Un prêtre d’un certain âge, lecteur du beau blog de Sabino Piaciolla, lui écrit pour raconter son expérience. Il pose en particulier la question fondamentale que presque personne, apparemment, n’a soulevé:

Où sont tous ces couples homosexuels fidèles (hommes ou femmes) qui se sentent « mal accueillis » par l’Église, exclus par les prêtres ou mal traités par eux, et qui aspirent à être bénis ? …

Les couples homosexuels ou les couples en situation canoniquement irrégulière qui souhaitent que leur union soit bénie par un prêtre catholique sont [par mon expérience] très peu nombreux. Pour ces rares cas, valait-il la peine de secouer le monde catholique avec un document qui divise les évêques, les prêtres et les fidèles du monde entier et risque de briser l’unité de l’Église catholique ?

Fiducia Supplicans : Lettre ouverte d’un prêtre au cardinal préfet Victor Manuel Fernandez

Je suis un prêtre, maintenant âgé mais toujours au service des âmes tant que le Seigneur m’en donne la force, et je souhaite moi aussi apporter une petite contribution au débat en cours sur la récente Déclaration « Fiducia supplicans » du Dicastère pour la Doctrine de la Foi. À mon âge (quatre-vingt-quatre ans), je ne suis pas habitué au courrier électronique et j’ai donc recours aux services d’un ami qui a transcrit mon texte sur l’ordinateur. Je l’ai relu et il est conforme à mon écriture.

Je vous demande la courtoisie de ne pas publier mon nom, mais seulement mes initiales, pour des raisons de confidentialité à l’égard des fidèles qui me connaissent personnellement.

J’ai exercé sans interruption mon ministère sacerdotal pendant cinquante-neuf ans dans diverses paroisses de la ville et dans deux sanctuaires marials, consacrant presque tout mon temps aux confessions, aux entretiens spirituels et à la préparation aux sacrements du baptême, de la confirmation (pour les adultes) et du mariage. J’ai été proche spirituellement et par les sacrements des malades et des mourants, un certain nombre d’entre eux ayant des tendances homosexuelles, et au cours des deux dernières décennies, également de nombreuses personnes divorcées, remariées et non remariées. Je peux témoigner personnellement de ce qui suit, car je m’en souviens très bien.

Tout d’abord, parmi les soi-disant « couples homosexuels » (c’est-à-dire ceux qui cohabitent de manière effective et permanente avec une personne du même sexe) qui sont venus me demander un réconfort spirituel, un sacrement ou même une simple bénédiction, je ne me souviens pas d’un seul d’entre eux. Où sont tous ces couples homosexuels fidèles (hommes ou femmes) qui se sentent « mal accueillis » par l’Église, exclus par les prêtres ou mal traités par eux, et qui aspirent à être bénis ? Il est possible que la Providence ait voulu, par un obscur dessein divin, que j’exerce mon ministère dans des lieux ou des églises qui ne sont pas fréquentés par eux. Mais si ce n’est pas le cas, l’autre explication est que les couples homosexuels ou les couples en situation canoniquement irrégulière qui souhaitent que leur union soit bénie par un prêtre catholique sont très peu nombreux. Pour ces rares cas, valait-il la peine de secouer le monde catholique avec un document qui divise les évêques, les prêtres et les fidèles du monde entier et risque de briser l’unité de l’Église catholique ? La prudence (grande vertu pour un pape et un cardinal !) n’aurait-elle pas suggéré de traiter ces questions pastorales dans la confidentialité d’un discernement sur la conduite à tenir entre le presbytre et son évêque, au cas par cas ? Pourquoi jeter en pâture aux fidèles un texte qui permet aux plus déséquilibrés de l’enfoncer dans la figure de leurs prêtres pour obtenir ce qu’ils veulent, et qui suscite le scandale chez les plus purs, les plus simples et les moins préparés à ces révolutions pastorales ?

Par contre, des croyants et des pratiquants individuels ayant une orientation homosexuelle, des hommes qui ressentent de l’attirance pour d’autres hommes et des femmes pour d’autres femmes, j’en ai rencontré un bon nombre dans mon ministère. Surtout au cours des deux dernières décennies. Il y a deux types de personnes.

Il y a ceux dont la conscience les met mal à l’aise lorsqu’ils se tournent vers Dieu par la prière individuelle et la participation à la liturgie à l’église, parce qu’ils ont le sentiment qu’en se livrant à des actes érotiques homosexuels (avec le même ami vers lequel ils sont continuellement attirés même s’ils ne vivent pas ensemble, ou avec des personnes occasionnelles du même sexe), ils ne suivent pas la volonté du Seigneur et commettent un péché à l’encontre du sixième commandement. Certains d’entre eux éprouvent une grande gêne à se confesser, d’autres sont plus décontractés. Il y a ceux qui considèrent que leurs actes impurs ne sont pas vraiment des péchés graves au point d’offenser Dieu, et ceux qui les considèrent comme des péchés mortels qui ne leur permettent pas de s’approcher de la communion. Tous déclarent à leur confesseur qu’ils ne peuvent pas toujours se retenir, qu’ils ressentent de fortes pulsions et qu’ils agissent « comme je suis ou comme je fais ». Comme antidote spirituel, certains ont recours à une prière plus assidue, d’autres essaient d’éviter les situations de rencontre ‘dangereuses’. Certains demandent conseil à leur confesseur, beaucoup préfèrent ne pas s’attarder sur ce péché habituel.

À eux, j’ai toujours essayé de parler avec douceur, de les rassurer en leur disant qu’à leur repentir sincère et à leur demande de pardon, Dieu répondra par son infinie miséricorde. Je leur ai dit que le Seigneur les aime, comme il aime chacun de ses fils et de ses filles, et que dans son amour, il ne fait pas de distinction entre les saints et les pécheurs. À leur objection selon laquelle ils pourraient retomber dans le même péché parce que cette tentation « est plus forte que moi », et donc « à quoi bon se confesser ? », j’ai répondu que Dieu ne se lasse pas de pardonner et que la grâce du sacrement renforce leur liberté d’éviter le mal et de choisir le bien. Ne pas se confesser les exposerait au risque de rechuter plus souvent et de se détourner progressivement de la volonté de Dieu.

Je n’ai jamais refusé l’absolution à ces personnes, même pendant des années et des années, alors qu’elles confessaient le même péché ou manifestaient la même faiblesse. Il y a eu des cas où elles m’ont demandé mon numéro de téléphone pour pouvoir me chercher et se confesser plus fréquemment, et ainsi pouvoir recevoir la Communion. L’absolution dans le sacrement de pénitence est un bien spirituel plus grand qu’une simple bénédiction mentionnée dans la Déclaration du Saint-Siège !

Quant aux divorcés remariés civilement à qui je ne pouvais pas donner l’absolution (j’ai entendu les confessions de beaucoup d’entre eux en effet), j’ai toujours conclu mon écoute par une bénédiction sur le pénitent individuel, en expliquant explicitement que cela n’équivalait pas à l’absolution et ne le qualifiait pas pour recevoir la Communion. Presque tout le monde était heureux d’être béni et, en tout cas, je n’ai jamais refusé une bénédiction à un divorcé remarié. Et je sais que, comme moi, presque tous les prêtres ont agi et agissent. Il aurait suffi que « Fiducia supplicans » rappelle à tous les prêtres la possibilité et l’opportunité de cette pratique pastorale !

Cependant, il existe un deuxième type de catholiques homosexuels qui se comportent différemment face au sacrement de pénitence ou lors d’un entretien avec le prêtre. Rarement spontanément, plus souvent poussées par le confesseur qu’elles ont sollicité pour un examen de conscience, elles ne reconnaissent pas du tout que le fait de céder à la tentation contre le sixième commandement et d’accomplir des actes impurs avec des personnes du même sexe peut être contraire à la volonté de Dieu. Quelques-uns d’entre eux contestent ouvertement l’enseignement de l’Eglise en la matière (celui-là même que la Déclaration du Vatican réaffirme comme étant inchangé !) et affirment fièrement : « Je suis fait ainsi et pourquoi ne suivrais-je pas mon orientation sexuelle ? Ou encore : « Voulez-vous m’empêcher d’être moi ou moi-même ? » Et d’autres phrases du même acabit. Il est inutile de leur rappeler la différence entre la tentation homosexuelle (qui n’est pas en soi un péché et à laquelle on peut au moins essayer de résister, même s’il est facile de tomber) et le choix délibéré de se livrer à des actes sexuels contre la nature de l’homme et de la femme et, par conséquent, contre la volonté de Dieu. Leur conscience erronée semble invincible. Une éducation morale absente ou largement déficiente au cours de leur formation chrétienne y a contribué. Beaucoup d’évêques, de prêtres et de catéchistes devraient ici faire leur mea maxima culpa. Un autre facteur négatif découle précisément des déclarations ambiguës sur la négativité morale des actes homosexuels provenant de l’enseignement même des pasteurs de l’Église. Je crains que la déclaration « Fiducia supplicans » ne s’inscrive également dans cette ligne, non pas dans son aspect doctrinal, mais en termes de pratique pastorale désorientée et non formatrice d’une conscience droite en ce qui concerne la bénédiction des couples homosexuels.

Avec leur assentiment, même à ces fidèles qui ont du mal à accepter ou qui rejettent résolument ce que dit la Parole de Dieu et ce qu’enseigne l’Église sur les actes homosexuels, je n’ai jamais refusé une bénédiction, en la justifiant par le fait que le Seigneur peut les aider à comprendre ce qu’ils ne peuvent pas comprendre aujourd’hui. Certains d’entre eux ont refusé d’être bénis par un prêtre qui leur avait rappelé un péché qu’ils ne reconnaissaient pas comme tel, et je les ai renvoyés avec cordialité et la phrase : « Je prierai quand même pour vous ». Dans certains cas, il y a eu des personnes qui ont dit vouloir s’adresser à un autre prêtre (et je leur ai dit qu’elles en avaient parfaitement le droit) et d’autres qui ont dit vouloir continuer à recevoir la communion même après avoir péché contre le sixième commandement et sans avoir besoin de se confesser. La récente déclaration du Vatican ne mentionne aucune de ces situations, mais elles sont loin d’être rares, du moins d’après mon expérience.

Je conclus en posant quelques questions, sans prétendre recevoir une réponse du cardinal préfet Victor Manuel Fernandez : je suis un simple prêtre, maintenant proche de prendre congé de mon service pastoral et de cette terre, et cela ne vaut pas la peine que Son Éminence se donne du mal pour si peu.

Celui qui a rédigé ce document a-t-il déjà passé des heures chaque jour au confessionnal ou à recevoir des fidèles pour des entretiens spirituels, pendant tant d’années ? Connaît-il les consciences des catholiques homosexuels telles qu’ils les ouvrent aux prêtres lorsqu’ils se confessent ou demandent à être entendus ? Où ont-ils vu ou entendu parler de couples homosexuels et hétérosexuels dont un ou deux membres sont des divorcés concubins ou remariés civilement faire la queue devant la sacristie ou le presbytère du curé pour recevoir ensemble une bénédiction ? Enfin : dans quels diocèses les prêtres refusent-ils une bénédiction à un homosexuel individuel qui est sur le chemin de la conversion même s’il tombe encore fréquemment dans le même péché, ou qui la demande (ou accepte de la recevoir) mais a besoin de rendre sa conscience capable de reconnaître le péché qu’il ne voit pas aujourd’hui ?

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