Le 87ème anniversaire du Pape, qu’il a célébré hier 17 décembre, est une nouvelle occasion pour Andrea Gagliarducci de s’interroger sur son bilan, ou plutôt ses bilans, et sur son héritage, qu’il tente de « sécuriser » dans la précipitation et à un rythme toujours plus fébrile. La vraie question est: l’héritage du pape sera-t-il préservé ? Ou bien est-il encore plus incertain ?

Pape François, un anniversaire à l’odeur de bilans

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
18 décembre 2023
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Le pape François est pressé d’établir son héritage. Du moins, il semble de plus en plus pressé de laisser un héritage. Un grand livre en plusieurs langues sur sa vie et les événements historiques qui l’ont caractérisée a déjà été annoncé, avec une offensive marketing qui est réellement sans précédent pour un pape. François a également fait savoir – dans une nouvelle interview accordée à la chaîne mexicaine Televisa – qu’il modifierait les rites funéraires des pontifes et qu’il avait déjà pris des dispositions pour son enterrement dans la basilique romaine et papale Sainte-Marie-Majeure.

Et ce n’est pas tout.

Cette même semaine, une lettre du pape aux employés du Secrétariat à l’économie a été rendue publique, dans laquelle il réaffirme la validité des réformes économiques et souligne les lignes directrices en matière d’investissement. Cette lettre du pape a été publiée presque simultanément avec une autre lettre, cette fois du cardinal Pietro Parolin, qui, dans un autre acte d’ingérence sans précédent, a réitéré au promoteur de la justice du Vatican son désir de voir le procès du Vatican se conclure par la condamnation des coupables.

La lettre du secrétaire d’État est si irrégulière qu’elle ne peut être expliquée que comme une réponse à la volonté du pape, ou du moins à ce que le cardinal secrétaire d’État croyait être la volonté du pape.

Les nouvelles de la semaine dernière signalent une nouvelle accélération du désir du pape de « ficeler » le travail accompli et de le garder en sécurité. Il y a une intention d’indiquer un chemin et de le rendre permanent.

Dernièrement, les réponses fréquentes du Dicastère pour la Doctrine de la Foi sur les questions les plus disparates répondent également à cette logique. Le cardinal Victor Manuel Fernandez lie constamment ses décisions en se référant non seulement au magistère ordinaire du pape François, mais aussi aux déclarations antérieures du cardinal Jorge Mario Bergoglio. Le dernier de ces documents, sur l’accès à la communion pour les mères célibataires, en rajoute une couche.

Le pape François, qui a fêté ses 87 ans le 17 décembre, est l’un des plus vieux papes de l’histoire.

Le pape François est aussi un pape qui a étroitement lié son enseignement à sa personne et à ses décisions personnelles. Il n’est pas tout à fait juste de dire que son pontificat a été anti-doctrinal. Aucun de ses enseignements n’a été contraire à l’enseignement établi – certainement pas en paroles – et tous sont susceptibles d’une construction orthodoxe.

Par contre, François a mené un pontificat personnaliste.

Toutes ses décisions se réfèrent à son expérience par lui-même, à sa manière d’être et à son point de vue. L’Église et ses enseignements semblent être relégués à l’arrière-plan avec le pape François. Tout se réfère, inévitablement, à lui.

Il s’agit vraiment d’une approche différente.

Par ailleurs, le pape François lie les réformes à ses décisions personnelles, qu’il justifie ensuite en disant qu’il avait un mandat et qu’il respecte la volonté de ceux qui lui ont confié ce mandat. La réforme de la curie, par exemple, serait une volonté qui a émergé lors des réunions pré-conclaves. Mais s’agit-il d’une réforme de la Curie ? S’agissait-il d’une réforme encore plus audacieuse de la curie ? S’agissait-il de mettre la curie de côté, comme l’a fait le pape François, en coupant tous les corps intermédiaires ?

La réforme de la curie visait à donner moins de poids au pouvoir central.

Le premier sacrifice sur cet autel est la Secrétairerie d’État du Vatican – de plus en plus marginalisée par le pape – qui va de pair avec le thème de la synodalité, lui aussi développé immédiatement par le pape François. Nous sommes maintenant sur un grand chemin synodal voulu par le pape, alors que le pape François lui-même a dit que la demande de réflexion sur le chemin synodal n’arrivait qu’en deuxième position dans les sondages demandant quel thème choisir pour le synode.

On peut soupçonner que le pape utilise les thèmes pour justifier sa conduite du gouvernement, et non l’inverse. Il a un modus procedendi, mais il n’a pas de vision stratégique. Les réformes se font par essais et erreurs, avec des pas en avant et des pas en arrière et une grande confusion de la part de ceux qui doivent appliquer la réforme ou même la comprendre.

Le pape François sait probablement que ce qu’il a laissé derrière lui est tout au plus provisoire – quelque chose de nucléaire – une idée à partir de laquelle on peut commencer. Même la réforme de la curie a été ad interim et a déjà été modifiée à plusieurs reprises par une législation spéciale, deux ans seulement après sa publication. Dans la manière de faire de François, les réformes structurelles sont temporaires. Il les modifie fréquemment, souvent par le biais de motu proprio et de lettres apostoliques.

De nombreux enseignements du pape sont également provisoires, à commencer par le respect du concile Vatican II, qui peut être interprété et appliqué de diverses manières.

Il est toutefois essentiel de reconnaître que l’accélération récente fait suite à un processus de longue haleine. Elle est peut-être devenue clairement perceptible avec la mort de Benoît XVI, mais elle n’a pas commencé là. La mort de Benoît XVI a permis d’achever un changement de génération. Toutefois, la lettre Traditionis custodes, qui abolit de fait la libéralisation du rite traditionnel voulue par Benoît XVI, a précédé la mort de l’ancien pape. .

Le pape François a envoyé la lettre, lui a donné une interprétation univoque et a obligé tout le monde à s’y conformer, même les diocèses qui ont porté de grands fruits après la libéralisation du rite traditionnel.

Alors que le procès du Vatican touche à sa fin [l’article est écrit avant que le verdict du procès Becciu, concluant à la condamnation de cardinal à la prison ne soit rendu], alors que tout le monde doutait à la fois du bien-fondé des réformes économiques du pape et de la justice sommaire de l’appareil de poursuites mis en place par François dans le but de faire comparaître le cardinal Becciu et consorts devant un tribunal pénal de la Cité du Vatican, voici un élément qui met ces réformes noir sur blanc.

Un autre exemple du désir du pape de diriger les débats est qu’il a pris la parole au synode, dans sa langue maternelle, l’espagnol, offrant des assurances sur la qualité du processus, réduisant ainsi au silence toutes les voix contraires ou perplexes sur le chemin synodal.

Le pape François a maintenant décidé de franchir une nouvelle étape.

Modifier les rites funéraires du pape, c’est porter la main sur une tradition qui s’est développée au fil des millénaires. Le rite funéraire du Pape n’est pas pour la magnificence du Pape mais pour permettre de rendre hommage à Pierre et de mettre toute l’Eglise en prière pour l’élection du successeur de Pierre. Simplifier le rituel, c’est considérer le rituel comme un moyen de montrer un privilège. Ce n’est assurément pas le cas.

Le pape François a profité d’une interview télévisée pour annoncer sa décision de changer le rite funéraire et celle d’être enterré à Sainte-Marie-Majeure. On peut avoir l’impression que c’est par le biais d’interviews – de plus en plus fréquentes – que François veut être présent dans le débat. François veut que l’on parle de lui. Il veut aussi dire ce qu’il pense depuis une tribune qui se situe en dehors du monde ecclésiastique. C’est peut-être parce qu’il pense qu’une telle tribune le protégera des accusations qui viennent de l’intérieur, où ses manœuvres intra-ecclésiastiques sont mieux comprises.

Le résultat, cependant, est l’histoire d’une Église qui n’existe apparemment que dans des situations extrêmes.

On se demande si les mères célibataires se sentent découragées de recevoir la communion à cause de la rigidité de certains pasteurs et fidèles. C’est peut-être vrai dans certains cas, mais la vérité est que la communion n’est pratiquement jamais refusée dans les petites communautés, sauf en cas de scandale grave.

On se demande si tous les prêtres souffrent de rigidité, s’il y a tellement de prêtres rétrogrades, et s’il suffit de concéder qu’il y a beaucoup de bons prêtres pour ne pas offenser les pasteurs qui sont présents dans la région depuis des années.

On se demande si l’Église que le pape François combat est non pas la structure actuelle, mais l’idée que le pape se fait de cette structure – une idée qui, elle aussi, dans certains cas, ne correspond pas à la réalité. Le pape résout le problème à la racine, en centralisant tout sur lui.

27 mars 2020, Place saint-Pierre

Nous sommes au fond dans la statio orbis du 27 mars 2020, quand le pape est monté seul sur le parvis de la basilique Saint-Pierre, au plus fort de la pandémie [cf. Une bénédiction urbi et orbi spectrale].

Le pape était là, hombre solitario y final.
L’Église manquait à l’appel.

La question fondamentale est la suivante : l’héritage du pape sera-t-il ainsi préservé ? Ou bien est-il encore plus incertain ?

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