Dormez, bonnes gens, il ne se passe rien de grave dans l’Eglise, en tout cas rien d’inédit. Le Pape veut inclure dans le collège électeur des non-cardinaux? Rien de nouveau, on a déjà vu cela dans le passé. En plus de comparer le bouleversement inouï que constituerait cette réforme avec les simples modifications de règlement disposées par Jean Paul II et Benoît XVI, John Allen va jusqu’à faire parler un mort (c’est commode, il ne risque pas de démentir), en l’occurrence Jean Paul 1er, qui aurait fait des confidences à un vaticaniste aujourd’hui retraité qui vient de publier ses mémoires.

Sur la réforme du conclave, nous sommes déjà passés par là


John Allen

Alors que des rumeurs circulent sur d’éventuelles modifications apportées par le pape François aux règles régissant l’élection de son successeur, il est bon de rappeler que, quelle que soit la vérité, il n’est pas le premier pape à envisager ou à mettre en œuvre des révisions du processus du conclave.

En effet, il y a près de 50 ans, un autre pape a envisagé une modification sans doute encore plus radicale du processus électoral, bien qu’il n’ait pas vécu assez longtemps pour la mettre en œuvre.

Pour commencer par les événements actuels, deux sites d’information catholiques américains conservateurs (The Pillar et The Remnant) ont rapporté le 4 novembre que le cardinal italien Gianfranco Ghirlanda, 81 ans, et avocat canoniste chevronné, a été chargé par le pape François de préparer des changements aux règles du conclave.

Selon ces rapports, l’idée serait d’éliminer les cardinaux de plus de 80 ans des rencontres des Congrégations générales qui précèdent l’élection du pape et de modifier le format de ces réunions pour limiter les discours à l’ensemble du groupe en faveur de tables rondes plus petites, semblables à celles du récent Synode des évêques sur la synodalité.

Il a également été suggéré que François pourrait envisager d’impliquer des laïcs dans ces rencontres, considérées comme essentielles pour façonner la pensée des cardinaux qui éliront le prochain pape.

L’un des rapports allait même plus loin, soutenant que le pape envisageait également d’inclure les laïcs et les religieux dans le conclave lui-même, en leur permettant d’exprimer 25 % des votes, les cardinaux constituant les 75 % restants.

Franchement, il est difficile de savoir ce qu’il faut penser de tout cela, étant donné que Ghirlanda a publié un démenti apparemment complet sur le fait qu’on lui a demandé de préparer de tels changements, qualifiant les rapports d' »absolument faux ».

Pour démêler tout cela, nous devrions commencer par le fait – pas une rumeur, pas une spéculation, mais un fait – que trois des quatre papes qui ont précédé François ont apporté leurs propres changements aux règles du conclave, de sorte que l’idée que le pape actuel pourrait envisager de faire quelque chose de similaire ne serait pas un coup de tonnerre.

Le pape Paul VI a exclu du conclave les cardinaux de plus de 80 ans et a fixé le nombre total d’électeurs à 120, même si cette restriction a été davantage honorée dans sa violation que dans son respect par les papes suivants quand ils ont tenu des consistoires pour créer de nouveaux cardinaux.

Le pape Jean-Paul II a ensuite édicté ses propres règles en 1996, qui prévoyaient notamment la possibilité, en cas de blocage du conclave après environ 34 tours de scrutin, d’élire un pape à la majorité simple plutôt qu’au seuil des deux tiers.

En 2007, le pape Benoît XVI a publié un décret qui a supprimé cette disposition, rétablissant ainsi l’exigence absolue d’un consensus des deux tiers.

Ainsi, si François décide de modifier les règles, il n’ira pas là où aucun pape n’est allé auparavant. Au contraire, il ne ferait que poursuivre un processus en cours depuis un demi-siècle.

Dans la catégorie des « chemins non empruntés », il convient également de rappeler que même une réforme radicale du processus électoral n’est pas sans précédent récent.

En 2021, Gian Franco Svidercoschi, journaliste italien d’origine polonaise, a publié des mémoires intitulées « Un Concilio e sei Papi«  (« Un concile et six papes »), qui retracent sa remarquable carrière au Vatican. Il a commencé en 1959 avec l’agence de presse italienne ANSA, couvrant entre autres le Concile Vatican II, et a fait des reportages sur tous les papes, de Jean XXIII à François. Pendant une grande partie de cette période, il a été rédacteur en chef adjoint de L’Osservatore Romano, le journal officiel du Vatican.

Dans son livre, Svidercoschi révèle que le pape Jean-Paul Ier, le « pape souriant » de 33 jours, lui a confié qu’il souhaitait apporter des changements au processus du conclave.

Pour commencer par l’anecdotique, Jean-Paul Ier estimait que les cardinaux avaient besoin d’un logement plus digne pour le conclave.

En 1978, ils dormaient encore dans diverses chambres du palais apostolique, ce qui donnait lieu au spectacle peu édifiant de vieux princes de l’Église se réveillant au milieu de la nuit pour aller aux toilettes, mais trouvant l’une des rares installations situées au bout d’un long couloir de marbre déjà occupée. La tradition orale veut que l’on entende les gémissements de ces cardinaux frustrés résonner dans tout le palais.

Selon Svidercoschi, Jean Paul 1er aurait di: « Vous ne pouvez pas enfermer 100 personnes, dont beaucoup sont âgées, dans un espace aussi restreint, en les obligeant à dormir sur un lit de fer et à se laver avec une bassine et une cruche d’eau ».

Cette réforme a été mise en œuvre par Jean-Paul II, qui a construit la résidence de Sainte Marthe en partie pour s’assurer que les cardinaux qui élisaient son successeur logeraient dans des chambres dotées d’installations privées.

Plus sérieusement Svidercoschi a révélé que Jean-Paul Ier souhaitait inclure les présidents élus des conférences épiscopales dans le conclave, aux côtés des cardinaux, afin que « le suffrage ait une valeur plus universelle et plus complète ».

D’un côté, il est possible d’affirmer que la réforme de Jean-Paul Ier aurait été moins radicale que le prétendu changement envisagé par François, dans la mesure où elle aurait impliqué les évêques plutôt que les laïcs.

D’un autre côté, il existe plus de 100 conférences épiscopales dans l’Église, ce qui signifie que le pourcentage d’électeurs non cardinaux dans un tel système aurait été beaucoup plus élevé que les 25 % supposés envisagés par la révision non confirmée attribuée à François.

Conclusion : Nous devrons attendre et voir si François adopte réellement les prétendues réformes suggérées dans les rapports récents, malgré de vigoureuses dénégations.

Même s’il le fait, cependant, personne ne pourra suggérer qu’il s’agit d’une sorte de caprice personnel, parce que nous avons déjà parcouru ce chemin auparavant.

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