Alors que le mot « identitaire » accolé à « catholique » est désormais considéré comme un gros mot (peut-être fait-il un peu peu peur, parce qu’il recouvre une réalité jeune et dynamique) par les médias, mais aussi, et c’est plus inquiétant, par le Pape lui-même, l’archevêque émérite de Trieste, un proche de Benoît XVI, fondateur de l’Observatoire international Cardinal Van Thuan pour la doctrine sociale de l’Eglise (dont Giuseppe Nardi nous rappelle très opportunément la genèse), lance un appel à cultiver une vraie « identité catholique »:

Les espaces de liberté pour les catholiques se réduisent de plus en plus jusqu’à disparaître. Alors que la sécularisation avance à grands pas, soutenue dans ses effets destructeurs par la nouvelle mondialisation du nihilisme éclairé, la patrouille des catholiques qui s’engagent sur la question sociale à la lumière de la doctrine sociale de l’Église se réduit. Nous sommes confrontés à une convergence opérationnelle très cohérente de nombreux centres de pouvoir. Aucun domaine n’est épargné.

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Les catholiques, laïcs et hommes d’Eglise, s’adaptent-ils à cette pression cohérente et unie qui vise à détruire la nature et le surnaturel, ou tentent-ils de s’y opposer ? Pour s’y opposer, il faut des idées, mais aussi des mains. S’ils ne le font pas ils ne resteront pas neutres dans un monde à part, mais seront imprégnés d’autres idées qui n’ont rien à voir avec les leurs.

« La liberté des catholiques se réduit, luttons pour elle ».

L’ARCHEVÊQUE GIAMPAOLO CREPALDI SUR L' »AGNOSTICISME CATHOLIQUE ».

Giuseppe Nardi
katholisches.info
13 septembre 2023

L’archevêque Giampaolo Crepaldi a tenu à Assise une lectio magistralis sur la doctrine sociale de l’Église et les menaces qui pèsent sur notre époque.

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Les 9 et 10 septembre, à Assise, à l’ombre de la basilique Santa Maria degli Angeli et de la chapelle de la Portioncule où mourut saint François, s’est tenu le congrès « Le Tavole di Assisi » sur la relance de la pensée chrétienne, conservatrice et identitaire. L’archevêque Giampaolo Crepaldi, éminent représentant de la doctrine sociale catholique et évêque émérite de Trieste, a prononcé le remarquable discours d’introduction.

La conférence était organisée par l’Observatoire international Cardinal Van Thuan pour la doctrine sociale de l’Eglise. Il porte le nom du cardinal vietnamien François Xavier Nguyên Van Thuân, qui fut évêque de Nha Trang de 1967 à 1975. En 1975, lorsque les communistes prirent aussi le pouvoir au Sud-Vietnam après la désastreuse guerre du Vietnam menée par les États-Unis, le pape Paul VI le nomma archevêque coadjuteur de Saïgon, rebaptisée Hô Chi Min-Ville par les nouvelles autorités. Deux jours après sa nomination, il fut arrêté et emprisonné pendant treize ans, dont neuf en isolement. En 1988, des efforts diplomatiques ont permis sa libération, qui a été couplée à son exil. Jusqu’à sa mort en 2002, il était considéré comme un « martyr vivant ». Sous le pontificat de Jean-Paul II, ce spécialiste reconnu de la doctrine sociale de l’Église est devenu vice-président du Conseil pontifical Justice et Paix (Iustitia et Pax) en 1994, puis président de 1998 à sa mort. En 2010, sa cause de béatification a été introduite.

Mgr Crepaldi a été sous-secrétaire de ce Conseil pontifical à partir de 1994 et secrétaire à partir de 2001. L’année suivant la mort de Van Thuan, il a fondé l’Observatoire international de la doctrine sociale de l’Église, qu’il a baptisé du nom du cardinal qu’il appréciait tant et dont il a été le président fondateur. Le philosophe politique Stefano Fontana, un autre éminent représentant de la doctrine sociale catholique, a été nommé directeur de l’Observatoire.

En 2009, le pape Benoît XVI a nommé Mgr Crepaldi évêque de Trieste et lui a conféré le rang d’archevêque ad personam en signe d’estime particulière. En 2022, Mgr Crepaldi a quitté la présidence de l’Observatoire.

Le pape François a fait preuve d’une moins grande bienveillance à son égard en le nommant évêque émérite de Trieste en février dernier, peu après avoir atteint l’âge de 75 ans.

Voici quelques extraits importants du discours d’introduction prononcé par Mgr Crepaldi lors de la conférence « Le Tavole di Assisi » du 9 septembre :


I- Nous devons retrouver la conviction que le christianisme et l’Église interviennent directement dans la vie sociale, non pas pour remplacer d’autres compétences claires et légitimes, mais pour orienter toute la vie publique vers son but véritable et ultime, à savoir la transcendance.

Nous devons retrouver l’idée, que Benoît XVI nous a également enseignée, que le Quaerere Deum [chercher Dieu] a des conséquences sociales directes, car il n’est pas possible de cultiver le sol inculte de la vie sociale sans avoir d’abord cultivé nos âmes. Comme je m’intéresse depuis toujours à la doctrine sociale de l’Église, je voudrais dire que sans ce préalable, même la richesse de la doctrine sociale est négligée. Si cet héritage est aujourd’hui en difficulté, comme il me semble, la raison profonde est dans la foi et aussi dans la raison, mais surtout dans la foi. Nous cédons trop au naturalisme et pensons que le monde n’a pas besoin du Christ de la foi, mais éventuellement seulement du Christ de la raison, pour ensuite descendre progressivement aussi de ce niveau et arriver au Christ de l’éthique mondialiste et donc au Christ de la conscience individuelle. C’est sur cette conclusion que se termine la discussion sur le christianisme dans la société. Je suis convaincu : Soit le christianisme et l’Église ont quelque chose de propre et d’unique à dire dans l’espace public, soit ce qu’ils disent se dissout dans l’une des nombreuses opinions exprimées dans le brouhaha quotidien, que l’on appelle à tort « débat public ».

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II- Si le christianisme et l’Église ont quelque chose de propre et d’unique à dire dans l’espace public, il s’ensuit que les catholiques ne peuvent pas collaborer avec tout le monde, car ils ne peuvent pas défendre n’importe quoi.

Benoît XVI a écrit : « Le Christ accueille tout le monde, mais pas tout ». Ce « tout » doit être examiné à la lumière de ce que l’Église a à dire sur la place publique en tant que chose propre et unique. Je suis conscient de souligner un aspect délicat et controversé dans l’Église d’aujourd’hui… Il ne suffit pas d’être nominalement d’accord sur la question de l’environnement pour collaborer avec tous ceux qui s’en préoccupent et s’y engagent. Il n’est pas non plus raisonnable de supposer que le sens de la coopération naîtra au cours du chemin de la coopération, car cela reviendrait à nier ce que j’ai dit plus haut, à savoir que l’Église a sa propre parole, unique, à dire sur la question sociale. On est frappé, négativement, par exemple par le nombre d’entités catholiques qui s’approprient aujourd’hui l’agenda 2030 de l’ONU.

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III- Je m’inspire de ces dernières réflexions pour proposer une autre évaluation sur un sujet que j’appellerais « l’agnosticisme catholique ». Si nous prenons par exemple le domaine de la morale, nous voyons aujourd’hui une tendance à dire que l’intellect ne peut pas prétendre voir avec sa propre lumière la « forme » d’une action, pas plus qu’il ne peut voir la « forme » des choses. Négliger les enseignements de Fides et ratio et de Veritatis splendor a des conséquences assez négatives. Par exemple, la forme concrète de l’adultère a tendance à ne plus être claire aujourd’hui, et la question de savoir si les absolus moraux (négatifs) peuvent être identifiés avec certitude n’est plus considérée comme importante. On pense que ces catégories cognitives sont abstraites et qu’elles nous empêchent de saisir l’expérience des gens…

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IV- Le nominalisme et l’agnosticisme sont aujourd’hui très présents chez les catholiques et les hommes d’Eglise, parfois sans la conscience nécessaire, et les rendent ouverts aux aventures, même les plus étranges. Il souligne également une certaine « liquidité » de l’être catholique dans la société, dans un activisme peut-être frénétique, mais improductif. L’ « agnosticisme catholique » est la raison même de l’oubli des « valeurs non négociables » dont nous a parlé Benoît XVI, un oubli qui absolutise la politique en lui permettant tout et la dévalorise en même temps en la rendant aveugle. La politique peut tout faire, mais aveuglément. Les dommages causés par l’oubli des valeurs non négociables sont excessifs, car la doctrine sociale de l’Église n’a plus rien d’essentiel à dire à une politique aussi réductrice.

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V- Mon impression en tant qu’évêque et en tant qu’observateur, ou plutôt en tant qu’évêque observateur, est que la boucle est bouclée et que les espaces de liberté pour les catholiques se réduisent de plus en plus jusqu’à disparaître. Alors que la sécularisation avance à grands pas, soutenue dans ses effets destructeurs par la nouvelle mondialisation du nihilisme éclairé, la manipulation des catholiques qui s’engagent explicitement et sans restriction sur la question sociale à la lumière de la doctrine sociale de l’Église, entendue comme l’annonce du Christ dans les réalités temporelles et non comme un simple humanisme vaguement solidaire et fraternel, se réduit. Nous sommes confrontés à une convergence opérationnelle très cohérente de nombreux centres de pouvoir. Aucun domaine n’est épargné.

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VI- A ce stade, une question grave se pose : les catholiques, laïcs et hommes d’Eglise, s’adaptent-ils à cette pression cohérente et unie qui vise à détruire la nature et le surnaturel, ou tentent-ils de s’y opposer ? Pour s’y opposer, il faut des idées, mais aussi des mains, ce qui nous ramène à ce qui a déjà été dit à plusieurs reprises plus haut : Le christianisme et l’Église ont quelque chose de propre et d’unique à dire au monde. S’ils ne le font pas, ou s’ils ne le font pas comme ils devraient le faire, ils ne resteront pas neutres dans un monde à part, mais seront imprégnés d’autres idées qui n’ont rien à voir avec les leurs.

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