On attendait sa réaction, et elle ne déçoit pas: l’évêque de Bayonne Oléron, dans une note du 29 décembre (longue et très argumentée, on sent que c’est une réflexion longuement mûrie) s’exprime, avec toute la délicatesse (et la prudence ) que lui impose son souci de ne pas se séparer de la communion avec Rome: c’est une explication de texte dans un but « pédagogique » de clarification, qui se présente en grande partie sous forme de « questions » (qu’on pourrait qualifier de « dubia de Mgr Aillet »… que répondrait Tucho?), et ce qui ressort, c’est: oui aux bénédictions de personnes individuelles, non aux bénédictions de « couples » gays.
Je me permets de le reproduire en entier (*), car c’est un texte important (et courageux!), propre à orienter les fidèles, et n’oubliant pas de donner en conclusion un vade-mecum à l’usage des prêtres qui sont souvent désemparés, ne sachant pas quelle attitude adopter.

(*) Les caractères en gras sont de moi.

Une question sémantique s’impose donc qui n’est pas résolue : la  dénomination de « couple » peut-elle raisonnablement être donnée à la  relation de deux personnes de même sexe ? N’a-t-on pas intégré un peu  hâtivement la sémantique que le monde nous impose mais qui jette la  confusion sur la réalité du couple ? (…)

la différence  sexuelle n’est-elle pas essentielle à la constitution même d’un couple ?  C’est une question anthropologique qui mériterait d’être précisée pour  éviter toute confusion et ambiguïté, car si le monde a élargi cette  notion à des réalités qui n’entrent pas dans le Dessein du Créateur, la  parole magistérielle ne doit-elle pas assumer une certaine rigueur dans  sa terminologie pour correspondre le mieux possible à la vérité révélée,  anthropologique et théologique ?

Note de Mgr Marc Aillet à propos de la déclaration Fiducia supplicans

diocese64.org
29 décembre 2023

« Le Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF) vient de publier, le  18 décembre 2023, avec l’approbation du Pape François, la Déclaration Fiducia Supplicans « sur la signification pastorale des bénédictions ».

Saluée comme une victoire par le monde laïque, et en particulier par  les lobbies LGBT qui y voient enfin une reconnaissance par l’Eglise des  relations homosexuelles malgré les multiples restrictions rappelées par  le document romain, elle fait l’objet d’une désapprobation publique  inédite de la part de conférences épiscopales entières, en particulier  d’Afrique et d’Europe de l’Est, ainsi que d’évêques de tous les  continents. En outre, de nombreux fidèles, y compris des recommençants,  et nombre de prêtres, qui font face, dans une société en perte de  repères, à des situations pastorales complexes, en faisant preuve  d’autant de fidélité à l’enseignement du Magistère que de charité  pastorale, expriment leur trouble et leur incompréhension.

Interpellé par ces réactions et après avoir pris le temps de la  réflexion, je souhaite adresser, comme évêque, aux prêtres et aux  fidèles de mon diocèse, une note en vue des les aider à accueillir cette  déclaration dans un esprit de communion avec le Saint-Siège  apostolique, en donnant quelques clés de compréhension, tout en  interrogeant respectueusement certains points de la déclaration  susceptibles de clarification. Enfin, je voudrais inviter les prêtres de  mon diocèse à la prudence, vertu par excellence du discernement. J’ai  conscience que cette note est dense, mais il me semble important de  traiter la question avec suffisamment de hauteur théologique et  pastorale.

Une doctrine inchangée sur le mariage

Fiducia supplicans commence par rappeler que l’enseignement  de l’Eglise sur le mariage, comme union stable, exclusive et  indissoluble entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la  génération de nouvelles vies, reste ferme et inchangée (n. 4). C’est la  raison pour laquelle, insiste le texte, il est impossible de donner une  bénédiction liturgique ou rituelle à des couples en situation  irrégulière ou de même sexe, ce qui risquerait d’induire une grave  confusion entre le mariage et les unions de fait (n. 5). Il est ainsi  précisé que c’est la raison pour laquelle l’ancienne Congrégation pour  la Doctrine de la Foi, dans une réponse ad dubium, le 22 février 2021,  avait conclu à l’impossibilité de donner une bénédiction aux « couples »  de même sexe.

Distinction entre les bénédictions liturgiques et les bénédictions pastorales

Il est proposé ensuite tout un parcours biblique pour fonder la  distinction entre les bénédictions liturgiques (n. 10) et les  bénédictions que l’on qualifiera de pastorales, en vue d’éclairer la  possibilité d’une bénédiction accordée à une personne qui, quelle que  soit sa condition de pécheur, peut la demander à un prêtre, hors  contexte liturgique ou rituel, pour manifester sa confiance en Dieu et  sa demande d’aide afin de « mieux vivre » et de mieux ajuster sa vie à  la volonté de Dieu (n. 20). Cela fait d’ailleurs partie d’une pratique  pastorale élémentaire et bimillénaire de l’Eglise, en particulier dans  le cadre de la dévotion populaire (n. 23-24), où il ne s’agit jamais  d’exercer un contrôle sur l’amour inconditionnel de Dieu envers tous ni  d’exiger un certificat de moralité, étant entendu qu’il s’agit ici d’un  sacramental, qui n’agit pas comme un sacrement ex opere operato, mais  dont l’efficacité de grâce dépend des bonnes dispositions de celui qui  la demande et la reçoit. Jusqu’ici, le texte n’apporte rien de nouveau à  l’enseignement ordinaire de l’Eglise, en ces matières.

Une bénédiction pastorale étendue aux couples de même sexe

De la pratique multiséculaire de bénédictions spontanées et  informelles, qui n’ont jamais été ritualisées par l’autorité ecclésiale,  on passe à ce qui a été présenté dans l’introduction du document comme  son objet propre :

« C’est précisément dans ce contexte [ celui de la «  vision pastorale du Pape François ] que l’on peut comprendre la  possibilité de bénir des couples en situation irrégulière et les couples  de même sexe, sans valider officiellement leur statut ni modifier en  quoi que ce soit l’enseignement pérenne de l’Eglise sur le mariage »  (Présentation).

Il sera même précisé que « ce geste ne prétend pas  sanctionner ni légitimer quoi que ce soit » (n. 34).

C’est ainsi que dans la troisième partie de la déclaration, on glisse  subrepticement de la possibilité de bénir une personne, quelle que soit  sa situation, à une bénédiction accordée à un « couple » en situation  irrégulière ou de même sexe.

Malgré toutes les précisions sur le caractère non liturgique de ces  bénédictions et l’intention louable « de s’associer ainsi aux prières  des personnes qui, bien que vivant une union qui ne peut en aucun cas  être comparée au mariage, désirent se confier au Seigneur et à sa  miséricorde, invoquer son aide et être guidées vers une plus grande  compréhension de son dessein d’amour et de vérité » (n. 30), on est bien  obligé de constater que cela a été reçu, quasi unanimement par les pro  comme par les contra, comme une « reconnaissance par l’Eglise des  relations homosexuelles » elles-mêmes.

Or, c’est malheureusement souvent  dans ce sens qu’est comprise la pratique – déjà en usage dans certaines  Eglises locales – de bénir des « couples » de même sexe, notamment en  Allemagne ou en Belgique, et de manière parfaitement publique. Il est à  craindre qu’ils se sentent ainsi encouragés, comme en témoigne déjà un  certain nombre.

Questions qui mériteraient des éclaircissements

On comprend le souhait légitime du Saint-Père de manifester la  proximité et la compassion de l’Eglise envers toutes les situations,  même les plus marginales : n’est-ce pas en effet l’attitude du Christ  dans l’Evangile, « lui qui faisait bon accueil aux publicains et aux  pécheurs » (cf. Mt 9, 11), et qui constitue une bonne part de notre  ministère ordinaire ? Il y a néanmoins quelques questions qui restent en  suspens et demanderaient de vrais éclaircissements, tant du point de  vue doctrinal que pastoral.

  • Ces bénédictions ne seraient-elles pas en contradiction avec la notion de «sacramental» qu’assume toute bénédiction?

Il convient de souligner que la raison avancée par le Responsum ad dubium de  2021 mettait moins en avant le contexte liturgique de la bénédiction  que sa nature de « sacramental » qui demeure quel que soit le contexte : 

« Pour être cohérent avec la nature des sacramentaux, lorsqu’une  bénédiction est invoquée sur certaines relations humaines, il est  nécessaire – outre l’intention droite de ceux qui y participent – que ce  qui est béni soit objectivement et positivement ordonné à recevoir et à  exprimer la grâce, en fonction des desseins de Dieu inscrits dans la  Création et pleinement révélés par le Christ Seigneur. Seules les  réalités qui sont en elles-mêmes ordonnées à servir ces plans sont  compatibles avec l’essence de la bénédiction donnée par l’Eglise » (Note  explicative du Responsum).

C’est la raison pour laquelle  l’ancienne Congrégation pour la Doctrine de la Foi déclarait illicite «  toute forme de bénédiction » à l’égard des relations qui impliquent une  pratique sexuelle hors mariage, comme c’est le cas des unions de  personnes de même sexe. Il faut certes reconnaître et valoriser les  éléments positifs que comportent ces types de relations, mais ils sont  mis au service d’une union qui n’est pas ordonnée au Dessein du  Créateur.

  • N’y a-t-il pas une distinction à faire entre bénir une personne et bénir un «couple»?

L’Eglise a toujours tenu que « Ces bénédictions s’adressent à tous et  que personne ne doit en être exclu » (n. 28). Mais, si l’on se réfère  au Livre des Bénédictions et au Directoire sur la piété populaire et la liturgie,  on constate qu’ils concernent essentiellement, sinon exclusivement, des  personnes individuelles, même réunies en groupes, comme des personnes  âgées ou des catéchistes. Mais dans ces cas, ce n’est pas la relation  qui les unit, et qui n’est d’ailleurs qu’extrinsèque, qui est l’objet de  la bénédiction, mais bien la personne.

Ainsi, nous touchons là à la nouveauté de la déclaration Fiducia supplicans qui ne réside pas dans la possibilité de bénir une personne en  situation irrégulière ou homosexuelle, mais d’en bénir deux qui se  présentent en tant que « couple ». C’est donc l’entité « couple » qui  invoque la bénédiction sur elle. Or, si le texte prend soin de ne pas  utiliser les termes d’union, de partenariat ou de relation – utilisés  par l’ancienne Congrégation pour son interdiction –, il ne fournit pas  pour autant une définition de la notion de « couple », devenu ici un  nouvel objet de bénédiction.

Une question sémantique s’impose donc qui n’est pas résolue : la  dénomination de « couple » peut-elle raisonnablement être donnée à la  relation de deux personnes de même sexe ? N’a-t-on pas intégré un peu  hâtivement la sémantique que le monde nous impose mais qui jette la  confusion sur la réalité du couple ? Dans son exhortation apostolique Ecclesia in Europa (2003), Jean Paul II écrit :

« On observe même des tentatives visant à  faire accepter des modèles de couples où la différence sexuelle ne  serait plus essentielle » (n. 90).

Autrement dit : la différence  sexuelle n’est-elle pas essentielle à la constitution même d’un couple ?  C’est une question anthropologique qui mériterait d’être précisée pour  éviter toute confusion et ambiguïté, car si le monde a élargi cette  notion à des réalités qui n’entrent pas dans le Dessein du Créateur, la  parole magistérielle ne doit-elle pas assumer une certaine rigueur dans  sa terminologie pour correspondre le mieux possible à la vérité révélée,  anthropologique et théologique ?

  • Quid des relations homosexuelles ?

Accorder une bénédiction à un « couple » homosexuel, non plus  seulement à deux personnes individuelles, semble cautionner par le fait  même l’activité homosexuelle qui les relie, même si, encore une fois, on  précise bien que cette union ne peut pas être assimilée au mariage.  Cela pose donc la question, qui n’est pas abordée dans cette  déclaration, du statut moral des relations homosexuelles. Or  l’enseignement de l’Eglise, conformément à l’Ecriture Sainte et à  l’enseignement constant du Magistère, tient ces relations pour «  intrinsèquement désordonnées » (Catéchisme de l’Eglise Catholique n. 2357) : si Dieu ne répugne pas à bénir le pécheur, peut-il dire du  bien de ce qui n’est pas conforme concrètement à son Dessein ? Cela ne  contredirait-il pas la bénédiction originelle de Dieu quand il crée  l’homme à son image : « homme et femme il les créa. Dieu les bénit et  leur dit : ‘soyez féconds et multipliez-vous’ » (Gn 1, 28) ?

  • N’y a-t-il pas des actes qui sont intrinsèquement mauvais ?

Pour mettre un terme aux controverses qui avaient agité les  moralistes catholiques depuis les années 70, sur l’option fondamentale  et la moralité des actes humains, le pape Jean Paul II a publié une  encyclique magistrale, Veritatis splendor (1993), sur quelques  questions fondamentales de l’enseignement moral de l’Eglise, et dont  nous avons célébré en 2023 le 30ème anniversaire. Cette encyclique, qui  vient confirmer la Partie morale du CEC et en développer certains  aspects, a rappelé en particulier l’enseignement constant du Magistère sur l’existence  d’actes intrinsèquement mauvais (n. 79-83) qui demeurent interdits  semper et pro semper, c’est-à-dire en toutes circonstances. Cet  enseignement est loin d’être facultatif et il donne une clé pour le  discernement des situations auxquelles nous sommes confrontés dans le  ministère pastoral. Sans doute un comportement qui est objectivement en  désaccord avec le Dessein de Dieu n’est pas nécessairement imputable  subjectivement – d’ailleurs « qui suis-je pour juger ? », pour reprendre  la célèbre expression du pape François –, mais il n’en devient pas  moralement bon pour autant. La déclaration Fiducia supplicans  évoque souvent le pécheur qui demande une bénédiction – « ceux qui se  reconnaissent humblement pécheurs comme tout le monde » (n. 32) –, mais  reste muette sur le péché particulier qui caractérise ces situations.  L’expérience montre d’ailleurs qu’il n’est pas certain que cette  possibilité de bénédiction « sans condition » soit une aide à la  conversion.

  • L’exercice de la charité pastorale peut-il être déconnecté de la mission prophétique d’enseignement ?

Il est heureux que cette déclaration renvoie au ministère du prêtre  et il faut rendre grâce au Saint-Père de susciter toutes sortes  d’occasions pour permettre à des personnes, éloignées de l’Eglise et de  sa discipline, de rencontrer un prêtre, comme il en exprime le souhait  dans son exhortation apostolique Amoris laetitia (2016), pour  faire l’expérience de la proximité d’un « Dieu tendre et miséricordieux,  lent à la colère et plein d’amour » (Ps 144, 8). Mais alors, il ne  saurait être question pour deux personnes de même sexe engagées dans une  activité homosexuelle et se présentant comme telles, ou pour des  couples en situation irrégulière, de recourir à une bénédiction  accordée, même de manière informelle, sans un dialogue pastoral auquel  le pape François encourage précisément souvent les pasteurs.

En ce sens, on ne saurait séparer, dans le ministère du prêtre,  l’exercice de la charité pastorale de sa mission prophétique  d’enseignement. Et le cœur de la prédication de Jésus demeure l’appel à  la conversion, dont on peut regretter qu’il n’en soit pas question dans  cette déclaration. Quand Jésus manifeste sa compassion vis-à-vis du  pécheur, il l’exhorte toujours à changer de vie, comme on le voit, entre  autres exemples, dans le récit de la femme adultère : « Moi non plus,  je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus » (Jn 8, 11).

Que  serait une sollicitude pastorale qui n’inviterait pas le fidèle, sans  juger ni condamner personne, à évaluer sa vie et son comportement par  rapport aux paroles de l’Alliance et à l’Evangile ? Ces paroles disent  le dessein bienveillant de Dieu à l’égard des hommes, en vue d’y  conformer leur vie, avec la grâce de Dieu, et selon un chemin de  croissance, appelé par Jean Paul II : « loi de gradualité ou voie  graduelle » (cf. Familiaris Consortio n. 34). La bénédiction  accordée à deux personnes unies par une relation homosexuelle ou à un  couple en situation irrégulière ne risquerait-elle pas de leur faire  croire que leur union est une étape légitime dans leur cheminement ? Or  Jean Paul II a bien pris soin de préciser :

« C’est pourquoi ce qu’on  appelle loi de gradualité ou voie graduelle ne peut s’identifier à la  gradualité de la loi, comme s’il y avait, dans la loi divine, des degrés  et des formes de préceptes différents selon les personnes et les  situations diverses » (Ibid.).

  • Peut-on opposer pastorale et doctrine ?

Par ailleurs, peut-on opposer accompagnement pastoral et enseignement  doctrinal, comme si l’intransigeance était du côté de la doctrine et  des principes, au détriment de la compassion et de la tendresse que nous  devons pastoralement aux pécheurs ? Face aux pharisiens qui le mettent à  l’épreuve, à propos du divorce et de l’acte de répudiation consenti par  Moïse, Jésus renvoie sans concession à la « Vérité du commencement »  (cf. Gn 1 et 2), affirmant que si Moïse a consenti à leur faiblesse,  c’est en raison de « la dureté de leur cœur » (cf. Mt 19, 3-9). C’est  Jésus qui apparaît même comme le plus intransigeant. Il faut dire que la  loi ancienne ne rendait pas juste : mais avec Jésus, nous sommes  désormais sous le régime de la Loi nouvelle que saint Thomas d’Aquin  définissait, en s’inspirant de saint Paul, comme « la grâce de l’Esprit  Saint donnée à ceux qui croient au Christ » (Somme de Théologie I-II  106, 1). Tout acte de ministère, y compris les bénédictions, devrait  donc être placé sous le régime de la loi nouvelle, où nous sommes tous  appelés à la sainteté, quelle que soit notre condition de pécheur.

Comme le précisait le Cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la  Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans une lettre adressée aux  évêques de l’Eglise catholique sur la pastorale à l’égard des personnes  homosexuelles (1986) :

« Il convient de bien faire comprendre que  l’éloignement de l’enseignement de l’Eglise ou le silence à son sujet  n’est, dans un effort de prise en charge pastorale, ni la marque d’un  vrai sens de la responsabilité ni celle d’un véritable ministère  pastoral. Seul ce qui est vrai peut finalement être pastoral. Ne pas  prendre en compte la position de l’Eglise, c’est priver des hommes et  des femmes homosexuels de l’attention dont ils ont besoin et qu’ils  méritent » (n. 15).

Et saint Jean Paul II de prévenir :

« La doctrine de l’Eglise et, en  particulier, sa fermeté à défendre la validité universelle et permanente  des préceptes qui interdisent les actes intrinsèquement mauvais est  maintes fois comprise comme le signe d’une intolérable intransigeance,  surtout dans les situations extrêmement complexes et conflictuelles de  la vie morale de l’homme et de la société aujourd’hui, intransigeance  qui contrasterait avec le caractère maternel de l’Eglise. Cette  dernière, dit-on, manque de compréhension et de compassion. Mais, en  réalité, le caractère maternel de l’Eglise ne peut jamais être séparé de  la mission d’enseignement qu’elle doit toujours remplir en Epouse  fidèle du Christ qui est la Vérité en personne (…) ‘’En réalité, la  vraie compréhension et la compassion naturelle doivent signifier l’amour  de la personne, de son bien véritable et de sa liberté authentique. Et  l’on ne peut certes pas vivre un tel amour en dissimulant ou en  affaiblissant la vérité morale, mais en la proposant avec son sens  profond de rayonnement de la Sagesse éternelle de Dieu, venue à nous  dans le Christ, et avec sa portée de service de l’homme, de la  croissance de sa liberté et de la recherche de son bonheur’’ (Familiaris  Consortio n. 34).

.

En même temps, la présentation claire et vigoureuse  de la vérité morale ne peut jamais faire abstraction du respect profond  et sincère, inspiré par un amour patient et confiant, dont l’homme a  toujours besoin au long de son cheminement moral rendu souvent pénible  par des difficultés, des faiblesses et des situations douloureuses.  L’Eglise, qui ne peut jamais renoncer au principe ‘’de la vérité et de  la cohérence, en vertu duquel elle n’accepte pas d’appeler bien ce qui  est mal et mal ce qui est bien’’ (Reconciliatio et paenitentia n.  34), doit toujours être attentive à ne pas briser le roseau froissé et à  ne pas éteindre la mèche qui fume encore (cf. Is 42, 3). Paul VI a  écrit : ‘’Ne diminuer en rien la salutaire doctrine du Christ est une  forme éminente de charité envers les âmes. Mais cela doit toujours être  accompagné de la patience et de la bonté dont le Seigneur lui-même a  donné l’exemple en traitant avec les hommes. Venu non pour juger, mais  pour sauver (cf. Jn 3, 17), il fut certes intransigeant avec le mal,  mais miséricordieux envers les personnes’’ (Humanae vitae n. 29). »

(Veritatis splendor n. 95).

« Ne vous modelez pas sur le monde présent »

J’ai bien conscience que la question est délicate et je souscris  pleinement à la volonté du Saint-Père d’insister sur la charité  pastorale du prêtre appelé à rendre proche de tout homme l’amour  inconditionnel de Dieu, jusqu’aux périphéries existentielles de  l’humanité si blessée d’aujourd’hui. Mais je pense à cette parole  lumineuse de l’Apôtre Paul à Tite, que nous entendons proclamer dans la  liturgie de la nuit de Noël, qui résume toute l’Economie du Salut :

«  Car la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes.  Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde,  et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice  et piété (…) Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de  toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un  peuple ardent à faire le bien » (Tt 2, 11-12. 14).

La charité pastorale  qui nous presse – « Caritas Christi urget nos » (2 Co 5, 14) –  de rejoindre tous les hommes pour leur montrer combien ils sont aimés  de Dieu – la preuve, c’est que le Christ est mort et ressuscité pour  tous –, nous presse, de manière indissociable, de leur annoncer la  Vérité de l’Evangile du Salut. Et la Vérité est ainsi formulée par Jésus  à tous ceux qui veulent devenir ses disciples :

« Si quelqu’un veut  venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et  qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui  perd sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 16, 24).

Saint Luc précise  qu’il le disait « à tous » (Lc 9, 23) et pas seulement à une élite.

Une parole de saint Paul résonne encore en moi pour éclairer notre  attitude pastorale :

« Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais  que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse  discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui  plaît, ce qui est parfait » (Rm 12, 2).

Tous les hommes, y compris les  couples en situation irrégulière ou de même sexe, aspirent au meilleur,  car l’inclination au bien, au vrai et au beau est inscrite par Dieu dans  le cœur de tout homme : c’est respecter sa dignité et sa liberté  fondamentale que de le reconnaître. Et cela vaut la peine de « mouiller  sa chemise » pour aider tout homme, quelle que soit sa situation de  péché ou de contradiction avec le Dessein de Dieu tel qu’il est révélé  dans le Décalogue et l’Evangile, à le découvrir et à cheminer, moyennant  des processus de croissance et l’aide de la grâce de Dieu, pour y  parvenir. Et cela ne peut pas se faire en faisant l’économie de la  Croix.

Attitude pastorale pratique

Aussi, en conclusion, et vu le contexte d’une société sécularisée où  nous connaissons une crise anthropologique inédite, qui conduit  immanquablement à des ambiguïtés tenaces :

– J’invite les prêtres du diocèse, face aux couples en situation  irrégulière ou aux personnes engagées dans une relation homosexuelle, à  faire preuve d’un accueil plein de bienveillance : il faut que les  personnes ne se sentent pas jugées, mais accueillies par un regard et  une écoute qui disent l’amour de Dieu pour elles.

– Je les invite ensuite à instaurer un dialogue pastoral et à avoir  le courage, pour le bien des personnes et avec la délicatesse qui  convient, sans les juger et en s’impliquant personnellement dans la  relation pastorale, de leur dire clairement la Vérité que l’Eglise  enseigne sur leur situation.

– Enfin, je les invite, si les personnes le demandent, à leur donner  une bénédiction, à condition que ce soit à chaque personne  individuellement, en les appelant à la conversion et en les invitant à  demander le secours de la grâce que le Seigneur accorde à tous ceux qui  le lui demandent pour conformer leur vie à la Volonté de Dieu ».

Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron
Bayonne, le 27 décembre 2023
En la fête de saint Jean, Apôtre

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