Qu’a dit exactement (qu’a eu le malheur de dire?) le catholique « conservateur » ([1]) George Weigel à propos des JMJ de Lisbonne? Il a simplement rapporté les propos de l’organisateur de l’évènement, le néo-cardinal et archevêque de Lisbonne Américo Aguiar (qui avait affirmé qu’il n’était pas question de convertir les jeunes) et surtout déploré que la version 2023 de l’événement imaginé par Jean-Paul II en ait un peu trop oublié le coeur, Jésus-christ. Enfer et damnation. Ces opinions, largement partageables à l’épreuve des faits, et exprimées avec modération et courtoisie, lui ont valu les foudres de Sean Winters, l’un des éditorialistes-vedettes du « navire amiral du cathoprogressisme mondial », le National Catholic Reporter (pas Register, ne surtout pas confondre)! Son article (bien peu charitable donc bien peu chrétien), commence par « Poor George Weigel »… le reste est éventuellement à lire ici: www.ncronline.org, ce n’est pas obligé.

Querelle américano-etatsunienne, qui ne nous concerne pas, et qui n’intéresse personne en France, sauf éventuellement moi et quelques-uns qui comme moi cultivent des idées fixes.

Cela n’empêche pas un certain PP, ex-journaliste et blogueur français, donneur de leçons multi-récidiviste et distributeur agréé de BCC (Brevets de Catholicité Conforme) de rebondir sur les deux articles (sans citer aucun passage de celui de Weigel, et sans référer l’autre, j’ai dû chercher les liens), et de tomber à bras raccourcis sur Weigel, qu’il déteste, en lui faisant dire ce qu’il n’a pas dit – même s’il l’a probablement pensé, mais là on tombe dans le procès d’intention.

Les conservateurs encensent ce catho (US-model) depuis qu’il juge François incompatible avec Jean-Paul II et Benoît XVI. Ne pouvant étayer cet avis personnel dans la réalité des faits, Weigel n’hésite pas à inventer – à la façon de Trump – des “faits alternatifs”. Et tant qu’à faire, il les invente énormes... Sur le site conservateur First Things, il lance l’idée selon laquelle François aurait privé les JMJ de “christocentrisme” !

La fausseté de ce grief est massive jusqu’à l’absurde, mais il est adopté aussitôt par les activistes conservateurs : des deux côtés de l’Atlantique , les admirateurs de Weigel – je ne dis pas “lecteurs” car ces gens lisent peu de livres – se mettent à dire en boucle que lorsque le pape dit “Dieu” c’est pour ne pas dire “le Christ” ; ils n’osent pas l’accuser ouvertement d’être monophysite ou musulman, mais ils y incitent. Suggérer que le successeur de saint Pierre “n’est pas christocentré” est insane.

*

De deux choses l’une : ou bien Weigel n’a pas lu les encycliques, homélies et catéchèses du pape François, et ne mérite donc pas sa réputation d’expert ; ou bien il les a lues mais les enjambe – et il entre ainsi au club des propagateurs de fausses nouvelles, avec Vigano, Burke, Schneider, Gänswein et quelques autres. 

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http://plunkett.hautetfort.com/archive/2023/08/12/ravages-de-l-ideologie-george-weigel-deraille.html

Sur ces amabilités en forme de correction non-fraternelle (pour PP, ceux qui ne partagent pas ses idées sont des crétins et des illettrés, des gens « qui ne lisent pas »… et pour cause), j’ai eu la curiosité de lire et de traduire l’article de George Weigel. Et je me demande en quoi il justifie la fureur des cathoprogressistes (il cite d’ailleurs à peine le Pape). A moins que cette fureur ne cache (mal) une inquiétude et une nervosité… bien compréhensible, dans l’atmosphère pesante de fin de règne qui plombe en ce moment le Vatican:

A la recherche du Seigneur Jésus à Lisbonne

À la mi-mai, j’ai passé deux jours intenses à Lisbonne, où une nouvelle édition portugaise de mes Letters to a Young Catholic était en cours de préparation, comme ressource catéchétique pour les Journées Mondiales de la Jeunesse 2023. Dans cette merveilleuse ville et aux alentours, j’ai eu le plaisir de rencontrer des éducateurs catholiques de tout le Portugal ; j’ai été accueilli pour des discussions dans deux paroisses dynamiques ; et j’ai eu droit à une visite éclair du QG des Journées Mondiales de la Jeunesse : un ancien entrepôt militaire, où une armée d’un autre genre – un régiment de jeunes activistes catholiques énergiques – s’occupait de la logistique de ce grand rassemblement international. Dans chacune de ces rencontres, j’ai trouvé un grand espoir que les JMJ 2023, sous la protection maternelle de Notre-Dame de Fatima, dynamiseraient la nouvelle évangélisation au Portugal et peut-être dans toute l’Europe occidentale.

Je ne peux donc pas imaginer que mes amis portugais étaient remplis d’une joie de Pentecôte lorsque le coordinateur des JMJ, l’évêque auxiliaire de Lisbonne Américo Aguiar, a déclaré dans une interview du 6 juillet que, lors des JMJ 2023, « nous ne voulons pas convertir les jeunes au Christ ou à l’Église catholique ou à quoi que ce soit de ce genre ». L’objectif des JMJ 2023 était plutôt de créer une situation dans laquelle chaque jeune pourrait dire : « Je pense différemment, je ressens différemment, j’organise ma vie différemment, mais nous sommes frères et nous allons ensemble pour construire l’avenir ».

Ce renoncement saisissant à la Grande Mission – « Allez et faites de toutes les nations des disciples… enseignez-leur tout ce que je vous ai prescrit » (Mat. 28:19-20) – n’aurait peut-être pas résonné au-delà du Portugal si le pape François n’avait pas annoncé, trois jours plus tard, son intention de créer Mgr Aguiar cardinal le 30 septembre. S’en est suivie la querelle habituelle sur internet, et l’auxiliaire de Lisbonne, ressentant manifestement une certaine pression, a expliqué que ses propos avaient été sortis de leur contexte ; tout ce qu’il disait, c’est qu’il n’y aurait pas de « prosélytisme » lors des JMJ 2023.

Ce que l’évêque et le néo-cardinal n’ont pas expliqué, c’est pourquoi l’accomplissement de la Grande Mssion par l’évangélisation et la catéchèse – jusqu’à présent considérées comme des composantes essentielles de toute Journée mondiale de la jeunesse – était du « prosélytisme ».

En réfléchissant à ce dernier exemple de catholicisme réduit au rang de « Religion de gentil » [Religion of Nice], je me suis souvenu d’une approche radicalement différente pour expliquer la relation entre le Seigneur Jésus et les aspirations des jeunes cœurs. C’est l’approche adoptée par le pape Jean-Paul II à Tor Vergata, à Rome, au cours de la veillée nocturne précédant la messe de clôture des Journées mondiales de la jeunesse 2000. Le pape avait placé le Christ au centre d’un immense rassemblement de jeunes adultes catholiques en prononçant ces mots mémorables :

C’est Jésus que vous cherchez quand vous rêvez de bonheur ; il vous attend quand rien d’autre ne vous satisfait ; il est la beauté qui vous attire tant ; c’est lui qui provoque en vous cette soif de plénitude qui ne vous laissera pas vous contenter d’un compromis ; c’est lui qui vous pousse à vous défaire des masques d’une vie factice ; c’est lui qui lit dans vos cœurs vos choix les plus authentiques, ceux que les autres essaient d’étouffer. C’est Jésus qui suscite en vous le désir de faire quelque chose de grand de votre vie, la volonté de suivre un idéal, le refus de vous laisser abattre par la médiocrité, le courage de vous engager humblement et patiemment à vous améliorer et à améliorer la société, à rendre le monde plus humain et plus fraternel.

Un christocentrisme robuste comme celui-là n’est pas, selon moi, du « prosélytisme ». C’est un témoignage chrétien de la vérité chrétienne. C’est une affirmation qui allie conviction et compassion. C’est une explication de la confession fondamentale de la foi chrétienne : Kýrios Iēsoûs, « Jésus est Seigneur ». Et c’est ce christocentrisme qui a inspiré des millions de jeunes catholiques qui ont participé aux Journées mondiales de la jeunesse depuis 1984 à devenir les disciples missionnaires pour lesquels ils ont été baptisés.

En ce qui concerne le fastidieux psychobabillage sur le fait de marcher ensemble vers l’avenir, l’évêque Aguiar et d’autres qui s’y adonnent [!!!] pourraient reconsidérer l’histoire magnifiquement élaborée par Saint Luc des deux disciples marchant vers Emmaüs l’après-midi du dimanche de Pâques (Luc 24:13-35). Ils marchaient ensemble. Mais ils marchaient dans la mauvaise direction jusqu’à ce qu’ils rencontrent le Ressuscité. Ils ont alors recommencé à marcher ensemble, mais désormais dans la bonne direction : vers une Jérusalem transformée par la résurrection, à partir de laquelle eux et les autres qui avaient rencontré le Seigneur Jésus seraient envoyés dans le monde entier pour inviter les autres à la « cité du Dieu vivant » (Héb. 12:22).

C’est cette « marche ensemble » que les Journées Mondiales de la Jeunesse devraient inspirer : une marche ensemble qui mène au Christ et à la mission.

George Weigel

Conclusion

Il y a au moins une différence entre George Weigel et notre « ami » PP: il m’étonnerait beaucoup que le premier lise le second, et encore plus, qu’il prenne la peine de lui répondre.

NDR

(*) Pour PP, conservateur est un gros mot. Ou plutôt, dit-il le terme « conservateurs dans le sens dévié (partisan) que lui donne le lobby politico-religieux qui s’en pare aujourd’hui » (sic!).

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