Nico Spuntoni fait le point sur les épisodes du passé qui justifieraient (conditionnel de rigueur!) la décision sans précédent du Pape de licencier sans préavis l’évêque texan. Parmi eux, certaines déclarations peut-être imprudentes, que l’on peut trouver courageuses, voire héroïques, dans ce contexte – et le prélat américain les paie cher -, et que lui-même juge « inadmissibles » (précaution professionnelle?) tout en admettant que Mgr Strickland s’en est en partie distancié.
Il y a aussi l’aspect humain, que Nico Spuntoni a raison d’aborder: la liste des prélats congédiés avant l’âge canonique, sans affectation, sans autre motif que leur opposition au cours bergoglien, s’allonge, sans aucune considération humaine sur l’humiliation subie et le risque de dépression.

Strickland destitué par le Pape, les étapes d’un choix inquiétant

Nico Spuntoni
La NBQ
13 novembre 2023

Mgr Strickland, évêque critique à l’égard du pontificat actuel, a été écarté par François de la direction du diocèse de Tyler. Une décision inquiétante, qui contredit ce que le pape lui-même a dit à plusieurs reprises à propos de la parrèsia.

Une fin prévisible pour un film déjà vu. Mgr Joseph E. Strickland, l’évêque en exercice probablement le plus critique à l’égard du pontificat actuel, a été destitué par le pape François. C’est l’épilogue de la visite apostolique organisée en juin dans le diocèse de Tyler et confiée à deux des évêques les plus liberal des États-Unis : Dennis Sullivan et Gerald Kicanas.

Aucune explication n’a été donnée par le Saint-Siège, à part l’annonce de la « destitution ». Nous savons cependant, grâce à une déclaration du cardinal Daniel DiNardo, archevêque métropolitain de Galveston-Houston, dont Tyler est suffragant, que les conclusions de l’enquête arrivées sur le bureau du pape indiquaient que « le maintien en fonction de l’évêque Strickland n’était plus tenable ».

C’est donc de Sainte Marthe qu’est venue la demande de démission envoyée par le nonce apostolique, le cardinal Christophe Pierre, nouvellement nommé, le 9 novembre.

Mgr Strickland a rejeté cette demande, donnant en quelque sorte une « gifle » à une pratique qui pourrait être considérée comme une forme de cléricalisme.

Deux jours plus tard, François a dû prendre sur lui de relever personnellement l’évêque de la direction du diocèse.

Il existe au moins deux précédents similaires à celui de Tyler : le Paraguayen Rogelio Ricardo Livieres Plano et le Portoricain Daniel Fernández Torres. Dans le premier cas, qui remonte à 2014, le Bureau de presse du Saint-Siège a au moins ressenti le besoin de publier une note pour tenter de justifier ce qui a été reconnu comme une « décision importante ». Dans les cas de Fernández Torres et Strickland, en revanche, il s’est limité à quelques lignes dans le bulletin ordinaire pour annoncer la retraite anticipée de deux évêques âgés respectivement de 57 et 65 ans.

Depuis un certain temps, Strickland avait pris l’habitude d’exprimer son malaise, commun à celui de nombreux pasteurs et fidèles à travers le monde, face à l’orientation prise par ce pontificat en matière de doctrine, de morale et de liturgie.

Dans une lettre adressée à son diocèse fin septembre, l’évêque texan avait ouvertement critiqué le Synode sur la synodalité, y voyant une « tentative de certains de détourner l’attention du catholicisme du salut éternel des âmes dans le Christ ».

Par ailleurs, Mgr Strickland avait décidé de ne pas appliquer Traditionis Custodes de manière restrictive dans son diocèse, continuant à célébrer dans la forme extraordinaire de l’unique rite romain.

Un choix qui a peut-être été décisif dans sa destitution, comme le montre sa première conversation téléphonique avec John-Henry Westen de LifeSiteNews, dans laquelle il a justifié ses actions contestées dans l’enquête, citant la défense de la messe en latin et déclarant : « Je ne peux pas affamer une partie de mon troupeau. Je recommencerais de la même manière ».

Mgr Strickland est probablement l’évêque diocésain qui est allé le plus loin dans sa critique du pontificat, jusqu’au fameux tweet de mai dans lequel, se distançant des positions inacceptables du sédévacantiste Patrick Coffin [ndt: cf. lecatho.fr)et réaffirmant la légitimité de François, il a sévèrement fait remarquer que pour lui, il était « temps de dire que je rejette son programme visant à saper le dépôt de la foi ».

Même dans son récent discours au Rome Life Forum, Strickland s’était aventuré sur des chemins plutôt dangereux en lisant une lettre très lourde d’un de ses amis sur les pères synodaux et avec des accusations inadmissibles contre le pape régnant légitimement, mais c’est le prélat texan lui-même qui a fait comprendre qu’il ne la partageait pas, ajoutant plus tard que « l’ imprudence qui prévaut dans notre Église aujourd’hui n’est pas de parler de manière inappropriée » et annonçant qu’il préférait le faire plutôt que de « ne pas parler quand c’est absolument nécessaire ».

En arrière-plan, ensuite, l’affaire de l’accueil de l’ancienne moniale Marie Ferréol, expulsée pour un « mauvais esprit » non précisé de Pontcallec et que la NBQ a déjà traitée.

Quoi qu’il en soit, l’évêque laisse les séminaires de Tyler pleins de vocations, des comptes en ordre, aucune violation du Code Canon. Il est difficile de ne pas lier sa destitution aux critiques du pontificat et du Synode que le Texan, parmi les rares, a préféré aborder franchement, avec parresia, comme François lui-même l’avait demandé à plusieurs reprises, en s’insurgeant contre les commérages.

C’est pourquoi le message véhiculé par cette décision est inquiétant, totalement opposé à celui véhiculé par l’appel téléphonique et la lettre du début du pontificat que le Pape avait réservés à deux « critiques » tels que Mario Palmaro et Antonio Socci.

Il y a ensuite un autre aspect qui est souvent sous-estimé dans des cas comme celui-ci et qui, ces dernières années a concerné plusieurs évêques qui ont été poussés à démissionner avant d’avoir atteint l’âge de 75 ans et sans raisons précises : privé d’un poste pendant tant d’années, avec seulement une pension, la nécessité de chercher un nouveau lieu de vie et le sentiment d’être victime d’une injustice, on finit parfois par tomber dans la dépression.

Ce ne sera probablement pas le cas de Mgr Strickland qui, comme on peut le comprendre à travers les réactions de ces heures, semble destiné à devenir l’un des points de référence du monde catholique inquiet de la direction prise par l' »Église sortante ». Mais toujours dans le « sentire cum Ecclesia ».

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