Décidément, le petit film publicitaire réalisé pour une chaîne de supermarchés mettant en scène une petite fille (adorable et touchante, ce qui ne gâche rien: elle n’a pas la « tête à claques » que les agences de pub croient judicieux de choisir pour incarner l’enfant-consommateur-qui-fait-la-leçon-à-ses-parents) qui souhaite seulement vivre avec son papa et sa maman, n’en finit pas de susciter des commentaires. Un fait de société (le désir d’une vraie famille) montré de façon positive à travers les yeux d’un enfant pourrait-il être le début d’un tournant.? Pourquoi pas? Marcello Veneziani suggère qu’ « il est légitime de penser que la fin de l’histoire n’est pas déjà écrite et dans le sens que vous dites. Miracles d’une pêche hors saison ».

La pêche bienfaisante
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La semaine qui vient de s’achever a tourné autour d’une pêche ; le fruit que la petite fille offre avec un mensonge angélique à son père séparé, en lui disant que sa mère le lui a envoyé, afin de les rapprocher.

Quand j’ai vu cette publicité pour la première fois, la polémique n’avait pas encore éclaté, et j’ai d’abord pensé, ou peut-être espéré, qu’il s’agissait d’un message ministériel, pour promouvoir la famille malgré les divorces et les ruptures, et pour le faire du point de vue des enfants.

Mais non, le seul vrai message d’amour familial à la télévision n’est pas venu du gouvernement, mais d’une publicité d’Esselunga. Mais, si vous permettez, c’est une petite révolution prometteuse qui vient de la société, des coutumes, de la perception des vraies sensibilités des gens, et non des institutions, de la politique et de ses structures modifiées.

Après les années de la famille heureuse du Mulino Bianco [marque de biscuits du groupe Barilla] et autres, le message woke domine depuis des années la publicité, à laquelle l’Australien Carl Rhodes a consacré une analyse « Le capitalisme woke » (Woke Capitalism: How Corporate Morality is Sabotaging Democracy), dénonçant « la façon dont la moralité des entreprises menace la démocratie ».

En quelques secondes de publicité, il faut supporter les sempiternelles allusions à un monde meilleur, à une société multiethnique, à la fluidité, au globalisme ; il doit y avoir un amant gay ou lesbien, un homme ou une femme noir, parfois même un Asiatique jaune, et peut-être une personne handicapée et une référence verte, éco-durable, parmi les protagonistes de la publicité. Mais la publicité dominante est celle du culte de soi, de la satisfaction de soi, de la mythification de soi avec des produits miracles, des crèmes, des voitures, des pilules et des suppléments.

Et puis, tout d’un coup, vous tombez sur une publicité différente, qui ne renvoie pas au monde doré des faux moulins [de Barilla] de grand-mère, des vallées jardinées et de l’italianisme gâteux, ni à la famille d’antan. Mais elle photographie une vraie famille d’aujourd’hui, avec les parents séparés, l’enfant un peu triste mais réceptif, qui veut réparer les ponts entre papa et maman et le fait en utilisant une pêche. La pêche bénie a la fonction inverse de la pomme du péché, elle ramène au paradis, au petit paradis du quotidien familial, du moins vu à travers les yeux d’une petite fille.

Tendre, touchant, Giorgia Meloni a raison de vanter le spot et son message, déclenchant la réaction inverse des chiens pavloviens : dès que Meloni dit quelque chose, ils aboient et mordent la cible. Mais même les exégèses des journaux officiels ont été mi-figue mi-raisin [hanno fatto i pesci in barile], disant du bien et du mal de la publicité et éludant le message le plus fort. Et si cette pensée positive, ce petit amour pour la réalité, cet élan vers l’union, était un tournant, alors que le catéchisme de la guerre et ses sanctuaires font rage ?

Soyons clairs : ceux qui font une publicité ne sont pas motivés par des idéaux ou des pulsions éthiques et morales : les adeptes du woke comme les créateurs de la publicité d’Esselunga veulent vendre leurs produits. Mais les vendre d’une manière plutôt que d’une autre est un choix important. Et puis, il y a une sorte d’hétérogénéité des fins, où les intentions du client ou des créateurs eux-mêmes sont parfois détournées, interceptent d’autres chemins et atteignent des résultats non voulus et non pensés à l’origine.

L’enfant ment pour le bien, ce que l’Eglise appelait pia fraus, la fraude pieuse, ou ce que Platon appelait le mensonge salutaire. Elle ne le sait pas, elle le fait instinctivement, mais cette propension naturelle au bien, cette pêche d’amour et de charité, est un message finalement positif, dans son naturel désarmant. C’est un éloge continu et martelant de la libération et de la liberté retrouvée des individus, les enfants ayant disparu du récit public dans leur lien affectif, sauf comme aspiration de ceux qui ne peuvent pas en avoir, notamment les couples homosexuels ou ceux qui pensent à des utérus à louer, à l’insémination artificielle.

Il s’agit ici d’une enfant née de l’union d’un homme et d’une femme, qui a la nostalgie de sa famille unie ; elle voudrait retrouver les personnes qu’elle aime le plus et qui l’aiment le plus ; ne serait-ce pas là les meilleurs messages à faire passer à partir des vidéos et de tous les organismes publics, de l’école au web, en passant par les autres médias, les associations, les institutions ?

Est-il vraiment pénible, insupportable de sortir des sentiments les plus intimes, les plus vrais, les plus sans défense et les plus tendres, comme ceux d’un enfant à l’égard de ses parents et vice versa ?

Mais faut-il attendre un supermarché, une campagne promotionnelle de son marketing, pour voir circuler ces histoires et pour voir représentés ces sentiments, eux aussi très répandus ?

Je connais de jeunes familles qui, malgré leurs imperfections, sans photos idylliques ou édulcorées, vivent bien leur unité familiale, leur amour réciproque avec leurs enfants. Et je connais des familles de séparés qui pourraient potentiellement trouver dans une pêche de la Providence l’occasion de repenser leur séparation et de réparer des relations déchirées.

Pourquoi, au contraire, les représentations publiques, cinématographiques, publicitaires et médiatiques ne nous parlent-elles que de familles dans lesquelles se produisent des abus, des crimes, des querelles et des violences, ou ne nous montrent-elles que des modèles opposés à ceux de la famille naturelle et traditionnelle ? Il existe, et personne ne peut le nier, d’autres types d’union, mais pourquoi ceux-ci doivent-ils devenir le paradigme des familles et des couples ?

J’aime à penser que dans un climat modifié, d’autres fruits spontanés de cette remise en cause de la réalité peuvent surgir ici et là et atteindre des sphères jusqu’ici réfractaires, comme le cinéma, la fiction, le théâtre, l’art.

Il n’est pas exclu que dans ce repositionnement des messages, il y ait aussi la considération astucieuse et opportuniste de surfer sur le changement politique, la vague de droite, généralement simplifiée par la triade Dieu, patrie et famille. La ruse de l’histoire, la main de la providence, le court-circuitage de certaines idéologies et leur retour de bâton ; pensez ce que vous voulez, mais il est légitime de penser que la fin de l’histoire n’est pas déjà écrite et dans le sens que vous dites. Les miracles d’une pêche hors saison.

Marcello Veneziani
La Verità, 1er octobre 2023

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