L’article qui suit reprend une affirmation du journaliste américain bien connu comme critique de François, Phil Lawler – directeur du site conservateur Catholic Culture -, selon lequel ”François ne change pas la doctrine”. Argument classique souvent utilisé pour minimiser les bouleversements. Mais en réalité, nous dit l’auteur, le pape n’a sans doute jamais eu l’intention d’enseigner quoi que ce soit, il a plutôt affirmé, avec des mots et des gestes, qu’il n’y a rien à enseigner.

Le Pape miroir : il ne remet pas en cause la doctrine, mais promeut une foi « à la louche » [/approximative]

« Le pape François n’a probablement jamais eu l’intention d’enseigner quoi que ce soit. Il me semble plutôt affirmer, avec des mots et des gestes, qu’il n’y a rien à enseigner, ce qui exclut par la force des choses la question de la forme et du fond. »

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Dans cet article de Philip Lawler, un passage me laisse perplexe. L’auteur écrit : « Le pape François n’a jamais formellement contredit la doctrine établie ».

Cet argument, la « contradiction formelle », je l’entends prononcer chaque fois que quelqu’un lève un sourcil devant les déclarations objectivement graves du pape.

Il ne s’agit peut-être pas de déclarations scellées et protocolées, mais c’est précisément pour cela qu’elles ont un effet encore plus néfaste. Elles favorisent un catholicisme impulsif, approximatif. Le pape semble en être le principal promoteur.

En substance, on dit : le pape François parle, mais ne confirme pas. C’est un bon aperçu de la situation, mais il faudrait l’approfondir.

L’approximation expressive de Bergoglio, qui fait un usage désinvolte de la parole a braccio, est, je crois, le bouclier qui le protège. Avec François, il n’est pas question de discuter de doctrine, de vérités ultimes, de questions fondamentales pour la vie de l’Église. Ce ne sont pas des choses qui l’intéressent.

En ce qui concerne le fait que François n’a jamais nié la forme de la doctrine, les enjeux me semblent doubles.

Qu’entend-on par « contradiction formelle de la doctrine » ? Une bulle, un édit, une encyclique, une constitution apostolique, un motu proprio mettant noir sur blanc, par exemple, que Jésus n’est jamais ressuscité, ou que la Vierge Marie était vierge dans le sens de fidèle à son mari ?

Rien de tel ne sera jamais mis noir sur blanc. À mon humble avis, les catholiques fidèles à la tradition ont tort d’attendre du pape qu’il donne forme à son magistère inconstant, se berçant peut-être de l’illusion qu’il réaffirme ainsi la vérité de toujours en annonçant le contraire aux fidèles.

Au contraire, il me semble que Bergoglio est comme un miroir : il reflète exactement ce qui se trouve devant lui. S’il y avait une chance que quelqu’un le rappelle à l’ordre, il embrasserait sa thèse. Fin de la diatribe. La majorité des catholiques, ou des catholiques autoproclamés, sont d’accord avec Bergoglio. Pourquoi ? Parce qu’il est le pape.

À un niveau profond, le pape qui ne contredit pas « formellement » la doctrine a autant de consistance que l’eau qui éteint le feu : l’eau n’obéit pas à un principe physico-chimique. Elle ne fait qu’éteindre le feu. La loi physique découle de l’observation du phénomène. Et non l’inverse. Il serait très stupide de changer formellement la doctrine.

Il y a de nombreuses preuves que Bergoglio veut se placer sur un plan « naturel ». Par exemple, lorsqu’il dit que Dieu pardonne toujours, il bénit la tendance naturelle du pécheur à tout se pardonner.

Ou lorsqu’il dit que ceux qui ne croient pas peuvent lui envoyer de « bonnes vibrations » au lieu de prier pour lui, il met sur le même plan une prière étudiée et théologiquement fondée et un sentiment spontané qui n’exige aucune adhésion à quoi que ce soit.

De cette spontanéité calculée, d’autres tireront une doctrine parallèle du magistère de François, toujours aussi catholique, toujours aussi traditionnel, puisque c’est le pape légitimement élu qui l’a suggéré. Ce n’est pas le pape qui doit faire des justifications formelles : les bons catholiques fidèles au pape le feront.

Il y a ensuite un autre aspect, politique celui-là. Une loi peut être modifiée ou abrogée. Si vous ne voulez pas qu’elle soit discutée la première chose à faire est de ne pas la promulguer. Il suffit de lancer un argumentaire tronqué, du genre « il faut obéir aux autorités civiles », ou « vacciner est un acte d’amour ». Le reste se fait tout seul.

Ce qui est déclenché, c’est une utilisation de la doctrine, c’est-à-dire quelque chose de beaucoup plus substantiel. Parfois, pour anéantir une loi, il est encore plus efficace d’y obéir que de la violer ou de la nier.

Prenons le cas de Traditionis Custodes : déjà par son titre ironique, il suffit de proposer l’idée que la messe en latin est un « modernisme » inutile, et qu’une fois supprimé ce « modernisme », la tradition serait entièrement restaurée. Il ne s’agit pas d’une interprétation : c’est exactement ce que dit ce texte funambulesque .

D’ailleurs, Lawler pose lui-même la question qui circonscrit le problème, lorsqu’il écrit :

« Le pape François et ses ardents défenseurs nous assurent que le synode n’apportera aucun changement à la doctrine catholique. Mais quelle importance cela aura-t-il, si personne ne prête attention à la doctrine ? »

Non, cela n’aura pas d’importance. Le Synode ne changera pas la forme, mais la substance de la foi. Sur le modèle de Traditionis Custodes – et d’autres mesures, telles que la réorganisation des monastères contemplatifs – il avancera l’idée que ce qui sape la tradition, c’est la tradition elle-même. Ce qui nie la doctrine, c’est la doctrine elle-même.

On dit : le monde a changé. Le monde a toujours changé. En vérité, l’Église a changé. C’est peindre une pelouse en vert en disant aux gens qu’elle était orange.

Ce qui nous amène à la deuxième question : la nécessité de définir en quels termes l’homme, confiné par sa naissance à une poignée d’années, contribue à l’universalité d’une institution bimillénaire comme l’Église.

Plus précisément, il s’agit de savoir si cette universalité doit se développer dans un sens historique – par exemple, en accomplissant « l’esprit du Concile » – ou si elle doit se développer dans la courte vie du chrétien.

Dans le premier cas, celui de l’histoire, il s’agit de semer sans récolter. Changer l’Église, la réformer, la ”mettre à jour”, la révolutionner est un travail épuisant, sans issue : il s’agit de renouveler le renouvellement, de changer le changement, dans une spirale tautologique sans fin. En fait, dans la masse générale des changements, un sentiment de profonde lassitude et d’ennui prédomine.

L’empressement du pape François est révélateur d’une profonde anxiété. Moïse conduit les Hébreux vers la Terre promise, mais ayant gravement offensé Dieu, il n’y entrera jamais. L’œuvre de sa vie est contrariée par la limite infranchissable de la mort.

L’idée de la mise à jour perpétuelle est une idéologie issue de l’informatique: on met à jour quelque chose qui ne fonctionne pas, qui est fragile et défectueux.

Pour soutirer de l’argent aux clients, on leur dit que la nouvelle version est bien meilleure que l’ancienne, en leur mentant sur le fait qu’elles sont toutes deux inutiles et fastidieuses.

Dans le second cas, celui de la dimension personnelle, la question est de savoir ce que l’on croit. Pourquoi ? Pour le transmettre à ses enfants. Platon écrit que nous avons des enfants parce que nous mourons. Il y a une dimension éternelle même dans la vie terrestre, à condition de transmettre les choses éternelles, qui sont éternelles dans la mesure où elles ne changent pas.

C’est ce qui garantit la vitalité de la foi, et non l’existence de lois qui, aussi bonnes soient-elles, peuvent rester lettre morte.

En réalité, aucun pontife ne peut formellement changer quoi que ce soit. Il peut cependant rebattre les cartes, il peut « lancer des processus », « accompagner » quelqu’un vers ce qu’ « il croit être bon ».

Le pape François n’a probablement jamais eu l’intention d’enseigner quoi que ce soit. Il semble plutôt affirmer, en paroles et en actes, qu’il n’y a rien à enseigner, ce qui exclut nécessairement la question de la forme et du fond.

Si l’on en croit Thomas Stearns Eliot quand il écrit que « le monde ne finira pas dans un fracas mais dans un gémissement », à la suite du monde, l’Église finira de la même manière.

Mattia Spanò

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