La nouvelle date de 2 semaines, et elle est largement passée sous les radars, période estivale oblige. Mais au-delà de l’aspect technique rébarbatif n’intéressant en principe qu’un public « de niche », le énième (n+++ 1ème, en fait!) motu proprio du pape venu du bout du monde, qui redéfinit le statut des prélatures personnelles (à noter; il y a comme une intention d’enfumer le monde, puisque la seule prélature personnelle est justement… l’OD!) est un nouvel acte de rupture avec les pontificats de Jean Paul II et Benoît XVI. Les opposants ET les soutiens du cours bergoglien ne manquent pas de le souligner, chacun évidemment pour des raisons opposées.
Bref, quand va-t-il s’arrêter?

Le tour de vis du pape sur l’Opus Dei. Ainsi s’achève l’ère Wojtyla

Le énième motu proprio de François modifie les règles sur les prélatures personnelles. Un acte de discontinuité avec le pontificat de Jean-Paul II

Nico Spuntoni
Il Giornale

Le 8 août dernier, le pape a publié le énième motu proprio d’un pontificat qui compte désormais plus d’une décennie. Cette fois-ci, l’intervention de François visait à modifier les dispositions de deux canons du Code de droit canonique – précisément 295 et 296 – relatifs aux prélatures personnelles.

La mesure concerne l’Opus Dei, érigé par saint Jean-Paul II en prélature personnelle sous le nom de Santa Croce et Opus Dei, et qui est la seule existante.

Les changements

Avec le nouveau motu proprio du pontificat bergoglien, la prélature personnelle est « assimilée aux associations cléricales publiques de droit pontifical avec la faculté d’incardiner des clercs » et ses statuts peuvent être « approuvés ou émis par le Siège Apostolique ». Il est précisé que le prélat agit « en tant que modérateur, doté des facultés d’un Ordinaire ».

Ce n’est pas la première fois que François prend des décisions qui affectent directement l’Opus Dei. Il y a à peu près un an, il avait déjà publié le document Ad charisma tuendum, transférant les compétences sur les prélatures personnelles du dicastère pour les évêques à celui pour le clergé et en vertu duquel le prélat [de l’OD] n’a plus besoin de recevoir l’ordination épiscopale.

En 1991, c’est saint Jean-Paul II lui-même qui a ordonné évêque le prélat de l’époque, Mgr Alvaro del Portillo, et c’est également le pape polonais qui a consacré son successeur en 1995, Mgr Javier Echevarria Rodríguez.

Ce changement n’est pas anodin car le prélat actuel, Mgr Fernando Ocáriz, n’étant pas évêque, n’a pas l’autorité pour conférer les ordres sacrés aux candidats.

La réaction

La réaction de Mgr Fernando Ocáriz à la mesure qui redessine la structure de la prélature personnelle, en limitant substantiellement son autonomie, a été une réaction d’obéissance. Une position conforme à celle de l’Opus Dei en ces presque onze années d’un pontificat qui a réduit la liberté d’action de l’Œuvre accordée à l’époque de saint Jean-Paul II.

Dans un message, Mgr Ocàriz a écrit

Nous accueillons avec une sincère obéissance filiale les dispositions du Saint Père et nous vous demandons de rester, même en cela, très unis. Nous suivons ainsi l’esprit avec lequel saint Josémaria et ses successeurs ont accepté toute décision du pape sur l’Opus Dei. L’Œuvre étant une réalité de Dieu et de l’Église, l’Esprit Saint nous guide à tout moment.

Pas de polémique, donc, de la part de la direction de l’Œuvre sur laquelle tant de préjugés et de reconstructions fantaisistes ont la vie dure, mais qui, au cours des dernières décennies, s’est révélée être l’une des réalités les plus prolifiques en termes d’action évangélisatrice dans la société contemporaine.

Critiques et éloges

Si le prélat de l’Opus Dei n’a pas critiqué la décision du pape, d’aucuns ont soulevé des critiques à l’encontre d’un motu proprio de plus.

C’est le cas de la canoniste Geraldina Boni, professeur de droit canonique et de droit ecclésiastique à l’université de Bologne, qui a rédigé une réflexion dans laquelle elle met en évidence deux méthodes procédurales inhabituelles, bien que déjà vues sous l’actuel pontificat : la promulgation du motu proprio avec publication dans l’Osservatore Romano, et son entrée en vigueur immédiate.

Mme Boni a souligné « l’abandon » des « voies normatives habituelles », lesquelles « ne représentent pas un hommage à un formalisme vide, mais sont des garanties de la perfection technique de la loi, ainsi que des instruments à travers lesquels une véritable synodalité peut s’exprimer« .

Elle a en outre observé:

Chez tout canoniste familier avec la terminologie traditionnelle utilisée dans l’Église, on ne peut manquer de s’étonner qu’une ʻprélatureʼ soit assimilée à une association

Et elle a rappelé à ce sujet le décret Presbyterorum ordinis, du Concile Vatican II, dans lequel les prélatures personnelles sont mentionnées pour la première fois:

Il est franchement inconcevable que les Pères du Concile, qui ne connaissaient les prélatures que comme des prélatures territoriales, lorsqu’ils ont approuvé la possibilité de créer des diocèses particuliers ou des prélatures personnelles, aient pensé à des entités semblables à des ʻassociations’.

Pour l’universitaire, l’assimilation des prélatures personnelles à des associations cléricales représente « l’aspect problématique le plus évident » du nouveau motu proprio, car il touche la seule prélature personnelle, à savoir l’Opus Dei, dont le charisme et la composition authentiques, avec 90 mille fidèles laïcs et 2000 prêtres, doivent être préservés.

De l’autre côté, certains, comme Alfonso Botti, professeur d’histoire contemporaine au département d’études linguistiques et culturelles de l’université de Modène et Reggio Emilia, ont vu dans la mesure « la réverbération de la ligne qui caractérise le pontificat actuel », à savoir les avertissements répétés de François sur les risques du ‘cléricalisme’.

Dans son commentaire pour Il Mulino [ndt: publication « catho » notoirement à gauche!], l’historien a présenté le motu proprio comme un signe supplémentaire de la discontinuité de Bergoglio par rapport à ses prédécesseurs et donc comme

un avertissement à tous les mouvements et groupes charismatiques particulièrement en vogue pendant le pontificat de Jean-Paul II, promoteur d’un catholicisme identitaire et triomphant, difficilement compatible avec l’Église, ‘hôpital de campagne’ et point de référence pour l’humanité égarée, du pape argentin.

Quoi qu’il en soit, même à la lumière de l’analyse de ceux qui jugent positivement cette dernière initiative de François, l’idée d’un pontificat rompant fièrement avec la saison wojtylienne-ratzingerienne semble se renforcer, réfutant la thèse soutenue depuis longtemps par certains selon laquelle une continuité substantielle aurait existé entre l’œuvre de François et celle de Benoît XVI.

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