A moins d’une semaine de l’ouverture des travaux, Stefano Fontana pose une question cruciale; y aura-t-il une exhortation post-synodale, avec le Pape qui rassemble les contenus des débats et en fait sa propre synthèse, devenant ainsi magistère, comme le veut la tradition? Ou bien les conclusions du Synode seront-elles considérées comme magistère à part entière ?

Du synode à la synodalité, voilà comment la praxis devient doctrine

Stefano Fontana
La NBQ
30 septembre 2023

Les précédents de ce pontificat suggèrent que les conclusions du synode deviendront elles-mêmes Magistère sans qu’il soit nécessaire que le pape intervienne par une Exhortation post-synodale. Un autre signe de rupture avec la tradition.

A propos du Synode sur la synodalité qui s’ouvrira le 4 octobre prochain, il est légitime de poser une question apparemment étrange : ce Synode sera-t-il suivi d’une Exhortation Apostolique post-synodale du Pape, ou bien les conclusions du Synode seront-elles considérées comme un Magistère à part entière ? La question n’est pas oiseuse et concerne le nouveau concept de synodalité compris comme un processus et comme une prise de décision après écoute mutuelle, considérée comme une écoute de la voix de l’Esprit Saint. Pour comprendre le problème, revenons rapidement au Synode sur la famille de 2014 et 2015 et à l’exhortation Amoris Laetitia.

Nous nous souvenons tous très bien que dans cette exhortation, François ne voulait rien dire de différent de ce que le Synode avait dit, en particulier dans son document final. Au paragraphe 5, nous lisons :

« J’ai jugé opportun de rédiger une exhortation apostolique post-synodale qui rassemble les contributions des deux récents synodes sur la famille, en y associant d’autres considérations susceptibles d’orienter la réflexion, le dialogue et la praxis pastorale, tout en encourageant, en stimulant et en aidant les familles dans leur engagement et leurs difficultés ».

A la lecture de ce passage, il semble que le Pape ait simplement voulu reprendre les conclusions du synode en y ajoutant quelque conseil pastoral et parénétique [discours moraliste, ndt]. Il est vrai qu’il les a ainsi transformées en magistère, mais cela semble faire allusion à une diminution de son propre rôle, qui se limite à recevoir et non à interpréter et à développer. Amoris Laetitia ne s’élève pas beaucoup au-dessus des conclusions du Synode. Formellement, elle reste une exhortation apostolique post-synodale, mais matériellement, elle renvoie aux conclusions des pères synodaux. En effet, le Motu Proprio Episcopalis communio du 15 septembre 2018 sur la nouvelle constitution des synodes précise que le pape pourra même ne plus rédiger d’exhortation apostolique post-synodale mais simplement confirmer les conclusions du synode, qui deviendraient ainsi automatiquement magistère.

La question se complique si l’on rappelle deux aspects résolument nouveaux.

Le premier concerne le fait que, dans le document final du synode sur la famille, le pape a voulu faire figurer deux articles qui ont été rejetés par une majorité de l’assemblée et, par conséquent, formellement rejetés, mais qui pourraient être considérés comme du magistère.

La seconde concerne ce qui s’est passé au synode sur les jeunes en 2018 où il est même arrivé que le document final dise qu’il devait être lu à la lumière du document préparatoire, avec lequel ce dernier devenait également magistère.

Pour ces raisons, dans un petit livre que j’ai consacré au Synode sur la famille et à Amoris laetitia [« Esortazione o Rivoluzione: tutti i problemi di Amoris laetitia« , 2019] je me suis demandé si elle serait la dernière exhortation apostolique. Dans cet affaiblissement magistériel des textes synodaux et de l’exhortation post-synodale elle-même, qui contraste avec son interprétation dogmatique courante comme si toute la tradition devait être réinterprétée à sa lumière, émergeait déjà l’idée de synodalité comme processus qui produirait de la praxis et non de la doctrine. Bien sûr : une praxis qui nécessiterait une nouvelle doctrine… mais dans le temps et avec le temps.

Rappelons aussi que nulle part dans Amoris laetitia il n’est dit expressément que les divorcés remariés peuvent avoir accès à la communion. Ensuite, les évêques de la région de Buenos Aires ont dit : nous le faisons, nous les admettons à la communion. C’est-à-dire qu’ils ont mis en œuvre une praxis, que le pape a confirmée par une lettre qui s’est retrouvée plus tard dans les Acta Apostolicae Sedis. Une praxis… et la doctrine ? Laissons faire le temps…

Notre question initiale a donc un fondement et touche un point central dans l’évolution du synode à la synodalité.

Le théologien Giacomo Canobbio a écrit dans les deux principales revues théologiques du nord de l’Italie, celle de Milan et celle de Padoue, qu’au fur et à mesure que le synode passera du stade consultatif au stade délibératif, des décisions devront être prises et qu’elles nécessiteront sans l’ombre d’un doute l’utilisation du vote démocratique. Même avant, les articles des documents synodaux étaient mis aux votes, mais ensuite tout finissait entre les mains du pape et une exhortation apostolique post-synodale voyait le jour. (Je rappelle entre parenthèses que François a lui aussi bénéficié de cette méthode, en écrivant Evangelii gaudium, une Exhortation apostolique post-synodale liée au Synode sur l’évangélisation qui avait été convoqué par Benoît XVI. Evangelii gaudium ne tient pas compte des travaux de ce synode puisque François en a fait le manifeste de son pontificat, prouvant ainsi la centralité de Pierre dans les processus synodaux (du moins jusqu’alors).

Aujourd’hui, en revanche, le passage au pape pourrait ne plus exister, ou n’être que formel, de sorte que l’utilisation de la méthode démocratique concernerait directement les questions doctrinales, devenant immédiatement magistérielle. Canobbio poursuit son raisonnement en ajoutant que si, après le synode sur la synodalité, le dernier mot revenait encore au pape, eh bien, tout aurait été inutile et nous serions revenus à la case départ, régressant de synodalité en synodalité.

Comme on le voit, la question de savoir s’il y aura encore une exhortation apostolique post-synodale au sens traditionnel du terme est fondamentale pour savoir si la nouvelle synodalité rompt définitivement avec la tradition. Amoris laetitia constitue un précédent important en ce sens, et tout porte à croire qu’il en sera de même cette fois-ci, et a fortiori compte tenu de la nouvelle définition de la synodalité comme processus, qui renvoie à une praxis en cours, non nécessairement guidée par la doctrine, mais elle-même source (factuelle) de doctrine.

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