prit sa décision dans un contexte d’affaiblissement de ses propres forces et parce qu’il lui semblait qu’une longue fin d’un pontificat en proie à la vieillesse et à la maladie, qui fut certes admirable chez son prédécesseur, « n’était pas une chose que l’on dût reproduire à discrétion ».

Retiré au monastère Mater Ecclesiae, dans l’enceinte du Vatican, il s’éteignit le 31 décembre 2022, après presque dix années pendant lesquelles il porta l’Église dans la prière. Dans un dernier souffle, son ultime profession d’amour récapitule toute sa vie et son œuvre : « Jésus, je t’aime. »

Avec lui, l’Église a perdu, sur terre, un père commun.

Chanoine Christian Gouyaud

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