Dans sa chronique hebdomadaire en anglais, Andrea Gagliarducci, continue sa passionnante exploration d’un pontificat imprédictible et déroutant. Cette fois, il examine les dernières nominations papales. Ce qui en émerge, c’est qu’il n’y a pas d’idée maîtresse, aucune ligne directrice, comme un puzzle auquel il manquerait des pièces pour pouvoir le reconstituer. Le Pape « marche en ziz-zag » et Dieu seul (et lui-même, peut-être) sait où il va. « Ceux qui manœuvrent en coulisses en profitent et n’ont aucun scrupule ». Au final, conclut le journaliste « Que restera-t-il de ce pontificat pour le moins imprévisible? « . C’est la question qu’il se pose semaine après semaine et dont nous n’aurons la réponse (peut-être) qu’ « un jour, quand l’histoire sera écrite »..

Pape François, l’imprévisibilité comme critère

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com
25 septembre 2023

La plus grande erreur commise dans l’interprétation du Pape François est probablement de chercher un critère standard pour ses décisions. Car, si l’on regarde les faits, le seul critère du Pape François est la réalisation des objectifs à court terme qu’il se fixe. Il n’y a pas de critère à long terme, ni de modus operandi défini. Il n’y a pas de véritable idée de contrôle. Il y a un plan, un désir d’amener l’Église à changer de mentalité, à être un « hôpital de campagne » et une Église tournée vers l’extérieur. Il n’y a pas d’idée maîtresse derrière ce plan.

Le pape François est difficile à comprendre simplement parce qu’il ne peut pas être placé dans les catégories du passé, mais aussi parce qu’il y aura difficilement des manières d’agir similaires à l’avenir. Les dernières décisions du pape François, ainsi que les choses que l’on pensait qu’il avait faites et qu’il n’a toujours pas faites, semblent confirmer cette image.

Ici, Andrea Gagliarducci énumère les dernières nominations, qui mises bout à bout, semblent n’avoir ni que ni tête. Je ne traduis pas cette partie, qui évoque des personnalités inconnues en France, sauf la dernière, le père Antonio Spadaro, qui était directeur de la revue jésuite La Civiltà cattolica, et comme tel, porte-parole officieux de la pensée insaisissable de son patron, et qui est aujourd’hui nommé sous-secrétaire du dicastère de la culture et de l’éducation.

Le problème est que chaque décision donne lieu à mille spéculations, et que toutes ne sont pas correctes. Il est extrêmement difficile de lire dans l’esprit du pape François. Mais s’il n’y a pas de modus operandi, quel est le plan du pape François ?

Comme nous l’avons dit, le pape semble penser en termes d’objectifs à court terme, ce qui lui permet de prendre une décision puis de changer complètement d’approche. Cela s’est également produit dans plusieurs cas. Par exemple, le pape a d’abord défendu l’épiscopat chilien sur la question des abus au Chili. Ensuite, il a convoqué les évêques chiliens à deux reprises, ce qui a entraîné la démission en bloc de l’épiscopat chilien. Ou encore, concernant le responsum de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui refusait la possibilité de bénir les couples homosexuels, le pape l’a d’abord approuvé, puis a laissé entendre qu’il aurait préféré une approche plus soft.

C’est l’idée de la soi-disant réforme en cours. L’objectif du pape n’est pas de changer la doctrine de manière formelle. En effet, la formalité ne fait pas partie du bagage culturel du pape François. Les documents les plus utilisés pour prendre des décisions sont les motu proprio, les plus populaires pour envoyer des messages sont les exhortations apostoliques, et les plus utilisés pour des décisions rapides sont les rescrits.

Le pape François écoute tout le monde, mais il n’y a pas de synodalité d’écoute dans sa prise de décision. Souvent, ses décisions sont dictées par l’instinct ; elles proviennent d’une conversation, mais souvent pas d’une pesée de tous les points de vue.

Cette situation peut être contre-productive. Les réformes restent au point mort jusqu’à ce que le pape prenne une décision, car il est difficile et risqué d’agir de manière indépendante. Il y a peu d’esprit d’initiative au Vatican, ce qui nuit à la vitalité de l’institution. Il y a aussi de la suspicion parce que le pape François compare souvent deux situations, utilise des canaux parallèles et met en concurrence différents interlocuteurs.

Si cela a du sens à un certain niveau, cela conduit à coup sûr à un paysage imprévisible. Ceux qui manœuvrent en coulisses en profitent et n’ont aucun scrupule.

  • Un jour, quand l’histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi le pape a voulu le processus judiciaire en cours au Vatican sur la gestion des fonds de la Secrétairerie d’État, à propos de laquelle de nombreuses contradictions sont déjà apparues.
  • Un jour, quand l’histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi, dans l’affaire Rupnik, il n’y a pas eu de coordination entre les Jésuites, le vicariat et le Dicastère pour la doctrine de la foi dans la gestion non seulement de l’affaire mais aussi de la communication de l’affaire.
  • Et un jour, quand l’histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi, malgré les avertissements du Pape lui-même, le Synode de l’Eglise en Allemagne avance sans changer une virgule, en visant directement son objectif.

Le pape François, cependant, suivra les situations au cas par cas, selon la logique du discernement, qu’il demande d’appliquer également dans la confession. Mais dans la confession, il s’agit de faire face à des personnes en chair et en os, souvent désorientées, qui veulent prendre un nouveau départ et laisser derrière elles leurs erreurs. Au contraire, lorsqu’il s’agit de gouverner, le principe de réalité appliqué alternativement risque de ne créer que de la confusion.

Beaucoup parlent d’une phase finale du pontificat, qui peut durer des années. Dans cette phase finale, le pape François accélère les réformes et la construction d’une équipe de fidèles. L’arrivée de Victor Fernandez à Rome comme préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi en est un exemple. Le pape François a besoin que ses réformes soient protégées, soutenues et expliquées. Le projet du pape semble cependant être de rompre avec le passé, en imposant un nouveau modèle d’Église moins institutionnelle, plus proche des gens, et surtout, avec un leader aimé [???] .

L’idée de changer de narratif est née lors du conclave qui l’a élu. Mais le changement de narratif suffira-t-il à aider l’Église à se réformer ?

Que restera-t-il, au final, de ce pontificat pour le moins imprévisible ?

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