Cela fait bientôt quatre siècle que Pascal l’avait décrite et dénoncée, dans « Les Provinciales » (1656): « on ne pèche plus, alors qu’avant on péchait »

Ce n’est rien d’autre que la vieille morale jésuite (du jésuitisme décadent) qui écœurait Blaise Pascal et que cet esprit brillant, dans la sixième des dix-huit « Lettres provinciales », avait si bien résumée : « on ne pèche plus, alors qu’avant on péchait ».

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« puisque nous ne pouvons les faire venir à nous [les hommes d’aujourd’hui], il faut que ce soit nous qui allions au-devant d’eux ; autrement ils nous abandonneraient ; pis encore, ils se laisseraient aller tout à fait »

Bénir sans convertir : le modèle Amoris laetitia

Luisella Scrosatti
lanuovabq.it
4 janvier 2023

Fiducia supplicans ne fait que couronner la « via caritatis », qui s’illusionne de sauver le pécheur en excusant le péché. Une méthode en usage depuis des années qui cache une vieille erreur déjà dénoncée par Pascal.

L’opposition à la Déclaration du 18 décembre ne cesse de croître. L’Afrique est désormais une “no-fly zone” pour Fiducia supplicans (FS), tandis que d’autres conférences épiscopales, des évêques individuels et des communautés religieuses et sacerdotales joignent leurs voix au désaccord : Hongrie, Pologne, Ukraine, Pérou, Brésil. Les évêques tentent surtout de se défendre en montrant la confusion évidente créée par le document, malgré la clarté revendiquée par le cardinal Fernández. Une analyse plus complète et plus adéquate du document est toutefois venue du cœur de l’Europe, de l’évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, Mgr Marc Aillet, qui a montré comment le document ne parvient pas à sortir de trois questions de fond: la bénédiction, même si elle n’est pas proprement liturgique, reste un sacrement ; le problème de la bénédiction d’un « couple » persiste ; la pastorale finit par entrer en conflit avec la doctrine qui, en paroles, n’était pas destinée à changer.

Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que SF est un acte manifeste de division parmi les catholiques, y compris une part significative de pasteurs.

La bénédiction des couples « irréguliers » et des concubins homosexuels constitue le couronnement de l’approche d’une grande partie de la théologie morale, depuis maintenant plusieurs décennies, et aussi du complot à peine caché d’Amoris Lætitia (AL). FS, à y regarder de plus près, n’est rien d’autre qu’une extension de ce qu’AL, dans l’interprétation « authentique » qu’en donne le pape dans sa lettre aux évêques de Buenos Aires (et à qui d’autre ?), permettait déjà : l’accès à la vie sacramentelle pour les couples vivant ensemble more uxorio. A la base de cette permission, ce que le pape François a baptisé la « via caritatis » (cf. AL 306), qui n’est en réalité qu’une sorte de « plan B » à mettre en œuvre « face à ceux qui ont des difficultés à vivre pleinement la loi divine ». C’est la voie des « manières possibles de répondre à Dieu » (AL 305), du sempiternel et dévastateur « bien possible » (AL 308).

PASCAL Blaise] LES PROVINCIALES OU LES LETTRES ÉCRITES PAR LOUIS DE M –  Librairie Jeanne Blonde

Mais qu’est-ce que cette « via caritatis » ? Ce n’est rien d’autre que la vieille morale jésuite (du jésuitisme décadent) qui écœurait Blaise Pascal et que cet esprit brillant, dans la sixième des dix-huit « Lettres provinciales », avait si bien résumée : « on ne pèche plus, alors qu’avant on péchait : iam non peccant, licet ante peccaverint ». Un nouveau (médiocre) « miracle » qui ne convertit pas le pécheur, mais le péché, et qui implique une conception de la loi de Dieu comme un obstacle rigide à éviter, un lourd fardeau à alléger, une pilule amère à adoucir.
En somme, le bon Dieu n’y est pas allé de main morte, mais c’est nous, plus miséricordieux que lui, qui nous occupons de cette faille dans sa loi.

« Rien n’échappe à notre prévoyance », s’exclame l’interlocuteur jésuite de la lettre, convaincu que cet adoucissement progressif des mœurs est nécessaire en raison de la corruption généralisée des « hommes d’aujourd’hui » (cette catégorie idéale intemporelle de toute subversion !), pour lesquels « puisque nous ne pouvons les faire venir à nous, il faut que ce soit nous qui allions au-devant d’eux ; autrement ils nous abandonneraient ; pis encore, ils se laisseraient aller tout à fait ». Le berger prévoyant, bon et miséricordieux est plus concret et efficace que la grâce divine qui, finalement, ne se révèle pas toujours si prompte à venir en aide à l’homme. Ainsi, « sans toutefois heurter la vérité », tient à souligner le jésuite dans sa lettre, il faut trouver une voie plus douce, moins rude que celle empruntée par les amoureux de l’intégrité de la loi. « Le projet fondamental de notre Compagnie [de la Compagnie de Jésus, ndr] pour le bien de la religion est de ne rejeter personne pour ne pas désespérer », conclut benoîtement le jésuite.

« Rien n’échappe à notre miséricorde », rétorque aujourd’hui le pape François. ‘Tous, tous doivent entrer dans l’Église ; ‘l’homme d’aujourd’hui’ est accablé par des circonstances qui constituent des circonstances atténuantes de la responsabilité personnelle telles que ‘l’immaturité affective, la force des habitudes contractées, l’état d’angoisse ou d’autres facteurs psychiques ou sociaux’ (AL 302). Des circonstances tellement atténuantes qu’elles vident le commandement divin de son sens concret. Malheur au pasteur, insiste François, qui se sent « satisfait d’appliquer les lois morales à ceux qui vivent dans des situations ‘irrégulières‘, comme s’il s’agissait de pierres jetées sur la vie des gens » (AL 305), devenant ainsi la cause de l’éloignement des gens et de leur désespoir.

FS bénit – littéralement – cette approche et l’entérine universellement, à travers l’acte sacerdotal le plus simple et le plus répandu. Qui, malgré le refrain rassurant qu’on ne change pas de doctrine – « sans toutefois heurter la vérité » ! – réalise plastiquement la grande maxime dénoncée par Pascal : « on ne pèche plus, alors qu’avant on péchait ». Précisément parce qu’on bénit aujourd’hui ce qu’on ne pouvait pas bénir avant.

Car, il faut bien le dire, malgré la tentative du pape François de tirer Pascal de son côté avec la lettre apostolique de l’an dernier, la critique du génie français va droit au cœur de ce pontificat. Celui-ci réinterprète la justification du pécheur à sa manière : de « rendre le pécheur juste », par l’œuvre de la grâce divine, à le justifier, en dissolvant son imputabilité. Pour la théologie catholique, la grâce rend juste parce qu’elle guérit en profondeur, redonne vigueur à la pénitence, nourrit les vertus ; pour la nouvelle morale en action, il s’agit de laisser le pécheur dans la fange, de l’illusionner pour couvrir le mal réel par un bien possible, d’apaiser par une belle bénédiction, voire par l’admission à la vie sacramentelle, une conscience qui a plutôt besoin d’être ébranlée.

Le pécheur est ainsi « justifié » par le changement des mots, par la recherche d’excuses sans fin, par des sophismes qui n’ont d’autre but que d’adoucir une prétendue rigidité de la loi. Un renversement brutal de la manière dont la foi chrétienne, enracinée dans l’ancienne alliance, a toujours compris et vécu la loi de Dieu : un joug qui libère, un fardeau qui soulève, une nourriture amère qui guérit. La Règle de saint Benoît, qui a forgé la chrétienté latine, exprime avec une profonde sagesse la dynamique de la loi de Dieu qui guide vers le salut : « Si (…) quelque chose d’un peu plus rigoureux (paululum restrictius) est introduit, ne vous laissez pas immédiatement saisir par la peur et ne vous écartez pas du chemin du salut, un chemin qui ne peut qu’être étroit au début. Si vous continuez (…) votre cœur se dilatera et vous courrez sur le chemin des commandements de Dieu avec une indicible douceur d’amour » (Règle, Prologue, 47-49).

Parce que, quand on persévère à implorer le Seigneur pour qu’il vienne à notre secours, afin que nous l’aimions en accomplissant ses commandements, la grâce arrive, entre dans les recoins étroits de notre cœur rétréci et le guérit, jusqu’à ce qu’il s’élargisse démesurément. Alors, vraiment, « on ne pèche plus, alors qu’avant on péchait », parce que l’homme est guéri. C’est la via veritatis et la via orationis et pœnitentiæ qui mènent à l’authentique via caritatis, et non les ajustements jésuites postiche, médiocres et présomptueux.

Ce n’est pas de ces artifices, mais des commandements de Dieu et de sa grâce que l’homme a besoin. Car c’est seulement de cela que la Révélation affirme : « La loi du Seigneur est parfaite, elle rafraîchit l’âme (…). Les commandements du Seigneur sont justes, ils réjouissent le cœur ; les commandements du Seigneur sont clairs, ils éclairent les yeux » (Ps 19,8-9).

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