dans le commentaire d’Andrea Gagliarducci. L’annonce par le Pape lui-même de la prochaine sortie d’une suite à l’encyclique écolo (plus écologiste qu’écologique!) suscite quelques interrogations extrêmement intéressantes, notamment sur la relation de l’Eglise version François avec le monde. Avec le risque que « n’ayant rien de nouveau à dire, l’Église soit condamnée à l’insignifiance ».

Il y a le paradoxe d’un pape qui attaque la colonisation idéologique mais qui utilise simultanément certains récits de colonisation idéologique comme authentiques et valides.

Le pape François et la deuxième partie de Laudato Si’

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
28 août 2023

Le pape François et la deuxième partie de Laudato Si

La semaine dernière, le pape François a annoncé par surprise qu’il rédigeait une deuxième partie de Laudato Si’ afin de l’actualiser. Plus tard, le bureau de presse du Saint-Siège a précisé qu’il s’agissait d’une mise à jour environnementale sur les problèmes. C’est une nouvelle intéressante parce qu’elle nous dit quelque chose de ce pontificat.

Tout d’abord, elle témoigne du pragmatisme du Pape François.

Il est notoire que le pape a écrit Laudato Si‘ pour répondre à un besoin et à une demande qui ont surgi surtout dans la sphère politique, et il l’a fait rapidement pour que cette encyclique soit prête pour la COP 25 à Paris. Ce n’était pas seulement une question d’attention aux questions environnementales. Si l’on se souvient, Benoît XVI a été appelé « le pape vert » précisément en raison de sa conscience écologique. La Season of Creation [en français: Temps pour la création, ndt] qui commence le 1er septembre, est née d’une idée du patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, et a été très vite acceptée dans le monde catholique avec Jean-Paul II.

Il suffit de parcourir Le compendium de la Doctrine sociale de l’Église [cf. www.vatican.va , ndt], le mémento publié au milieu des années 1990, pour se rendre compte que l’attention portée par l’Église catholique à la création et à la protection de la création n’est pas nouvelle. En effet, elle a toujours fait partie de la doctrine sociale dans le contexte de ce que Paul VI a défini comme le « développement humain intégral ».

Cependant, la question actuelle est différente.

Une encyclique peut-elle être définie uniquement sur une situation contingente ou un thème spécifique? L’environnement peut-il faire l’objet d’un document papal qui ne considère pas le développement humain intégral ? Non, ce n’est pas possible. Laudato Si’ n’est pas une encyclique écologique mais une encyclique qui cherche à considérer la Doctrine sociale dans son ensemble. C’est l’approche de l’écologie humaine intégrale. Ce n’est pas une approche nouvelle puisqu’elle a été réalisée au cours des pontificats précédents.

Une encyclique sur le sujet était-elle donc nécessaire ? Elle était utile car elle permettait au Saint-Siège d’entrer dans le débat, au point que l’encyclique a circulé parmi les fonctionnaires de l’ONU avant la visite du pape François en 2015. Bref, il s’agissait d’une nécessité pratique, d’une volonté de répondre à un défi sous les feux de l’opinion publique.

Ce pragmatisme du pape François a cependant ses limites.

Répondant à un défi contingent, l’encyclique est apparue d’emblée comme ayant des limites structurelles. Si l’on met de côté les questions de doctrine sociale de l’Église, les données utilisées étaient en fait des données qui ne seraient plus valables dans quelques années. Le narratif des Objectifs de développement durable des Nations Unies est entré dans l’Église.

Toutefois, les Nations unies modifient les objectifs de développement durable tous les ans, car ils reposent précisément sur des décisions politiques et des données relatives à la situation actuelle. De plus, ils sont parfois influencés par l’idéologie. C’est ce que le pape François dénonce comme une colonisation idéologique. Il y a donc le paradoxe d’un pape qui attaque la colonisation idéologique mais qui utilise simultanément certains récits de colonisation idéologique comme authentiques et valides.

Un pragmatisme presque cynique permet à l’Église d’être au centre du débat, mais l’empêche d’être vraiment « différente » dans la discussion. Après Laudato Si‘, les diocèses et les structures ecclésiastiques, entre autres, se sont empressés de manifester leur attention à la création. La démonstration est pratique : on ne cesse de parler de diocèses ou d’églises locales qui lancent un projet sans impact sur l’environnement, installent des panneaux solaires et se consacrent aux énergies renouvelables, soulignant la nécessité de cesser d’utiliser les combustibles fossiles. S’agit-il de l’écologie intégrale dont parle la doctrine sociale, ou seulement d’une petite partie pratique, à évaluer avec les critères du discernement ?

Nous arrivons ici au deuxième fait : le pape François est pragmatique et utilise son magistère pour répondre aux défis de l’ici et du maintenant. L’Église sortante, du reste, est une Église hôpital de campagne, c’est-à-dire une Église qui répond aux problèmes quand ils se posent et comme ils se posent. C’est une Église en état d’urgence. Cependant, la crise ne permet pas de planifier l’avenir.

La vraie question est de savoir si nous faisons face à une telle urgence simplement parce qu’il s’agit d’une urgence ou parce que la planification de l’avenir semble trop compliquée à gérer. Le pape François a établi dans Evangelii Gaudium que les réalités sont plus importantes que les idées, et Laudato Si’ est un exemple pratique de ce postulat.

Mais le problème est qu’une encyclique doit avoir une valeur universelle. Il est vrai que les papes, dans le passé, ont utilisé des encycliques pour répondre à des situations concrètes. Pie XII a écrit trois encycliques sur la persécution des chrétiens en Chine, et deux consacrées au problème du cardinal Mindszenty en Hongrie. Il s’agissait d’encycliques qui contenaient de vives protestations mais qui, relues aujourd’hui, s’inscrivent dans un principe universel de liberté de l’Église. En bref, une vision du monde a permis à ces encycliques, nées en réponse à des situations concrètes, d’avoir une validité universelle.

Mais écrire une deuxième partie de Laudato Si‘, c’est admettre que Laudato Si‘ était une encyclique qui ne répondait qu’au temps présent, qui ne donnait pas une vision du monde valable aussi pour l’avenir. Peut-être qu’une fois que l’on aura lu Laudato Si‘ bis, toutes ces craintes seront dissipées. Mais pour l’instant, reste le point essentiel que le Pape ait écrit une encyclique incomplète et que son achèvement ne fasse que la relier à aujourd’hui sans donner une vision universelle.

Disons-le pour éviter tout malentendu : le pape François a sa vision universelle des choses et probablement un projet précis pour l’Église. Mais ce projet est précisément de regarder la réalité concrète et d’être là où en est le monde aujourd’hui. Son but est d’offrir une perspective, pas d’évangéliser.

D’où les phrases décontextualisées, les expressions imagées qui restent cependant génériques et ne semblent pas avoir d’explication concrète (comme les « purismes angéliques » ou le « totalitarisme du relatif », ou les « éthiques sans bonté », jusqu’à l’actuel « indietrisme » [échantillon du lexique papal récent! ndt]), et une décision générale de ne jamais répondre directement aux questions pour lesquelles une position claire doit être prise, comme en témoignent les nombreuses conférences de presse dans l’avion.

Toutefois, le Pape a une vision précise du gouvernement, une façon encore plus brutale de prendre des décisions, et une capacité à mettre les pieds dans le plat [to enter situations with a straight leg] afin que sa perspective soit la seule à être suivie.

Le pape François veut un modèle d’Église à son image. Il veut que ce modèle soit compris. Pour cela, il a aussi besoin d’un vote de sympathie. C’est ainsi que ce clin d’œil au monde séculier conduit à des documents comme Laudato Si, ou ce qui pourrait en être la suite. C’est peut-être ainsi que l’Église peut avoir un impact sur le monde. Mais il y a aussi le risque inverse, à savoir que, n’ayant rien de nouveau à dire, l’Église soit condamnée à l’insignifiance.

La publication de Laudato Si’ bis clarifiera laquelle des deux voies sera empruntée.

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