Reprise d’un article de novembre 2006. Il y a deux semaines que l’homme-orchestre de l’interview politique mainstream par antonomase est mort. Il a été salué par un raz-de-marée d’encens, tellement hyperbolique de la part de l’ensemble, ou presque, de la caste politico-médiatique qu’on se demande ce qu’il a pu faire de si génial pour le mériter [(*)]. Ses adulateurs ont dû s’être posé la même question, car la seule chose qu’ils ont pu présenter en guise d’hommage, c’est la fameuse interview avec Georges Marchais, où le secrétaire du PCF d’alors livre une prestation à la Audiard, et dans laquelle JPE a du mal à en placer une, mais qui est restée célèbre grâce à un sketch désopilant de Therry Le Luron (« Taisez-vous Elkabbach ») .

Il ne manquait plus que « Santo Subito », et le hashtag #jesuiselkabbach

Hier, je suis tombée par hasard, au fil de recherches dans mes archives, sur un article que j’avais écrit en novembre 2006. Je crois intéressant de le reproposer 17 ans après, en plein synode (les mêmes questions étaient sur le tapis, et JPE avait choisi son camp, ou plutôt savait quel DEVAIT être son camp), pour montrer quel genre de « journaliste » il était vraiment.


HANS KUNG, UN AMI QUI NE LUI VEUT PAS DE BIEN

Elkabach fait un mini-conclave.

Il en est l’unique électeur, et il choisit son Pape: Hans Kung

<beatriceweb.eu>
Mardi 8 novembre 2006

Jean-Pierre Elkabach, depuis qu’il a reçu Chirac dans les studios d’Europe 1, dont il est le PDG , avant le départ de ce dernier pour un sommet de l’ONU, et qu’il organise sur la chaîne du Sénat, qu’il dirige également, les débats socialo-socialistes, a de plus en plus tendance à se prendre pour l’ « homme le plus puissant de France », une sorte de gourou, qui fait ou défait les présidentiables, et canonise ou jette l’anathème au gré de ses mystérieuses amitiés.

Donc, écoutant ce matin Europe 1, j’apprends qu’il reçoit aujourd’hui pour son interview quotidienne le théologien Hans Kung.

En dehors d’un petit cercle d’initiés, c’est un homme peu connu en France (en tout cas il ne l’est pas par le journaliste obscur qui annonce péniblement « Jean-Pierre Elkabach va recevoir le théologien Hans « Kroung »), donc l’audimat – argument commode de ceux qui ont décidé de se boucher les yeux sur la désinformation – ne peut être en aucun cas la justification de cette invitation. Mais c’est Elkabach…

On m’objectera qu’il faut savoir prendre du recul par rapport aux mensonges médiatiques, rester calme, être « tolérant » (toujours dans le même sens, hélas!), relativiser, et même chercher le bon (bien caché, quand même!!).

Mais quand on commence par nous présenter Hans Kung comme un ami, ou un proche de « Joseph Ratzinger » (le mot « pape » semble écorcher la bouche délicate d’Elkabach, sinon accompagné d’un ricanement entendu), là, vraiment, j’ai du mal. Car Hans Kung est pour Benoît XVI tout, sauf un ami (trop intelligent pour se comporter en ennemi déclaré, il n’en a pas moins contribué à alimenter la campagne de calomnies consécutive à l’élection d’avril 2005).

Qu’on me comprenne bien, je ne cherche absolument pas ici à discréditer Hans Kung, qui m’indiffère. Il est probable qu’il se donne le beau rôle, et amplifie son influence réelle, d’hier et d’aujourd’hui, mais comment lui reprocher de profiter du rôle flatteur que le monde médiatique a décidé de lui faire jouer, celui d’un alter ego gauchisant du Saint-Père, mais également d’une sorte de Gaillot au niveau mondial, plus intellectuel, lui aussi susceptible d’ébranler l’Institution Eglise de l’intérieur?

Ce qui m’horripile, c’est son instrumentalisation ostentatoire par un journaliste très influent, dont nul ne peut ignorer (il en fait suffisamment étalage) qu’il n’est ni catholique, ni même chrétien.

Voici quelques extraits de l’interview, que j’ai essayé de noter à la volée.
C’est très fragmentaire (mais la substance y est), on pourra la réécouter sur le site de la station: (mardi 8 novembre 2006, tranche 8h-10h) [malheureusement, la page n’existe plus – ndr du 17/10/2023]

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Elkabbach : Hans Kung, vous êtes un proche de Joseph Ratzinger, vous êtes sans doute le plus grand théologien vivant, l’un des plus importants du XXème siècle.
[17 ans après, le « plus grand théologien vivant » a disparu des radars; maintenant qu’il ne « sert » plus, les médias, ingrats comme à leur habitude, l’ont oublié].

E: Est-ce que l’Eglise est en crise?
Kung: Après Vatican II, on a cessé le renouveau, on a tout bloqué

E: L’autre expert [à part vous] du Concile Vatican II était Joseph Ratzinger (ricanements)

E: L’Eglise a-t’elle besoin d’un nouveau concile? Doit-elle traiter surtout des questions de société?

K: Les laïcs et le clergé n’ont rien à dire dans la nomination des évêques.

E: Vous avez dénoncé le pouvoir absolu du Vatican… l‘ennemi, c’est la Curie
K: C’est une institution médiévale… Vous, vous avez eu la Révolution française, mais elle n’a pas atteint la Curie.

E: Le mur de Berlin est tombé, le mur de la Curie, le mur du Vatican, non! (ricanements)

E: Depuis toujours, vous contestez l’infaillibilité du Pape… Du côté du Vatican, ça doit être difficile à avaler.

E: Jean-Paul II qui va être béatifié, sanctifié (sic!), en tout cas, pas par vous, vous dites qu’il n’a rien fait pour dégeler, pour ouvrir l’Eglise…
K: A l’extérieur, il a fait des choses, pour les relations avec le judaïsme et l’Islam… les droits de l’homme… mais à l’intérieur, il les a tous supprimés, avant tout les droits des femmes.

E: Jean-Paul II, pape adulé par les foules, a tué toute vie dans l’Eglise, et réduit au silence les contestataires…

E: Vous connaissez très bien Joseph Ratzinger. En 1965, vous étiez avec lui au concile…. et en 1968, il va poursuivre son destin vers le Vatican.
On peut se demander pourquoi vous n’êtes pas devenu cardinalpape…

E: A l’époque, Ratzinger passait pour un théologien doué et progressiste, « un jeune loup de la révolte de l’Eglise »

E: Est-il maintenant le Pape Benoît XVI, peut-être un pape d’extrême droite? Ou est-il encore Joseph Ratzinger?

E: Quand vous étiez ensemble (HK a été reçu en privé à Castelgandolfo, à sa demande, par le Saint-Père, en septembre 2005) il vous a écouté?… Va t’il réformer l’Eglise?
K: Je serais très content s’il faisait un acte courageux: … corriger l’Encyclique Humanae Vitae pour la pillule, ou s’il disait quelque chose sur le condom en Afrique…

. . . . . .

La conversation se poursuit avec un intérêt moindre, Elkabach en revenant inévitablement à l’unique question qui l’intéresse: la situation au proche-orient (Hans Kung ne manque pas de rappeler qu’il est un grand ami de l’état d’Israël depuis le Concile, et qu’il a beaucoup fait pour cela).
Et se conclut par ces mots d’Elkabach:

« Vous faites confiance à votre ami Ratzinger, devenu Benoît XVI? ….
La bataille pour la liberté, de la liberté, continue. Pour vous, pour nous tous ».

Un bon combat, en effet. Et sans risque.


(*) Note (17/10/2023)

Le seul commentaire qui échappe au consensus laudatif est celui de Boulevard Voltaire, qui ose rappeler quelques faits propres à ébranler la statut du Commandeur…

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