Il y a une résistance au Synode, mais compte tenu de l’ambiance de liberté et de parésie (bergogliennes) qui souffle sur l’Assemblée, elle est forcée de s’exprimer subrepticement, « sous le manteau ». Par exemple dans cette initiative réjouissante, que je lis sur le site MIL: les pères (et mères!!) synodaux ont récemment reçu un exemplaire du pamphlet du cardinal Giacomo Biffi (1928-2015) – publié pour la première fois dans les lointaines années 1970 mais qui pourrait avoir été écrit hier en référence au Synode en cours.

« Le Royaume des cieux est semblable à un berger qui, ayant cent moutons et en ayant perdu quatre-vingt-dix-neuf, reproche au dernier mouton son manque d’initiative, le chasse, ferme la bergerie, et s’en va au bistrot pour discuter d’élevage des moutons ».

.

(Cardinal Biffi)

Je reprends ici un article que j’avais publié en 2013, en novembre 2013, pour être précis, c’est important s’agissant de cette année charnière. La nouvelle venait de tomber qu’il y aurait une consultation en vue de la préparation du Synode sur la famille.


Le cardinal Giacomo Biffi, né en 1928, a été archevêque de Bologne de 1988 à 2003 (cf. benoit-et-moi.fr/2008).
En plus d’être un ami de Benoît XVI, c’est un homme libre (raison pour laquelle on l’a estampillé conservateur) qui sait manier l’humour, et n’a pas peur de défier le politiquement correct .

C’est sans doute ce qui explique que ses livres n’aient pas été traduits en français (à la différence de ceux du cardinal Martini, son confrère à la tête du diocèse de Milan, dont il fut durant quelques années coadjuteur).

Parmi ceux-ci, une exception, un petit ouvrage d’une centaine de pages traduit en français sous le titre « Le cinquième évangile », paru en 1971 aux Editions du Cèdre.
J’avais traduit il y a quelques années la présentation du livre sur le site du diocèse de Bologne:

Écrit (en 1969) à l’époque où le curé ambrosien était aux prises avec les jeunes des temps de la contestation« le cinquième évangile » se base sur un plaisant artifice littéraire : Biffi raconte l’histoire d’un ami d’enfance, aux temps des immeubles HLM. Après, écrit l’auteur, j’ai fait le prêtre, lui, il a fait de l’argent.
Le Commendator Migliavacca présente à son ami prêtre un manuscrit ancien, débusqué dans un marché aux puces de Terre Sainte : rien de moins que le cinquième évangile, dont les codes finalement retrouvés pourraient faire la lumière sur quelques-uns des plus inexplicables mystères du christianisme.

.

Voilà donc, par exemple, que la parabole de la brebis égarée trouve une version finalement plus compréhensible :

« Le Royaume des cieux est semblable à un berger qui, ayant cent moutons et en ayant perdu quatre-vingt-dix-neuf, reproche au dernier mouton son manque d’initiative, le chasse, ferme la bergerie, et s’en va au bistrot pour discuter d’élevage des moutons ».
.

Naturellement la clé de lecture est l’ironie, ironie qui n’empêche pas le cardinal de mettre en lumière les positions anti-évangéliques de la théologie politiquement correcte.

« Allez dans le monde entier et discutez : de la libre confrontation des avis bourgeonnera la vérité ».
.

C’est l’ultime fragment de l’évangile manquant, qui offre le fondement théologique de l’insuffisante aptitude de la chrétienté contemporaine à annoncer l’évangile. Désacralisant, et même subversif: c’est le jugement de quelqu’un qui lirait le cinquième évangile de Biffi, sans l’intelligence de l’ironie.

*

(traduction BB)

Mon amie Catherine (qui m’avait offert le livre, c’est devenu un de mes livres de chevet!) avait traduit le « Fragment 28 ».

Fragment 28 du Ve évangile

J’ai prié pour toi, Simon, pour que ta foi, confirmée par l’opinion de la multitude, ne défaille jamais, et que tu sois soutenu par le murmure affectueux de tes frères.

(Ve évangile)

*

Simon… j’ai prié pour que ta foi ne défaille pas, et toi, une fois converti, confirme tes frères.

(Luc 22, 32)

Qu’est-ce qui soutient la foi inébranlable de Pierre ? La prière du Christ, semble nous enseigner le troisième évangile. L’avis de la majorité des fidèles, insinue au contraire notre texte.
.
Lorsque dans l’Eglise se fait jour une certaine incertitude sur la voie à prendre, que doit faire Pierre ? Se fier à son charisme intérieur, à la source duquel se tient la prière du Seigneur, « évêque et pasteur de nos âmes », semble suggérer Saint Luc. Se fonder sur les résultats d’un référendum parmi les baptisés, ou du moins sur un sondage d’opinion, dit le cinquième évangile.
.
Si le troupeau ne sait plus où aller, que doit-il faire ? Qu’il regarde Pierre, le pasteur délégué, semble affirmer l’évangile selon Jean. Pas du tout : que les brebis se réunissent et décident à la majorité de la route que devra prendre leur pasteur, enseigne l’évangile selon Migliavacca.

Nous nous trouvons, comme on voit, en présence de deux conceptions antinomiques de l’Eglise et de son chef visible. Elles ne peuvent s’accorder entre elles, il faut choisir.

.

Pour notre part, nous n’avons aucun doute : la théologie de la primauté qui est sous-jacente à ce bref fragment, même si elle est en opposition avec les évangiles canoniques, est plus démocratique, plus conforme à la mentalité des temps qui courent, plus acceptable.

Nous voudrions enfin souligner le gracieux équilibre qui caractérise les dernières paroles du passage. A l‘égard du pape, les catholiques de ce siècle semblent incapables de se tenir à égale distance de l’adulation et de l’insulte, du culte de la personnalité et du mépris, de l’Hosanna et du Crucifix [ndt: ces mots ont été écrits en 1969. L’abbé Giacomo Biffi ne connaissait pas François!]. Quelle mesure, au contraire, quel bon sens, dans ce « murmure affectueux » qui, selon la parole de Jésus qui nous est ici rapportée, serait le secret de la fermeté de Pierre et la source cachée de ses consolations !

L’humour est aussi une arme redoutable, et le cardinal Biffi, malicieux, cultivé et ferme dans la doctrine, ou quelqu’un qui lui ressemblerait, manque beaucoup aux côtés de Müller et autres cardinaux des dubia, pour contrer le pape actuel et sa cour.

Share This