Les massacres du Hamas en Israël placent une nouvelle fois les Occidentaux face à un dilemme: ils doivent choisir leur camp, et les « conservateurs » (parmi eux, tout spécialement, les catholiques) se retrouvent devant le sempiternel croisement, avec « d’un côté ceux qui prennent toujours et de toute façon le parti de l’Occident, et d’abord des Etats-Unis, de l’autre ceux qui ne se reconnaissent pas dans un Occident qui nie son identité, son histoire, sa pensée, sa tradition, sa foi, ses communautés naturelles; et qui court vers une dérive post-humaine et nihiliste ».

L’Occident est le pire ennemi de lui-même

Les massacres du Hamas en Israël et l’invasion de l’Ukraine ont été lus comme une attaque contre l’Occident, forçant les Occidentaux à choisir un camp.

Il s’agit en réalité de deux cas différents : si l’attaque du Hamas a aussi une connotation hostile à l’égard de l’Occident, l’invasion russe de l’Ukraine n’était pas dirigée contre l’Europe mais visait plutôt à restaurer la zone d’influence russe, comme à l’époque des tsars et de l’URSS, et à éviter la présence de bases de l’OTAN aux frontières de la Russie.

Mais dans les deux cas s’élève l’appel à défendre l’Occident et à prendre parti en conséquence.

Inutile de le nier, mais dans le monde « conservateur », un carrefour inéluctable refait surface, entre ceux qui prennent toujours et de toute façon le parti de l’Occident, et d’abord des Etats-Unis, et ceux qui ne se reconnaissent pas dans un Occident qui nie son identité et ses matrices elles-mêmes ; son histoire, sa pensée, sa tradition, sa foi, ses communautés naturelles; et qui court vers une dérive post-humaine et nihiliste.

On tourne autour de ce clivage, mais nous ne pouvons l’éluder.

Il est facile de prendre le parti de l’Occident et de tout ce qu’il exprime, si l’on reconnaît sans hésiter son modèle économique et social comme le nec plus ultra ; ses intérêts, ses styles de vie fluides et son idéologie dominante comme représentation du bien, de la liberté, de la démocratie, des droits, du progrès et du bien-être. Et vice versa, il est facile de prendre parti contre l’Occident si l’on est un ennemi du modèle capitaliste, du consumérisme effréné, du colonialisme passé, ou si l’on vit avec honte et culpabilité l’héritage historique, civil et religieux de l’Occident et de son « impérialisme ».

Mais il devient plus difficile de prendre parti si, d’un côté, on aime la civilisation dont nous sommes issus et si, de l’autre, on déteste sa décadence et son déni, la primauté de l’individualisme, de l’économie, de la technologie, l’absence de valeurs autres que les codes idéologiques « woke », « black » ou « politiquement correct ».

Si vous êtes toujours et partout du côté de l’Occident, vous vous aplatissez dans la défense de cet Occident qui nie sa civilisation, son identité et ses racines grecques, romaines et chrétiennes. Vous ne défendez finalement que son niveau de prospérité et de puissance, en renonçant à tout le reste, jusqu’à mettre en péril la liberté et la démocratie.

Si, en revanche, vous vous opposez à l’Occident, vous risquez de travailler pour les bourreaux ou les ennemis, du fanatisme islamique à la dictature chinoise, et de soutenir des régimes et des pays qui nient la liberté, les droits et la démocratie.

Nous n’aimons pas cet Occident, ni la suprématie américaine, mais pourrions-nous jamais nous ranger du côté des pays du BRICS et de leurs nouveaux alliés, sachant que nous sommes de toute façon dans le camp opposé ? Peut-on se ranger du côté de Poutine des ayatollahs ou de Xi jinping [on peut quand même se sentir plus proche de Poutine que des ayatollahs, note de moi] , parce qu’on déteste cet Occident ?

Sur le plan culturel ou des principes, on peut trouver un point de cohérence, en assumant la civilisation et en critiquant certains aspects de la civilisation, en aimant et en soutenant notre identité nationale, européenne et méditerranéenne, civilisée et religieuse, et en rejetant le modèle mondial uniforme et aliénant promu par le techno-capitalisme. En activant la capacité à se distinguer sur le plan international (par exemple, l’Inde est un interlocuteur préférable à la Chine).

Mais quand l’histoire vous oblige à choisir tel ou tel côté du terrain, et de manière rapide et sanglante ; quand il y a une guerre en cours, ou une extermination, que faites-vous, restez-vous au milieu, vous enfermez-vous dans votre tour, choisissez-vous l’un ou l’autre, sachant en tout cas que vous trahissez une part essentielle de votre être européen ?

Certains résolvent tout en agitant sans délai le drapeau du moment, le drapeau ukrainien, le drapeau israélien, comme le fait le gouvernement actuel ; ils acceptent le manichéisme élémentaire des médias et des acteurs les plus puissants de l’Occident, ils ne se posent pas de questions critiques, ils ne reconnaissent pas les précédents et les hypothèses, ils ne voient pas les choses de plusieurs points de vue, ils ne calculent pas les effets à long terme, la douleur et le ressentiment de vengeance qu’elle suscite. Ils divisent dans l’absolu entre victimes et bourreaux, sans se demander si les bourreaux d’aujourd’hui sont les victimes d’hier et vice-versa ; c’est plus facile pour le message et peut-être plus bénéfique, même sur le plan personnel.

Mais pour ceux qui aiment la réalité et la vérité et qui chérissent certains principes, il n’existe pas de solution aussi simple et aussi unilatérale. Il ne reste plus qu’à adhérer au sens des réalités, à la primauté du bien ou, à défaut, à la préférence pour le moindre mal, à la distinction des plans, des temps et des priorités, à l’équilibre dans la prise en compte des différents points d’intérêt et d’observation.

Pour prendre un exemple brûlant du présent, vaincre le terrorisme du Hamas est une priorité à partager, mais l’agenda ne peut pas être uniquement la sauvegarde d’Israël, qui est sacrée, sans considérer la nécessité de garantir la vie au peuple palestinien et de lui donner un État et un territoire. Les frustrations et les droits fondamentaux bafoués alimentent l’extrémisme et compromettent l’avenir bien plus que les pourparlers et les négociations.

D’énormes questions passent au second plan et rappellent le thème du christianisme à son crépuscule, la question de la technologie qui envahit tout, l’acceptation ou non du capitalisme comme horizon indépassable, corrigeable ou surmontable. Et puis la relation entre l’Europe et les États-Unis, et entre l’Europe et le reste du monde. L’Occident n’est pas un bloc compact, dire l’Occident c’est désigner au moins trois mondes inconciliables, voire souvent divergents : les États-Unis, l’Amérique latine et l’Europe. Raison de plus pour écarter l’idée de l’Occident comme corps unique et parler d’un côté d’Europe ou d’un archipel de patries, et de l’autre de Multiverso, c’est-à-dire d’un monde pluriel avec plusieurs zones de cohésion.

C’est précisément le réalisme qui devrait nous obliger à partir d’une considération : l’Occident n’est pas le monde entier ni le paradigme de l’univers, mais il est désormais une réalité minoritaire, destinée à être de moins en moins centrale, voire à succomber, dans de nombreux défis et dans de nombreux domaines.

Un Occident qui, de surcroît, a honte de lui-même, de son identité, de son histoire et de sa culture, de sa tradition et de sa religion.

Au sein de l’Occident, les priorités et les intérêts européens ne coïncident pas avec ceux de l’Atlantique.

La conséquence est d’accepter l’idée d’un monde multipolaire, de considérer l’Europe comme l’une de ces zones et de dépasser la prétention que les États-Unis peuvent continuer à être l’arbitre suprême de la planète. Que cette position s’éloigne ou rejoigne celle du gouvernement actuel ne nous intéresse guère : il ne s’agit pas d’une question de droite ou de gauche. Il s’agit de défendre la réalité, le bon sens, l’équilibre, de rechercher des parcelles de vérité dans le polygone de la vie, de défendre la civilisation et l’humanité, à commencer par ses proches.

Marcello Veneziani
La Verità
15 octobre 2023

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