Décidément, les temps ne sont pas faciles pour le Pape. L’état de grâce qui avait accueilli son élection en 2013 et qui l’a accompagné de longues années par le soutien de médias captieux décidés à l’instrumentaliser au profit de leur propre agenda, ce fameux « printemps de l’Eglise » qui devait ramener massivement les fidèles vers les églises est désormais bien loin. Gaffes, bévues et dérapages s’enchaînent sans pause (Israël, Argentine, Ukraine) et la diplomatie vaticane jusqu’à présent réputée comme l’une des meilleurs du monde, transpire sang et eau pour tenter de réparer les dégâts. Bien entendu, comme personne, le Pape a le droit de penser ce qu’il veut, et il n’a pas forcément tort sur tout, mais sa position unique lui interdit absolument d’exprimer publiquement des opinions qui ne peuvent que mettre de l’huile sur le feu.
Nico Spuntoni fait le point sur les derniers développement.

Israël, Argentine, Ukraine : les faux pas du Pape François

Nico Spuntoni
La NBQ
25 novembre 2023

Le pontificat actuel est destiné à entrer dans l’histoire aussi pour les gaffes diplomatiques qui caractérisent ses interventions tant sur les crises internationales que sur la politique intérieure de son pays d’origine.

L’image du pontificat de François traverse une période difficile non seulement sur le plan interne, mais aussi sur le plan externe.
Le 23 novembre, en effet, un coup dur a été porté par le Conseil de l’Assemblée des rabbins d’Italie qui, dans une note, a accusé le pape d’ « équidistance glaciale » pour avoir accepté de recevoir les parents des otages enlevés par le Hamas, comme « demandé depuis longtemps et toujours reporté », seulement à proximité d’une autre rencontre avec les parents de certains Palestiniens détenus en Israël. Ce faisant, accusent les rabbins italiens, Bergoglio a montré qu’il voulait mettre « sur le même plan des personnes innocentes arrachées à leur famille et des personnes détenues souvent pour des actes de terrorisme très graves » et, dans l’audience générale, il a donné la preuve de ce que la note qualifie d’ « acrobaties diplomatiques » et de « numéros d’équilibriste » en accusant implicitement les deux parties de « terrorisme ».

Une déception qui n’est pas surprenante puisque, dès la fin du mois d’octobre, l’un des représentants les plus influents du monde juif italien, le grand rabbin de Rome Riccardo Di Segni, avait mis en garde contre le risque d’ « établir une équidistance inappropriée ». Puis ce fut le tour de l’audience à la délégation de la conférence des rabbins européens, le 6 novembre, avec le discours remis mais non prononcé en raison d’un rhume , qui n’avait cependant pas empêché le pape, dans l’après-midi, de saluer et d’embrasser des milliers d’enfants dans la salle Paul VI, avec même une sortie imprévue sur la place Santa Marta à la fin de l’événement.

La thèse du « rhume diplomatique », largement diffusée dans les médias, n’a pas dû plaire aux rabbins italiens qui, après la dernière prise de risque de mercredi avec l’utilisation du mot « terrorisme » et la rencontre des parents des otages israéliens du raid du 7 octobre mis sur le même plan que les parents des détenus palestiniens, ont décidé de se lâcher et de prendre position avec la note évoquée plus haut. Si les relations entre le Saint-Siège et Israël étaient déjà au plus bas après la faible condamnation de l’attentat du Hamas, ce qui s’est passé ces dernières 48 heures pourrait marquer un coup d’arrêt dans le dialogue judéo-catholique en général car le tir n’est pas venu de l’ambassade d’Israël, mais de l’Assemblée des rabbins d’Italie. Un secteur auquel Bergoglio accordait déjà une grande attention lorsqu’il était cardinal, comme en témoignent les nombreuses rencontres publiques organisées à l’époque et l’amitié qu’il entretenait avec le rabbin Abraham Skorka.

L’histoire de celui qui était alors archevêque de Buenos Aires dément les accusations d’antisémitisme que certains, sur les réseaux sociaux, lancent injustement à l’encontre de l’actuel chef de l’Église catholique. L’expérience argentine confirme en même temps son caractère peu diplomatique : il est en effet de notoriété publique qu’en tant que primat d’Argentine, il a entretenu des relations houleuses avec les chefs d’État de l’époque, d’abord avec le président Néstor Kirchner, puis avec son épouse et successeur Cristina Fernández, au point que cette dernière a expulsé de l’hôpital, en 2010, le prêtre envoyé par le cardinal pour donner l’extrême-onction à son mari mourant.

Toujours dans sa patrie, mais de nos jours, une autre preuve du manque de diplomatie du pontife régnant : le résultat du second tour de la présidentielle de dimanche envoie en effet à la Casa Rosada le candidat qui avait accusé Bergoglio d’avoir « des affinités avec des dictateurs communistes et sanguinaires » et d’avoir une conception de la justice sociale « contraire aux dix commandements ». À l’hostilité de Javier Milei, François avait toutefois répondu indirectement dans une interview accordée en mars à la chaîne C5N au cours de laquelle, parlant de l’actualité argentine, il avait critiqué ceux qui se présentent aux électeurs sans tradition d’appartenance politique, évoquant la thèse du « syndrome de 1933 » utilisée par Siegmund Ginzberg pour expliquer la montée du nazisme dans l’Allemagne de Weimar.

Avec le journaliste Gustavo Sylvestre, Bergoglio avait comparé la situation actuelle en Argentine à la tentative des Allemands de l’époque de prouver l’existence d’un « Adolfito » que personne ne connaissait. Un jugement extrêmement dur qui, bien que ne le mettant pas directement en cause, a été interprété par la majorité des observateurs argentins comme visant précisément l’outsider Milei. Ce même homme qui a été récompensé par le peuple argentin lors d’un scrutin où, selon le commentaire de Loris Zanatta, c’est François lui-même qui a été le grand perdant : le spécialiste de l’Amérique latine, parlant du nouveau président, a écrit dans Il Foglio que « l’impression est que l’attaquer lui a apporté des voix, alors que nulle part comme en Argentine le pape François ne suscite de rejet ».

De plus, la distance avec Milei ne s’est pas accompagnée d’une proximité avec le candidat péroniste Sergio Massa, considéré au mieux comme un « moindre mal » au second tour. Les vieux désaccords avec le kirchnérisme hérités des années Bonaer auraient en effet rendu les relations difficiles même avec le ministre de l’économie de Fernández. D’autre part, que les sympathies de François aillent à Juan Grabois, le candidat du mouvement de gauche battu aux primaires par Massa, n’est pas un mystère pour le public argentin habitué à voir le jeune activiste présenté comme « amigo del Papa ». Cette appellation n’a pas suffi au conseiller du Conseil pontifical Justice et Paix du Saint-Siège pour éviter d’être nettement surclassé par Massa, candidat de la coalition péroniste Unión por la Patria, qui n’a recueilli que 5,5 % des suffrages.

Outre le Moyen-Orient et l’Amérique latine, les dérapages papaux sur le conflit russo-ukrainien, avec la définition d' »enfant de chœur de Poutine » apposée au patriarche Kirill et la référence à la « grande Russie de Pierre Ier et de Catherine II » ont également déplu aux deux parties à différents moments, risquant de compromettre le rôle de médiation que le Saint-Siège – sous l’impulsion de François lui-même – a tenté d’assumer pour apaiser les tensions.

Depuis le 24 février 2022, on ne compte plus le nombre de fois où la Secrétairerie d’État a eu des sueurs froides sur les déclarations du souverain pontife. Près de onze ans après son élection, il est difficile pour Bergoglio de changer une attitude qu’il avait déjà démontrée en Argentine. Parmi les nombreux traits distinctifs dont on se souviendra du 265e successeur de Pierre, il y aura aussi celui d’avoir été l’un des moins diplomates.

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