Roberto de Mattei brosse un tableau de la situation qui essaie de garder un juste milieu, en reconstituant une chronologie correcte des derniers évènements (mais il la trouve peu importante, ce qui est contestable: la chronologie a au moins l’importance de mettre en évidence l’attitude du Pape, sa mauvaise foi, indigne de sa Fonction suprême) mais aussi en donnant une voix aux critiques des 5 cardinaux. On perçoit ses propres réserves, et on ne peut que constater que le front de la tradition s’est brisé... sans doute en 2020. C’est dommage

Roberto de Mattei
4 octobre 2013

Le 4 octobre, en la solennité de saint François d’Assise, s’est ouverte la XVIe Assemblée ordinaire du Synode des évêques sur la « synodalité ». De nombreuses déclarations contradictoires et polémiques ont précédé et accompagnent l’événement. Le 2 octobre, face aux « diverses déclarations de certains hauts prélats (…. ) manifestement contraires à la doctrine et à la discipline constantes de l’Église, et qui ont engendré et continuent d’engendrer parmi les fidèles et les autres personnes de bonne volonté une grande confusion et une chute dans l’erreur », cinq cardinaux ont annoncé qu’ils avaient fait part au Pontife romain de leur « très profonde préoccupation », en soumettant au pape François cinq dubia sur certaines questions concernant l’interprétation de la Révélation divine, la bénédiction des unions homosexuelles, la synodalité comme dimension constitutive de l’Église, l’ordination sacerdotale des femmes, et le repentir comme condition nécessaire à l’absolution sacramentelle (ici).

Les cinq cardinaux sont l’Allemand Walter Brandmüller, l’Américain Raymond Leo Burke, le Mexicain Juan Sandoval Íñiguez, le Guinéen Robert Sarah et le Chinois Joseph Zen Ze-kiun, qui se disent à leur tour certains que le défunt cardinal George Pell « partageait ces ‘dubia’ et aurait été le premier à y souscrire ».

Le même 2 octobre, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi a publié une réponse du Pape François aux dubia, qui, comme les dubia eux-mêmes, était antérieure à la publication (ici).

En effet, le 10 juillet 2023, les cinq cardinaux ont remis leurs dubia au pape et au préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi. Le lendemain, 11 juillet, François a répondu par une lettre de sept pages en espagnol. Cette réponse a été jugée insatisfaisante par les cinq cardinaux, qui ont reformulé leurs dubia le 21 août de telle sorte que le pape devait y répondre par un « oui » ou un « non », « pour susciter une réponse claire fondée sur la doctrine et la discipline pérennes de l’Église ». N’ayant pas reçu de réponse, les cinq cardinaux ont décidé de rendre leurs dubia publics le 2 octobre.

La chronologie des événements n’a toutefois qu’une importance secondaire [pas du tout!]. Le fait est que, selon François, sa lettre du 11 juillet est également destinée à répondre aux nouveaux dubia du 21 août. La réponse du pape soulève cependant encore plus de questions que celles qui ont provoqué les dubia des cardinaux. En effet, le Pape utilise l’expédient dialectique utilisé dans Amoris laetitia pour contredire, ou du moins affaiblir, la règle générale de la foi par le biais du cas concret. Un exemple est donné par l’un des points les plus controversés, celui de la bénédiction des couples homosexuels. Le pape semble d’abord confirmer la doctrine traditionnelle, mais il ajoute ensuite que dans « certaines circonstances », il serait laissé au discernement des prêtres de s’écarter de la règle. C’est ainsi que son langage ambivalent a été interprété, sans démenti, par la presse internationale.

À la veille de l’ouverture du Synode, le Dicastère pour la doctrine de la foi a répondu en des termes similaires à l’archevêque émérite de Prague, Dominik Duka, qui, au nom de la Conférence épiscopale tchèque, avait posé dix questions concernant l’accès aux sacrements pour les divorcés remariés. Le Dicastère a répondu que le Pape « permet dans certains cas, après un discernement adéquat », la possibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements, même sans rester chastes, précisant que cette indication doit être considérée comme « le Magistère ordinaire de l’Eglise ».

Face à cette situation, certains ont fait remarquer que la présentation des dubia est utile lorsqu’elle permet au Pape de réaffirmer clairement la doctrine catholique, mais pas lorsqu’elle a pour effet d’accroître la confusion parmi les fidèles. D’autres ont objecté que cinq cardinaux, sur 242, soit le nombre de cardinaux que compte aujourd’hui le Collège des cardinaux, représentent une minorité insignifiante. De plus, aucun de ces cinq cardinaux n’occupe de poste de responsabilité à la Curie ou dans les diocèses et, qui plus est, trois d’entre eux ont plus de 90 ans. En revanche, tous doivent admettre que les dubia sont raisonnables, bien construits et surtout cohérents avec le Magistère pérenne de l’Église. Leur importance réside dans ce qu’ils manifestent : l’existence d’un fort malaise face au processus révolutionnaire qui assaille l’Église.

D’aucuns ont souligné que le modèle des dubia n’est pas la forme la plus élevée de dissidence que l’on puisse légitimement avoir à l’égard des autorités ecclésiastiques. La Correctio filialis du 16 juillet 2017 [dont de Mattei avait été l’un des instigateurs] a été l’expression la plus forte de la résistance au pape François, dans les limites de ce que permet le droit canonique.

Cependant, malgré le grand impact de la Correctio filialis, la force des dubia est bien plus significative, car les auteurs ne sont pas des théologiens ou des intellectuels, mais des cardinaux de la Sainte Église romaine, collaborateurs directs du pape, qui ont parmi leurs tâches celle, très élevée, d’élire le vicaire du Christ. Aucune voix ne pourrait donc s’exprimer avec plus d’autorité.

Il faut d’ailleurs ajouter que le cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la doctrine de la foi, invité par le pape François à participer au synode, bien que ne faisant pas partie des signataires du document, l’a publiquement approuvé. Il n’est pas non plus exclu que d’autres cardinaux ou évêques expriment leur soutien dans les jours ou les semaines à venir puisque, comme l’a déclaré le cardinal Burke dans son discours du 3 octobre au Colloque de la NBQ, « de nombreux frères dans l’épiscopat et aussi dans le Collège des cardinaux soutiennent cette initiative, même s’ils ne figurent pas sur la liste officielle des signataires ».

Il convient également de noter que François n’a pas traité les cinq cardinaux comme des rebelles ou des hérétiques, mais qu’il a montré qu’il prenait leurs questions au sérieux. Dans sa réponse à la troisième question des cardinaux, François s’est adressé à eux en déclarant, avec une pointe d’ironie : « Par ces questions, vous manifestez votre besoin de participer, d’exprimer librement votre opinion et de collaborer, demandant ainsi une forme de « synodalité » dans l’exercice de mon ministère ». Il est clair que dans la perspective « politique » du Pape François, il y a l’idée de transformer le Synode en un « parlement » de l’Église, avec des partis et des courants qui s’affrontent de manière dialectique, mais il est également vrai qu’aucune censure ne peut être exercée à ce stade contre ceux qui expriment publiquement leur fidélité à la doctrine de toujours.

Il y en a aussi qui, dans le camp traditionaliste, critiquent les cardinaux pour ne pas avoir explicitement déclaré que les déviations du Synode sont une conséquence des erreurs du Concile Vatican II. Il est vrai que le groupe de travail qui a assisté les cardinaux, notamment dans la diffusion du document, est composé d’ecclésiastiques et de laïcs adeptes de ce que l’on appelle l' »herméneutique de la continuité ». Les Dubia, cependant, n’expriment pas cette ligne, qui a historiquement échoué et est incapable de rassembler autour d’elle une résistance authentique au processus d’autodémolition de l’Église, et qui peut être partagée par un large éventail comprenant non seulement les traditionalistes et les conservateurs, mais aussi tout catholique qui juge les événements de l’Église à la lumière de la vraie foi et de la saine raison.

D’autre part, en cette période de confusion, chaque armée déploie ses troupes et chaque régiment hisse ses drapeaux. Ce n’est pas une coïncidence si, le jour même où les cardinaux ont publié leur « Notification », l’archevêque Carlo Maria Viganò a publié un discours dans lequel il exprime ses convictions sur l’invalidité de l’élection du pape François en raison d’un « vice de consensus ». François, selon Monseigneur Viganò, aurait obtenu l’élection par la fraude, se proposant de faire « l’exact contraire de ce que Jésus-Christ a demandé à Saint Pierre et à ses Successeurs : confirmer les fidèles dans la Foi » (ici).

Entre ceux qui considèrent François comme le pape légitime, bien qu’indigne, et ceux qui le considèrent comme un usurpateur, élu avec l’intention de détruire l’Église, il y a une distinction qui n’est pas seulement de langage, mais de contenu. En cette heure de profonde affliction pour l’Église, il y a un fossé entre ceux qui considèrent François comme un « antipape » et ceux qui prient, comme nous le faisons, pour que le Seigneur « ne tradat eum in ánimam inimicórum éius ».

Pendant ce temps, à Rome, comme l’écrit Guido Horst dans le Tagespost, la principale question posée par les évêques, archevêques et cardinaux rassemblés ne concerne pas les sujets débattus lors du synode, mais une autre : « Qui sera le prochain pape ?

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