L’analyse du conflit israélo-palestinien par Roberto Mattei , qui étend sa réflexion à la situation d’un monde où l’Occident, affaibli, déboussolé, sans racines, est en train de perdre la partie, désigné par le monde arabe, mais aussi par la Russie et la Chine, dans ce cas alliés « objectifs », comme l’ennemi à abattre. Et pendant ce temps-là, une Eglise à la dérive a abandonné sa mission… et son troupeau.

L’Occident en guerre

Roberto de Mattei, 13 octobre 2023

« Allah Akbar ! » « Allah est grand ! » Ce cri a résonné dans le monde entier à travers les vidéos qui documentaient la violence des militants islamiques contre les femmes, les enfants et les jeunes de toutes nationalités, massacrés ou kidnappés, le 7 octobre 2023, alors qu’une avalanche de missiles s’abattait sur Israël. La même invocation « Allah Akbar ! » a retenti les jours suivants sur les places arabes et les réseaux sociaux occidentaux pro-islamiques, célébrant l’agression du Hamas contre Israël. Peu importe que cela se soit passé sur le territoire israélien plutôt que sur le sol européen. Ce qui compte, c’est qu’une nouvelle guerre a été déclarée.

L’attaque a eu lieu à l’aube d’un jour symbolique pour l’Occident, l’anniversaire de la victoire de Lépante le 7 octobre 1571, tout comme l’attaque des Twin Towers le 11 septembre a coïncidé avec l’anniversaire de la libération de Vienne des Turcs les 11-12 septembre 1683. Deux événements emblématiques qui, pour l’islam, doivent être vengés par le djihad, ou « guerre sainte », doctrine qui impose à chaque musulman d’étendre la charia, la loi religieuse et politique d’Allah, au monde entier.

L’islam n’est pas une religion monolithique, mais toutes ses tendances s’accordent sur la nécessité de lutter contre l’Occident corrompu. Dans cette lutte, l’islam ne fait pas de distinction entre les chrétiens et les juifs. La Déclaration du Front islamique mondial pour le djihad contre les juifs et les croisés, inspirée et signée par Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri, date du 23 février 1998.

Le premier objectif du Front islamique, comme du Mouvement de résistance islamique (Hamas), est la reconquête de Jérusalem, la ville d’où le prophète Mahomet se serait envolé sur un char de feu et où se dresse la mosquée Al-Aqsa, construite sur les ruines du Temple.

Le second objectif est la conquête de Rome, également appelée « pomme rouge » (Kizil-Elma), par analogie avec le globe d’or qui surmontait la statue de l’empereur Constantin dans la capitale byzantine. Après Constantinople, Rome devient la « pomme rouge », destination finale du triomphe de l’islam sur la chrétienté.

La stratégie d’expansion de l’islam comprend l’invasion migratoire de l’Europe et la destruction de l’État d’Israël. Dans les jours qui ont suivi l’attaque contre Israël, est née à Paris l’ « Alliance des mosquées » [cf. https://dia-algerie.com/la-grande-mosquee-de-paris…] , la nouvelle association des musulmans de toute l’Europe, inspirée par l’aile des Frères musulmans, qui théorise le « soft-jihad », l’islamisation « douce » de l’Europe.

L’attentat du Hamas du 7 octobre, quant à lui, est l’expression éclatante du « hard-jihad », qui passe par le terrorisme et la guerre.

Derrière la première ligne stratégique se trouve la Turquie, qui contrôle les flux migratoires vers l’Europe et souhaite depuis des années adhérer à l’Union européenne pour la perturber. Derrière la deuxième ligne se trouve l’Iran, à travers ses agents, le Hamas et le Hezbollah, qui assiègent le sud et le nord de l’État d’Israël.

Le 5 octobre, un rapport a été présenté à l’Université Luiss de Rome, réalisé par la Fondation Med-Or [Méditerranée-Orient], sur le thème Nemico silente. Presenza ed evoluzione della minaccia jihadista nel Mediterraneo allargato. Le rapport décrit en détail l’évolution du phénomène djihadiste, qui opère dans de nombreuses régions de la Méditerranée élargie, avec un accent particulier sur l’Afrique, principale zone d’incubation de ce phénomène. Le conflit ukrainien a monopolisé l’attention internationale, mais, avertit le rapport, le djihadisme fait partie d’une vaste opération de déstabilisation de l’Occident, dans un contexte géopolitique où l’islam n’est pas le seul acteur.

Le 5 octobre, Vladimir Poutine a prononcé un discours sur la multipolarité juste lors de la 20e assemblée du club Valdaj, un groupe de réflexion russe. Poutine a évoqué l’existence d’une « guerre des civilisations en cours » et a fait appel aux liens de la Russie avec le monde arabe, la Chine et l’Inde pour lutter contre le rôle hégémonique de l’Occident.

D’autre part, le conflit russo-ukrainien a révélé l’existence d’un front interne en Europe et aux États-Unis qui regarde Poutine avec bienveillance et critique le soutien occidental à l’Ukraine. L’idée d’ « ennemis de l’Occident » semble s’évaporer dans la conscience d’une partie de l’opinion publique européenne. Cette attitude de bienveillance à l’égard des agresseurs est l’un des facteurs psychologiques expliquant le débâcle du système de renseignement israélien, considéré comme le plus performant au monde, mais qui s’est révélé incapable de prévoir l’attentat du 7 octobre, notamment parce qu’il s’était illusionné sur la possibilité d’un dialogue israélien avec le Hamas.

Entre-temps, l’ouverture d’un troisième front de guerre approche, celui de Taïwan, dont la Chine prépare l’invasion. Il ne sera pas facile pour les Etats-Unis de soutenir simultanément leurs alliés sur de multiples champs de bataille, en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient. Cela intervient un an après les élections américaines où s’annonce le combat entre deux candidats, Joe Biden et Donald Trump, pour diverses raisons usés et estropiés, tandis qu’aux élections européennes se profile la victoire d’un « troisième parti », à l’image du nouveau président slovaque Robert Fico et de la possible présidente française Marine Le Pen, bien décidés à exacerber le clivage entre l’Europe et les États-Unis.

C’est sur la faiblesse de l’Occident que comptent ses ennemis, surtout après l’abandon honteux de l’Afghanistan en 2021, qui a sanctionné une grave défaite morale des Etats-Unis et de l’Europe. Cette faiblesse, avant d’être politique, est morale et trouve ses racines dans la perte d’identité de l’Occident.

Un symptôme tragiquement éloquent de cette perte nous est offert par la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’Église catholique. Dans la méditation donnée le 1er octobre aux participants à l’assemblée générale du Synode des évêques, le père Timothy Radcliffe, ancien maître général des Dominicains, a commencé par dire :

« Lorsque le Saint-Père m’a demandé de prêcher cette retraite, je me suis senti très honoré, mais aussi nerveux. Je suis profondément conscient de mes limites personnelles. Je suis vieux, blanc, occidental et un homme ! Je ne sais pas ce qui est le pire ! Tous ces aspects de mon identité limitent ma compréhension. Je vous demande donc pardon pour l’inadéquation de mes propos ».

Le rejet de son identité de blanc, d’occidental, d’homme – et pourquoi pas de prêtre ? – révèle l’abîme dans lequel tombe le leadership de l’Église, face à une attaque bien pire que celle des invasions barbares des Ve et VIe siècles. À cette époque, en effet, l’Église, dirigée par de grands pontifes, n’a pas abandonné sa place, alors qu’aujourd’hui elle abandonne sa mission.

Une profonde différence théologique existe entre les catholiques et les juifs qui, par leur négation de la Sainte Trinité, sont plus proches de l’Islam que de l’Église de Rome, mais ce qui reste de l’Europe chrétienne se bat contre le même ennemi qu’Israël. De même, la Russie veut reprendre l’héritage de Constantinople, alors que l’Islam est l’héritier des Turcs qui l’ont détruite, mais ils ont aujourd’hui un ennemi commun. Cet ennemi, c’est l’Occident, cible économique, politique et militaire de la Chine communiste, qui se proclame héritière des erreurs de Marx et de Lénine, répandues par la Russie dans le monde.

La confusion est dramatique et la guerre, comme les catastrophes naturelles, semble saisir l’Europe dans un cercle inexorable. C’est une « guerre du chaos » à laquelle on ne peut échapper, écrit Vittorio Macioce dans Il Giornale du 9 octobre : « C’est un destin qui vous poursuit de maison en maison et qui touche l’Europe et l’Italie ».

L’Italie est le cœur du monde, parce qu’elle accueille le siège de la Chaire de Pierre, qui est le seul fondement d’une possible renaissance de la civilisation chrétienne. Et nous devons nous rappeler que tout est possible à Dieu, quand tout semble perdu. Nous devons le croire avec une profonde confiance dans la Providence divine, dans l’une des heures les plus sombres de l’histoire de l’humanité.

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