Parmi les réactions critiques à Fiducia Supplicans, celle publiée à chaud (le 19 décembre) sur le site catholique américain First Things se détache comme un petit bijou théologique et littéraire. Elle a du reste été reprise par différents sites (dont The Wanderer) mais à ma connaissance pas en français. L’auteur y compare la production de François à un trou noir qui, dit-il, selon la définition de la NASA est « une grande quantité de matière entassée dans une très petite zone », avec pour résultat « un champ gravitationnel si puissant que rien, pas même la lumière, ne peut s’en échapper ». Ici, à la lecture des documents papaux, on se trouve « aspiré dans le trou noir, où la lumière de la raison ne peut pénétrer ».

Le pape et le trou noir

Dan Hitchens (*)
www.firstthings.com
19 décembre 2023

(*) Dan Hitchens est senior editor au site catholique conservateur américain First Things

Dans une séquence d’événements désormais familière, le Vatican a publié lundi [18 décembre] un document qui a provoqué une confusion immédiate. « Le pape déclare que les prêtres catholiques romains peuvent bénir les couples de même sexe », annonçaient les gros titres.

Les apologistes catholiques optimistes ont déclaré que les médias avaient mal compris le document, qui ne permettait rien de tel. Les apologistes catholiques pessimistes ont déclaré que les titres étaient, hélas, corrects et que le pape avait commis une erreur. Les ultramontains à temps partiel ont déclaré que le document ne pouvait être lu que de manière conservatrice et que c’était une insulte scandaleuse au pape de penser autrement. Les ultramontains à temps plein ont dit que le document ne pouvait être lu que comme un « développement de la doctrine » et que c’était une insulte scandaleuse au pape de penser autrement. Les libéraux se sont réjouis avec une légère pointe d’impatience. Le monde s’est intéressé brièvement à la question, a conclu que l’Église progressait au moins lentement, puis a baillé un peu et est passé au titre suivant.

J’ai passé ce qui me semble être des années à décortiquer ces documents du Vatican tant débattus, à vérifier la traduction exacte des mots italiens, à demander des commentaires à des canonistes et des théologiens érudits, à comparer une phrase avec une autre. Et pour être honnête, j’envisage de me retirer du jeu. Car à l’ère du pape François, de telles déclarations « controversées » sont généralement moins des déclarations que des trous noirs.

Selon la NASA, un trou noir est « une grande quantité de matière entassée dans une très petite zone – pensez à une étoile dix fois plus massive que le Soleil comprimée dans une sphère d’environ le diamètre de la ville de New York ». Cela exagère légèrement la densité du texte de cinq mille mots de Fiducia supplicans, mais l’important est le résultat, qui, comme l’explique la NASA, « est un champ gravitationnel si puissant que rien, pas même la lumière, ne peut s’en échapper ».

Il en va de même pour Fiducia supplicans. Habituellement, on peut éclairer un document en demandant ce que l’Église a dit auparavant. Dans ce cas, le document lui-même cite la dernière déclaration du Vatican sur le sujet, publiée en 2021. Ce texte décrétait, avec l’approbation signée du pape François, qu’ « il n’est pas licite de bénir des relations ou des partenariats, même stables, qui impliquent une activité sexuelle en dehors du mariage […] comme c’est le cas des unions entre personnes du même sexe. La présence dans ces relations d’éléments positifs … ne peut justifier ces relations et les rendre objets légitimes d’une bénédiction ecclésiale ».

Mais quelques milliers de mots après avoir invoqué le document précédent, ce nouveau document annonce soudain que « Dans l’horizon tracé ici apparaît la possibilité de bénédictions pour les couples en situation irrégulière et pour les couples de même sexe ». Naturellement, vous cherchez dans le texte où l’on explique pourquoi le document précédent était erroné. Vous ne trouvez rien. Vous avez été aspiré dans le trou noir, où la lumière de la raison ne peut pénétrer.

Alors, dans un esprit de générosité, vous essayez de prendre le document littéralement. Apparemment, tout le monde avait auparavant une compréhension insuffisante des bénédictions. Ce nouveau texte offre « une contribution spécifique et innovante à la signification pastorale des bénédictions » (italiques dans l’original). Suivent 2 800 mots de réflexions sur les bénédictions – les bénédictions dans la Bible, les raisons pour lesquelles les personnes qui demandent des bénédictions font preuve d’une « ouverture sincère à la transcendance », l’observation selon laquelle les prêtres bénissent parfois des pèlerinages ainsi que « des groupes et des associations de bénévoles ». Rien de tout cela n’est remarquablement innovant, ni même spécifique. Une fois de plus, nous avançons dans l’obscurité totale vers une conclusion confiante : « Dans l’horizon esquissé ici apparaît la possibilité de bénir des couples en situation irrégulière », etc. De quel horizon s’agit-il ? Vous vous en rendez compte trop tard : C’est l’horizon des événements. Vous êtes de nouveau dans le trou noir.

Si le document semble incohérent avec l’enseignement catholique et même avec lui-même, il faut peut-être se demander si le problème ne vient pas de ses propres hypothèses. Après tout, le document corrige sévèrement ce qui est apparemment une idée fausse fréquente. « Ceux qui recherchent une bénédiction, nous informe-t-il, ne devraient pas être tenus d’avoir une perfection morale préalable ». Alors, qui a répandu ce mensonge ? Qui a prétendu que seules les personnes moralement parfaites peuvent être bénies et, à bien y penser, quel est le rapport avec la question qui nous occupe ? Mais déjà, vous commencez à perdre pied et vous vous sentez entraîné, impuissant, vers le bord du gouffre … .

Étant donné qu’il y a maintenant deux enseignements papaux contradictoires – le document de 2021 et celui de 2023 – il est évidemment logiquement impossible de nier que les papes, quand ils ne parlent pas ex cathedra, peuvent parfois se tromper. Et bien sûr, cela était déjà connu de tous, depuis les cas embarrassants des papes Jean XXII et Libère, et plus spectaculairement du pape Honorius, condamné par trois conciles œcuméniques – « À Honorius, l’hérétique, anathème ! » – et par un pontife ultérieur, saint Léon II, comme « Honorius, qui n’a pas essayé de sanctifier cette Église apostolique avec l’enseignement de la tradition apostolique, mais qui, par une trahison profane, a permis que sa pureté soit polluée ».

John Henry Newman a soutenu que de tels incidents ne devraient pas nous faire abandonner l’Église comme étant indigne de confiance ou corrompue. Un mauvais pape, disait Newman, est comme un accident de train : un événement vraiment spectaculaire, destiné à horrifier et à absorber l’esprit. Mais c’est une réaction excessive quand les gens concluent « que les voyages à vapeur sont périlleux et suicidaires, et qu’ils ne voyageront jamais autrement qu’en autocar ». Statistiquement, les voyages en train sont toujours plus sûrs que les autres solutions ; et il n’y a pas lieu de s’étonner, a souligné Newman, que

« dans une longue lignée de deux à trois cents papes, parmi les martyrs, les confesseurs, les docteurs, les sages dirigeants et les pères aimants de leur peuple, il s’en trouve un, ou deux, ou trois qui correspondent à la description que le Seigneur fait du méchant serviteur ».

Mon analogie astronomique pourrait être étendue de la même manière. Un trou noir reste une étoile – tout comme le pape François reste le vicaire du Christ – même s’il semble s’être effondré sur lui-même. Un tel spectacle est hypnotique, mystérieux et effrayant. Mais cela ne signifie pas que nous devrions renoncer à la papauté en général, et encore moins aux saints, aux sacrements et à la doctrine traditionnelle de l’Église. Ce sont les étoiles qui nous guideront jusqu’à la crèche de Noël.

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