En marge de l’actualité, actuellement concentrée sur les JMJ, Andrea Gagliarducci ouvre un débat extrêmement important, crucial pour les catholiques s’il ne veulent pas devenir une minorité négligeable (mais plutôt la minorité créative, le « sel de la terre », qu’espérait Benoît XVI) et qui est résumée dans le titre ci-dessus. Et pour cela, Andrea Gagliarducci suggère qu’ils pourraient s’inspirer, dans le domaine de la culture de ce que font l’Arabie saoudite et autres émirats du Golfe dans le domaine du football (on l’a vu récemment avec M’bappé, même si pour l’instants, ils ont subi un échec). « Il manque, dans le monde catholique, des gens qui peuvent faire ce que les Saoudiens font dans le football. C’est-à-dire qu’il manque des gens qui peuvent investir, qui peuvent allouer des millions à des projets culturels, les soutenir, et en même temps avoir une vision à long terme qui investit dans la communication, la culture, la société ».

Ce qui se rapproche le plus du rêve exposé par Andrea Gagliarducci, c’est ce que fait en ce moment en France Vincent Bolloré. De façon très imparfaite, certes, et même très insatisfaisante par certains côtés, mais au moins, il essaie de briser le carcan.

Je trouve également très intéressante l’idée d’ « évangéliser » l’IA. Celle-ci se nourrit en effet de données, et si elles sont alimentées au départ par un point de vue non-catholique, voire anti-catholique, on n’en sortira jamais. C’est un cercle vicieux voué à ne jamais se refermer.

Le monde catholique se retrouve à être à la traîne du monde occidental, à reprendre ses langages, à relever des défis déjà préparés ailleurs, à perdre en quelque sorte son sens de la prophétie. Il n’y a pas de culture catholique aujourd’hui, parce qu’on se contente de parler de ce qui se passe ou de ce qui s’est passé, sans chercher à donner aux faits une lecture et une perspective chrétiennes.

Dans le monde des grands investissements arabes, y a-t-il un avenir pour la culture catholique ?

Andrea Gagliarducci
vaticanreporting.blogspot.com
30 juillet 2023

Il n’y a probablement pas de corrélation logique, mais les millions de dollars du marché du football en Arabie Saoudite m’ont amené à faire quelques réflexions sur le journalisme, sur la communication, sur la façon dont nous diffusons la culture, et en particulier la culture catholique. Et je pense qu’il vaut la peine de coucher tout cela sur le papier, car aussi banales que soient ces réflexions, c’est parfois précisément la banalité de la réflexion qui fait défaut. En effet, dans la course à l’originalité, nous oublions parfois d’être logiques, concrets et d’avoir du bon sens. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut arrêter de rêver. Cela signifie plutôt qu’il faut essayer de donner un contenu réel aux rêves.

Que font les Saoudiens ? Les Saoudiens ont d’immenses ressources économiques, un plan de développement qui vise à faire d’eux une sorte de hub culturel et d’innovation, et la nécessité de le faire maintenant, avant que les grandes ressources pétrolières ne s’épuisent.

Depuis toujours, depuis le panem et circenses des Romains, la mythologie des peuples, c’est le sport. C’est donc le sport qui contribue à rendre les gens attirants, visibles, désirables. Le sport le plus populaire aujourd’hui est le football, il vaut donc la peine d’investir dans le football. Mais comment un pays qui n’a pas une culture footballistique extraordinaire mais qui dispose d’immenses ressources financières peut-il le faire ?

C’est simple. Ce pays crée des installations de pointe, puis attire des joueurs célèbres qui permettent au tournoi de briller, mais aussi de le rendre compétitif. Ce n’est pas nouveau. La Chine l’a fait, brièvement. Mais cela n’a pas fonctionné longtemps, car le gouvernement a ensuite supprimé les ressources, et l’argent énorme a été investi dans d’autres domaines. Pour la Chine, le football n’était pas une activité essentielle à la visibilité dans le monde occidental, mais une simple opportunité de croissance.

Ce n’est pas le cas de l’Arabie saoudite, qui souhaite développer le mouvement footballistique, mais surtout la visibilité de son pays. Ainsi, avec des salaires monstrueux, ils appellent non seulement les meilleurs joueurs au crépuscule de leur vie, mais aussi ceux qui sont encore à un très bon stade de leur carrière, les éloignant de leurs clubs pour aller créer un championnat compétitif et attractif au niveau international, quelque chose qui peut donner aux Saoudiens un poids non indifférent dans le système du football. Cela a commencé avec les Coupes d’Italie sur le sol saoudien, et cela se poursuit avec les Cristiano Ronaldos, les Verrattis et les Brozovics.

En pratique, l’Arabie saoudite ne construit pas un système. Elle reproduit un système, recherche les meilleurs et s’efforce de perpétuer ce système grâce à l’effet d’attraction que la présence des meilleurs exercera sur le mouvement footballistique. En attendant, elle participe avec ses fonds à quelques équipes européennes, comme le font les Qataris, comme le font d’autres pays du Golfe, s’insérant de plus en plus dans les ganglions d’une société occidentale qu’ils veulent probablement séduire, en essayant évidemment de maximiser leurs intérêts.

Mais cette opération, en fin de compte, se fait sur le plan culturel et religieux. Les mosquées financées par les Saoudiens, mais aussi par les pays du Golfe et la Turquie, poussent comme des champignons un peu partout en Europe et dans la société occidentale, les centres de culture islamique sont bien financés, et l’étude de l’arabe et de la culture islamique, grâce à cette large diffusion, ne sont plus l’affaire de quelques-uns, mais des cours convoités. Il faut donc comprendre qui finance tant et qui travaille tant dans le domaine de la culture. Même si, au fond, l’attitude est plus pragmatique : on étudie les choses dont on pense qu’elles vont rapporter de l’argent.

Tout cela conduit cependant à une réflexion sur ce que l’on appelle le monde occidental, et accessoirement sur le monde catholique. Le monde occidental, en fin de compte, ne fait pas de culture. Les think tanks européens n’ont pas autant d’impact culturel qu’on pourrait le penser, à de rares exceptions près ; les think tanks américains, en revanche, ont des lignes de pensée claires qui les font considérer (parfois à juste titre) comme des think tanks idéologiques. En rejetant les racines de l’Europe au nom d’une histoire écrite par les Lumières, comme s’il s’agissait d’une rupture nette avec le passé, l’Occident a perdu son identité, et dans cette perte d’identité, c’est la culture qui a perdu. Même les questions philosophiques sont traitées de manière pratique, sans fondement solide, non pas idéologique, mais spirituel, où spirituel signifie « en profondeur ».

Et puis il y aurait un monde catholique qui devrait produire de la culture, et même qui ne pourrait survivre que si son engagement est culturel. Mais ce monde catholique se retrouve à être à la traîne du monde occidental, à reparcourir ses langages, à relever des défis déjà préparés ailleurs, à perdre en quelque sorte son sens de la prophétie. Il n’y a pas de culture catholique aujourd’hui, parce qu’on se contente de parler de ce qui se passe ou de ce qui s’est passé, sans chercher à donner aux faits une lecture et une perspective chrétiennes.

Un diagnostic sévère ? Peut-être. Mais, en fait, alors que les pays arabes et musulmans ont compris que le travail à faire doit imprégner la culture, dialoguer avec elle, voire vivre avec elle même si l’on n’est pas d’accord, le monde catholique a un peu perdu l’idée de faire de la culture, parce qu’il a perdu son langage (je l’ai dit il y a quelques jours lors d’une conférence). Si l’on ne parle pas sa propre langue, au fond, il n’y a pas non plus de culture de référence.

Il manque, dans le monde catholique, des gens qui peuvent faire ce que les Saoudiens font dans le football. C’est-à-dire qu’il manque des gens qui peuvent investir, qui peuvent allouer des millions à des projets culturels, les soutenir, et en même temps avoir une vision à long terme qui investit dans la communication, la culture, la société. C’était le projet chrétien du début, qui s’est ensuite perdu à l’époque où le christianisme était devenu fort et présent dans la société. Et c’est le projet que les Saoudiens poursuivent aujourd’hui, mais que la franc-maçonnerie a poursuivi encore plus tôt, lorsqu’elle a en fait recréé le récit du monde en construisant une révolution – après tout, la prise de la Bastille a eu lieu le 14 juillet, le jour où la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon était traditionnellement commémorée en France.

Aujourd’hui, le monde catholique non seulement se trouve à suivre, mais se trouve contraint à contrer un récit. Il le fait avec peu de moyens, avec un monde culturel morcelé. Quand il y a des ressources, les entrepreneurs catholiques les donnent à des projets très concrets, car c’est dans le pragmatisme que l’on trouve l’avenir.

Le problème, c’est que ce n’est pas aussi simple. L’intelligence artificielle elle aussi répond en se basant sur des données, et il faut alors disposer de données correctes, précises, loin de tout parti pris. Pour ce faire, ces informations doivent être écrites et diffusées, de manière capillaire et certaine. L’intelligence artificielle doit également être évangélisée d’une manière ou d’une autre.

Bien sûr, ce n’est pas une tâche facile, et cela demande du temps et de l’investissement. La différence avec le football saoudien tient pourtant à un détail non négligeable. Si les Saoudiens doivent importer un système en le payant à prix d’or, un entrepreneur qui voudrait investir dans la culture catholique n’aurait rien à importer, mais aurait à tirer le meilleur parti des ressources disponibles. Il aurait besoin d’une personne capable de le faire, et non d’une dépense énorme de ressources, qui serait également nécessaire.

Ce que je vois manquer dans le monde catholique, c’est précisément ce manque de perspective. On organise des conférences auxquelles participent toujours les mêmes personnes, on se connaît dans les diverses associations qui traitent de sujets différents, il arrive même qu’on collabore, mais à la fin tout se dissout. Pour surmonter cette dissolution, il faut un guide, et ce guide doit être non gouvernemental (en cela il diffère de l’Arabie Saoudite), mais capable de travailler à recréer la culture catholique, à la diffuser, et à financer de grands projets et de grandes idées.

Il est vrai que les grandes idées sont difficiles à trouver, et encore plus vrai que tous ces discours peuvent aussi conduire à des erreurs retentissantes. Mais si nous ne commençons pas à penser à faire quelque chose de nouveau, de vrai, de profond, de durable et de bien financé, nous nous trouverons dans une situation très difficile, dans laquelle la culture catholique ne sera pas seulement minoritaire, mais sera même catacombée.

En écrivant tout cela, je me demande si des entrepreneurs ou des bienfaiteurs catholiques ont pensé à tout cela. Peut-être que oui. Mais ceux que j’ai rencontrés ont financé des projets, voulant voir le côté pratique des résultats, ou des produits qu’ils connaissaient déjà, qu’ils ont peut-être aimés, sans toutefois chercher à comprendre ce dont on a de nouveau besoin. Il est nécessaire de redistribuer les richesses, mais pour ce faire, il n’est pas nécessaire de mettre en place des réglementations de type socialiste, il faut plutôt créer un nouveau segment d’investissement.

La culture catholique, en fin de compte, et toutes les informations religieuses ne sont pas, aujourd’hui, dans la position d’attaquer le marché. Elles doivent plutôt le créer. Cela pourrait être un grand défi, mais les conséquences sont imprévisibles. Au fondt, même l’Arabie saoudite sait que les conséquences de cet achat et de cette vente de stars pour leur ligue pourraient être imprévisibles. Mais elle prend le risque. Et le monde catholique, en fin de compte, ne semble pas vouloir le prendre. Il se réfugie toujours dans les lectures habituelles. Il regarde toujours les faits dans la même perspective.

C’est une dynamique probablement suicidaire. Mais pour la briser, il faut vraiment un investisseur munificent, prophétique et fou, comme seul un philanthrope chrétien peut l’être. Sinon, les Saoudiens ne tarderont pas à nous acheter, mais aussi à acheter notre histoire. Et une fois l’histoire réécrite, il est toujours très compliqué de revenir à la vérité des faits.

La culture catholique sera-t-elle donc absorbée comme les champions de football, et peut-être considérée comme une vieille gloire qui sert à donner de l’éclat à une situation générale, mais qui ne doit pas trop s’immiscer sur le terrain ? Ou bien pourra-t-elle construire sa place ?

Ou sera-t-il capable de construire sa propre équipe, de prendre des risques, de renverser la vapeur et de jouer un nouveau type de jeu, avec son propre langage ?

Telle est, à mon avis, la question fondamentale. Et c’est à cela que nous sommes appelés à répondre

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