Décidément, ce pape est insaisissable, imprévisible, ingérable. Il est surtout politique, bien que cela ne soit pas vraiment son rôle. Dans le conflit russo-ukrainien, il poursuit, au grand dam des occidentaux, qu’il flatte par ailleurs sur tous les sujets sociétaux, et des instances vaticanes, son chemin parallèle vers une paix hypothétique. Un peu sur le modèle du « Secret du Roy », sous Louis XV. Qu’il obtienne des succès, ou fasse de retentissants flops, c’est une autre question. Pour garder le contact avec le Kremlin, il active son propre réseau, qui passe cette fois par un jeune couple russe, les Sevastyanov, qu’il a nommés « ambassadeurs de la paix dans le monde »: la femme est une charmante cantatrice du Bolchoï (ce n’est pas insignifiant, car François apprécie les jolies femmes) et le mari à la tête de l’Union mondiale des Vieux-Croyants, une tendance ultra-minoritaire de l’orthodoxie russe proche du patriarcat de Moscou (pour autant que j’ai compris). Le couple vient d’être reçu par le Pape, hors des radars des médias et sans que la communication du Vatican en soit informée. Compte-rendu de Giuseppe Nardi, toujours remarquablement informé.

Le fait est que Sevastyanov, avec l’approbation de François, agit en Russie comme « une sorte de « porte-parole du pape ». Le fait est également que cette diplomatie parallèle de François irrite beaucoup de monde au Vatican et, bien sûr, indigne tous ceux qui prennent parti pour l’Ukraine dans la guerre actuelle.

Le « porte-parole russe du pape » reçu par François

UNE DIPLOMATIE PARALLÈLE POUR LA PAIX

Giuseppe Nardi
katholisches.info
26 septembre 2023

Papst Franziskus mit dem Ehepaar Sewastjanow
Le pape François avec le couple Sébastyanov

Leonid Mikhaïlovitch Sevastyanov, chef de l’Union mondiale des Vieux-Croyants, ami du pape François, a été reçu hier en audience par ce dernier au Vatican. C’est l’agence de presse publique russe Ria Novosti qui l’a rapporté, tandis que les médias ecclésiastiques et occidentaux sont restés muets à ce sujet. Comme c’est souvent le cas, François a laissé à son invité le soin d’informer le public de cette rencontre.

Selon Sevastyanov, François est convaincu que de plus en plus de chancelleries reconnaissent l’inutilité des livraisons d’armes, ce qui rend le chef de l’Eglise optimiste quant à la possibilité d’ouvrir bientôt la voie à des négociations de paix.

Sevastyanov a dit textuellement :

« Nous avons parlé du plan de paix entre l’Ukraine et la Russie. Le Pape est optimiste car il voit que de plus en plus de pays occidentaux sont favorables à l’idée que le conflit en Ukraine et les livraisons d’armes n’ont pas de sens. Le Pape estime qu’il ne peut y avoir de victoire sur le champ de bataille. Toute victoire doit se faire à la table des négociations. Il est nécessaire de développer un algorithme qui satisfasse toutes les parties au conflit ».

Le chef de l’Eglise catholique aurait appelé la Russie à ne pas rompre ses relations avec l’Occident. François se serait au contraire prononcé en faveur de l’intégration économique de la Russie et contre les sanctions et les restrictions économiques.

Ria Novosti cite Sevastyanov qui déclare:

« Le Pape transmet ses salutations et sa bénédiction à la Russie. Il réaffirme que la Russie est un grand pays, que le peuple russe, la langue et la culture sont grands. Le Pape a déclaré qu’il n’honorait pas moins la culture russe que la culture espagnole. Selon lui, la culture russe a donné au monde une « grande couche » d’écrivains, de théologiens et de saints. Il dit prier pour le peuple russe et souhaite qu’il trouve la possibilité de conclure une paix juste à long terme ».

Imperturbable, François maintient son cap malgré toutes les critiques en Ukraine et en Occident – c’est jusqu’à présent l’écart le plus significatif par rapport à un cap par ailleurs très favorable aux élites occidentales. Mais le chef de l’Eglise ne s’oppose pas pour autant à l’ONU, neutralisée par les positions contradictoires au sein du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Grande-Bretagne et France d’un côté, Russie et République populaire de Chine de l’autre).

Les Vieux-croyants de Russie

Les « Vieux-croyants russes » sont une tendance de l’orthodoxie russe qui remonte au XVIIe siècle, lorsqu’une partie de l’Eglise orthodoxe russe a rejeté une réforme liturgique du patriarche de Moscou de l’époque, Nikon (1651-1660), la jugeant « trop romaine ». Comme il a pu être prouvé que les Vieux-Croyants différaient du rite russe mais pas du rite byzantin ancien, l’État a levé toutes les restrictions en 1905 et le Patriarcat de Moscou a également levé l’interdit ecclésiastique à leur encontre en 1971.

On estime aujourd’hui le nombre de Vieux-croyants en Russie à 1% de la population totale.

L’Union mondiale des Vieux-Croyants a été fondée par Leonid Sevastyanov en 2019 pour représenter les intérêts des Vieux-Croyants, pour lesquels il est déjà actif depuis 2010 dans différents comités, notamment la Fondation Saint-Georges, liée au Patriarcat de Moscou, et le Comité de contact des communautés de Vieux-Croyants de Moscou. Dans ce cas précis, il s’agit moins de leur force numérique que du contact personnel entre Leonid Sevastyanov et le pape François.

Leonid Sevastyanov

Sébastyanov, qui a étudié en Europe occidentale et aux Etats-Unis, a annoncé au début de l’année qu’il entretenait une correspondance suivie avec le chef de l’Eglise catholique à propos de la guerre en Ukraine. Les liens entre les deux hommes sont cependant bien plus anciens et concernent également son épouse, la chanteuse d’opéra Svetlana Kassian, d’origine géorgienne, yézidie à l’origine.

Les Sévastianov avec le pape François

Le pape François avait reçu Kassian en audience en novembre 2013 après un concert organisé par le cardinal Ravasi et le Conseil pontifical de la culture. D’autres audiences ont suivi. La chanteuse a fêté son 35e anniversaire en 2019 au Vatican avec le pape François, qui l’a reçue avec un gâteau et des bougies allumées. Lorsque Kassian a fait ses débuts dans le rôle d’Aida à l’Arena de Vérone le 3 septembre de la même année, le pape François lui a envoyé un bouquet de fleurs dans sa loge et lui a souhaité des débuts réussis. Le contact de Sevastyanov avec le pape semble avoir été établi par l’intermédiaire de sa femme. Le plus jeune enfant du couple, leur fils né le 29 juillet 2022, a été nommé en l’honneur du pape François.

Le 5 mai 2022, le pape a nommé le couple « ambassadeurs de la paix dans le monde ».

En mai dernier, Sevastyanov a demandé, au nom de l’Union mondiale, l’interdiction de l’avortement en Russie, car seules des mesures claires pourraient réellement influencer le changement démographique souhaité par le gouvernement.

Dans ses efforts de paix, Sevastyanov n’est pas « un homme de Poutine », mais du pape qui, comme dans d’autres cas, poursuit ses propres initiatives parallèlement et indépendamment de la diplomatie vaticane. Et c’est là qu’intervient le fait que Sevastyanov dispose de bons contacts à la fois avec le Kremlin et le Patriarcat de Moscou. Ce dernier a subi un revers lorsque le principal interlocuteur de Sevastyanov, le « ministre des affaires étrangères » du Patriarcat, le métropolite Hilarion, a été démis de ses fonctions quelques mois après le début de la guerre et transféré en Hongrie.

Le fait est que Sevastyanov, avec l’approbation de François, agit en Russie comme « une sorte de « porte-parole du pape ». Le fait est également que cette diplomatie parallèle de François irrite beaucoup de monde au Vatican et, bien sûr, indigne tous ceux qui prennent parti pour l’Ukraine dans la guerre actuelle.

Mais le fait est aussi que François attire davantage l’attention par ces canaux que par les canaux officiels.

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