Une très intéressante analyse du blog MIL: « Quand [en politique] ceux qui préparent une succession le font avec une réforme électorale substantielle, c’est parce qu’ils craignent qu’avec les règles en vigueur, les futures élections ne se déroulent pas selon leurs plans. Il s’agit donc d’une tentative manifeste de ne pas les perdre, dans la conviction que c’est ce qui risque d’arriver si elles se déroulent selon les règles habituelles. [Or], d’innombrables signes permettent de conclure que le courant qui détient aujourd’hui le pouvoir dans l’Église est résolument minoritaire » .

Rumeurs de réforme du Conclave : vers une dictature du parti unique ?

blog.messainlatino.it/2023/11/voci-di-riforma-del-conclave
8 novembre 2023

Depuis samedi soir dernier, des rumeurs bien circonstanciées font état d’une possible réforme des règles du Conclave, dont la promulgation, on l’imagine par le biais d’un énième Motu proprio, serait même imminente.

Nous devons à Diane Montagna dans The Remnant les très intéressantes anticipations, qui nous permettent dès à présent – sous réserve de confirmation des rumeurs – d’envisager de quoi il s’agirait : suppression des Congrégations générales pré-conclaves, remplacées par de petits groupes de travail animés par un « facilitateur », sur le modèle pratiqué lors du récent Synode sur la synodalité (cette nouveauté, en fait, fait déjà l’objet de rumeurs depuis quelques mois) ; exclusion de ces sessions préparatoires des cardinaux de plus de quatre-vingts ans, qui ne sont pas électeurs ; accès des laïcs et des religieux à la procédure élective. Ces laïcs et religieux seraient désignés par le Pontife régnant en vue du conclave pour sa succession ; selon certains ils ne seraient admis qu’aux réunions préparatoires, pour d’autres, dont Diane Montagna, ils deviendraient électeurs à part entière, et constitueraient 25% du corps électoral.

Il est évident que de telles innovations dans les règles électorales (tant celles concernant la préparation des votes que celles régissant ces votes), qui sont tout sauf secondaires ou simplement procédurales, changeraient de manière significative la nature du conclave, et induiraient immédiatement un effet direct et particulier sur l’élection du prochain Pontife : à tel point qu’elles semblent avoir été spécifiquement conçues et voulues dans ce but précis.

Tout en souhaitant longue vie au Pape [???], nous ne pouvons occulter le fait que son pontificat est désormais entré dans sa phase terminale, de sorte qu’il est physiologique que, dans l’Église, on commence à penser de plus en plus concrètement à l’après. Évidemment, les gouvernants y pensent aussi, en vue de la survie de leur propre ligne de pensée et d’action.

Et quand ceux qui préparent la succession le font avec une réforme électorale substantielle, c’est parce qu’ils craignent que, avec les règles en vigueur, les futures élections ne se déroulent pas selon leurs plans. Il s’agit donc d’une tentative manifeste de ne pas les perdre, dans la conviction que c’est ce qui risque d’arriver si elles se déroulent selon les règles habituelles.

En effet, d’innombrables signes permettent de conclure que le courant qui détient aujourd’hui le pouvoir dans l’Église est résolument minoritaire : tant dans le sens où il représente une part insuffisante de la classe dirigeante ecclésiastique, que dans le sens où il n’exprime pas de manière adéquate l’orientation réelle du Peuple de Dieu, c’est-à-dire du clergé et, surtout, des fidèles catholiques.

Par conséquent, ce courant n’a pas la certitude de « gagner » la succession (Le blog Campari & deMaistre l’a récemment écrit en termes très clairs. [Cf. Annexe]).

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Parmi les nombreux indices de cette évolution, on peut en effet souligner la tentative progressive d’ « ajuster son jeu » en termes de procédures et de méthodes d’action, à laquelle cette classe dirigeante a été progressivement contrainte pour poursuivre le succès de ses programmes, face aux rebuffades progressives qu’elle a subies à cet égard.

Le déroulement des différents Synodes de l’actuel pontificat, en commençant par celui sur la famille et en terminant avec éclat par le dernier, démontre que les règles des discussions et des délibérations, et même avant cela celles de la sélection des participants, ont été modifiées au fur et à mesure, pour faire taire le rejet évident par la majorité ecclésiale de la pensée unique que l’on voulait lui imposer, et pour empêcher l’émergence d’une ligne au synode qui ne coïnciderait pas avec la ligne prédéterminée a priori par la direction.

Or, ces tentatives se sont révélées jusqu’à présent insuffisantes, à tel point qu’une des lectures les plus attentives du résultat du Synode 2023 se fonde précisément sur l’hypothèse qu’au moment de sa conclusion, quelque chose a mal tourné, au point que les organisateurs ont été amenés à former et à publier un document de synthèse final, non prévu à l’origine, pour maintenir les jeux ouverts jusqu’à la prochaine session : le père James Martin l’a explicitement déclaré [cf. Le Synode joyeux du père Martin, sj].

Et ce, malgré le fait que l’on ait adopté le modèle d’organisation d’un tournoi de buraco [jeu de cartes italien], avec les « cercles mineurs » réunis autour d’une multitude de tables isolées et non communicantes, afin – pense-t-on – de faire concorder la discussion avec un résultat déjà établi a priori. Il s’agit d’une technique bien connue, décrite en termes convaincants par La Bussola [cf. Synode: souffle de l’Esprit? Non, mais mise en œuvre de méthodes d’ingénierie sociale], qui consiste à disperser les adversaires potentiels en petits groupes pour tenter de neutraliser l’homogénéité de leur ligne de pensée et d’action, en la fragmentant en une myriade d’opinions personnelles atomisées et individuellement insignifiantes.

Alors que l’opportunité de devenir les catalyseurs d’une pensée opératoire et d’opinions partagées est reconnue et accordée exclusivement aux « facilitateurs » [/modérateurs], porteurs de la seule pensée qui doit devenir dominante : la pensée unique synodale, dont les représentants sont les seuls à avoir la liberté de solliciter et d’organiser le consensus.

Selon les rumeurs dont nous parlons, c’est ce modèle qui est également utilisé pour contrôler le corps électoral qui doit choisir le prochain pape. Il est largement admis que, dans ce domaine également, des tentatives claires ont déjà été faites pour prédéterminer le résultat du conclave, mais elles ne sont pas non plus suffisamment rassurantes pour la minorité au pouvoir, d’où cette nouvelle action significative.

Il est probable, en effet, que la composition hétérogène et très fragmentée, à tous égards, du Collège des Cardinaux, et l’empêchement systématique de se réunir, de sorte que les membres ont du mal à se connaître et à se confronter, et finissent par constituer un marécage facilement contrôlable, n’a pas produit les certitudes attendues [cf. The Wanderer: Le Synode comme pré-conclave].

Ce que l’on observe – c’est du moins ce qu’il m’a semblé comprendre en parlant avec quelques interlocuteurs romains – c’est que cette fragmentation n’a pas récompensé les tenants du régime, mais a fini par consolider l’autorité des cardinaux les plus anciens, qui peuvent aussi se prévaloir d’une plus grande audience auprès des fidèles. Ces cardinaux, parfois (pas toujours) âgés de plus de quatre-vingts ans, mais souvent de plus en plus éloignés, voire hostiles, au nouveau cours, s’avéreraient être un point de référence pour leurs collègues des périphéries du monde, dont la principale caractéristique semble être la désorientation et le besoin d’être en quelque sorte pris en compte dans l’exercice de leurs fonctions inattendues. D’où la nécessité d’exclure le plus possible les premiers des congrégations générales et de supprimer les congrégations elles-mêmes, car on sait qu’il existe une possibilité concrète et probable qu’autour de ces cardinaux faisant autorité, même s’ils ne sont pas électeurs, se coagulent des groupes homogènes de voix capables d’empêcher l’élection d’un Pontife qui soit une photocopie du Régnant.

Si l’on considère ensuite que le groupe des cardinaux faisant autorité « étrangers au régime » s’est progressivement enrichi de ceux qui étaient initialement alignés mais qui sont ensuite tombés en disgrâce, et qui ne coïncident donc plus strictement avec les rangs des cardinaux conservateurs ou traditionalistes, la manœuvre apparaît encore plus explicable. Voici quelques noms – pas tous – de ceux qui pourraient être exclus, attribuables à des orientations et des courants différents, certains appartenant certainement au noyau fort des électeurs du pape François : Versaldi, Sepe, Calcagno, Bagnasco, Bassetti, Scola, Stella, Napier, Vallini, Dziwisz, Amato, Romeo, Antonelli, Rouco Varela, Lajolo, Rodè, Cordes, Re, Farina, Martino, Arinze, Zen, Ruini….

Dans ce cadre, l’entrée éventuelle de participants laïcs, même limitée à la phase préparatoire (mais s’ils représentaient ne serait-ce qu’un quart de l’électorat, ils pourraient facilement s’avérer décisifs…), aurait pour fonction évidente de faire pencher davantage la balance en faveur du progressisme poussé qui a désormais pris le dessus au sommet de l’Église. Nous avons pu voir lors du dernier synode quels sont les critères utilisés pour nommer ces (prétendus) représentants de l’ensemble du laïcat catholique : je pense qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter. Il est évident qu’une mauvaise représentation des sensibilités et des orientations des fidèles aurait un impact fortement trompeur surtout sur les cardinaux les moins expérimentés et les plus influents.

En bref, ce qui semble se profiler à l’horizon – mais j’espère sincèrement, et de tout cœur, que je me trompe lourdement – c’est une tentative de donner la possibilité d’agir au conclave uniquement et seulement à un groupe de pouvoir bien identifié, marqué idéologiquement, qui n’admet pas d’alternatives et qui exclut programmatiquement de l’horizon ecclésial « l’autre » que soi-même, attribuant un sens nouveau et inquiétant au traditionnel extra omnes.

Un groupe totalement autoréférentiel, qui se croit investi de la mission de refonder radicalement l’Église selon sa vision et qui, à cette fin, semble sérieusement vouloir établir à tout prix la dictature du parti unique : c’est-à-dire – comme l’a dit le cardinal Daneels, dont l’héritage n’est certainement pas étranger à ce qui se passe aujourd’hui – de sa propre mafia restreinte.

Enrico Roccagiachini

Annexe (Campari & demaistre)

Réforme du conclave ? Un vrai danger
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Tout est probablement vrai. Ce qui a été rapporté, en Italie par Messainlatino.it et dans le monde anglo-saxon par The Remnant, est si grossier qu’il ne peut être inventé. Le cercle magique de Sainte Marthe a certainement envisagé une réforme du conclave qui retire le pouvoir aux cardinaux pour le donner à des laïcs nommés par le pape avant sa mort.

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Comment une idée aussi bancale et aussi néfaste a-t-elle pu voir le jour ? Essayons de spéculer. Le synode, présenté sur le ton d’un concile Vatican III, bien qu’il ait été préparé par Bergoglio, en invitant des personnes qu’il aimait et en préparant des documents unidirectionnels, n’a pas eu le résultat escompté. Le résultat, comme on l’avait déjà supposé pendant l’été, a été quasiment nul. Tout a été reporté.

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Les saintsmarthais (pauvre Sainte Marthe dont le nom est lié à tout cela) ont donc dû se rendre compte que même le futur conclave, truffé en profondeur de cardinaux nommés par le pontife actuel, ne sera pas nécessairement un triomphe et que le prochain pape pourrait les mettre à la porte. L’idée de changer les règles pourrait donc naître de la prise de conscience qu’ils sont désormais seuls, accrochés à la figure d’un pontife qui agit encore comme un parapluie protecteur de leur arrogance, mais qui n’est plus aussi énergique qu’il y a 10 ans, largement discrédité dans l’épiscopat et politisé.

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https://campariedemaistre.blogspot.com/2023/11/riforma-del-conclave-un-pericolo-reale.html
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