Andrea Gagliarducci a fait pour l’agence AGI Stampa un exceptionnel travail de compilation de toutes les réformes menées par le Pape l’année écoulée, essentiellement sous la forme qui a sa prédilection, les motu proprio (quatorze!!) [*], qu’il a classés en catégories, pour plus de clarté. Tous ont en commun le fait qu’ils aboutissent à une centralisation des décisions sur la figure du pape lui-même, tout en entérinant l’état de réforme permanente (parfois même révolution) voulu par le pape.
C’est très technique, et c’est donc plus un document pour l’histoire (i.e. qui pourra servir à de futurs historiens) qu’une « nouvelle » destinée à appâter le lecteur. Vu ainsi, il mérite d’être archivé. Pour après.

[*]On trouvera la liste des motu proprio sur le site du Vatican: www.vatican.va/content/francesco/fr/motu_proprio.index

Pape François, quelles ont été les réformes de 2023 ?

Avec 14 motu proprio, le pape François a fait preuve d’une activité législative extraordinaire.

Où mènent les réformes, et quelles sont les principales ?

Andrea Gagliarducci
www.acistampa.com
4 janvier 2023

Le document le plus impactant de 2023, la dixième année du pontificat, a sans doute été Fiducia Supplicans, la déclaration du dicastère pour la doctrine de la foi qui ouvre la porte aux bénédictions « non ritualisées » pour les personnes en situation irrégulière ou les couples de même sexe. Il s’agit toutefois d’un document du dicastère, et non d’un choix gouvernemental du pape François. Qui a lui aussi légiféré en 2023. Et de quelle manière il a légiféré.

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On sait que le pape préfère les motu proprio, c’est-à-dire les documents nés de sa volonté, pour changer une loi. Peu de consultations, peu d’implication des autres dicastères, peu de structure documentaire autre que la volonté du pape. Eh bien, en 2023, le pape François a publié pas moins de 14 motu proprio, avec diverses réformes, qui donnent un peu l’idée de ce qu’il veut que soit le pontificat.

Nous pouvons regrouper les motu proprio en quatre catégories différentes : les motu proprio qui veulent révolutionner la culture catholique, les motu proprio qui changent l’ordre du Vatican, les motu proprio qui réorganisent les finances du Vatican, et les motu proprio « techniques », qui servent à mettre en œuvre certaines réformes déjà en place.

La constante de ces motu proprio est qu’ils aboutissent tous à une centralisation des décisions sur la figure du pape François. Et ce n’est pas tout. Les motu proprio du pape reprennent parfois un langage obsolète, ramenant même la figure du « pape roi », et dans de nombreux cas, ils sont conséquents à des décisions improvisées, ou à des régularisations de décisions irrégulières ou de situations difficiles.

Motu proprio pour un changement culturel

En ce qui concerne les motu proprio qui visent une révolution culturelle, le plus important est Ad Theologiam promovendam qui approuve les nouveaux statuts de l’Académie pontificale de théologie.

Le motu proprio appelle précisément à une nouvelle approche de la théologie, demandant même à la théologie de s’ouvrir à l’utilisation des langages d’autres disciplines, mettant en œuvre le thème de la transdisciplinarité qui était déjà là dans Veritatis Gaudium, l’instruction sur les universités pontificales qui porte la date de 2018.

Ce que le pape François appelle de ses vœux, c’est un changement de paradigme, une nouvelle façon d’aborder la théologie.

S’il s’agit du document pour un changement de perspective culturelle, il y a deux documents  » techniques  » qui s’inscrivent dans cette thématique : le décret de nomination du Conseil supérieur de coordination de l’Université pontificale du Latran à partir du 1er août 2023, et le décret de nomination du délégué pontifical à l’Université pontificale urbanienne de Rome du 14 septembre 2023. Ce sont deux motu proprio qui s’inscrivent dans l’intention de réformer les universités pontificales, et de les mettre en réseau – un thème que l’on retrouve également dans la lettre de nomination que le pape François a envoyée au nouveau recteur de l’Université pontificale du Latran.

Il y a ensuite le décret concernant les organes de formation au sacerdoce sur le territoire du diocèse de Rome et la nomination du recteur du Grand Séminaire Pontifical, publié le 4 juillet. Là aussi, le pape François propose son modèle de formation, et nomme même recteur du séminaire un prêtre de l’arrière-pays milanais qu’il connaît personnellement, et qu’il promeut évêque à cette occasion. Même la formation du diocèse de Rome, en somme, devient un thème principalement papal.

Motu proprio pour le changement du système judiciaire

Le 13 mai 2023, une nouvelle loi fondamentale de l’État de la Cité du Vatican est promulguée. Nous sommes dans la deuxième catégorie des motu proprio, c’est-à-dire ceux qui changent l’ordre établi.

Cette loi mérite que l’on s’y attarde, car elle semble mettre en place ce qui est un processus de « vaticanisation du Saint-Siège ». Il s’agit d’une sorte de révolution copernicienne, renversant de fait un principe fondamental.

L’État de la Cité du Vatican a en effet été conçu comme étant au service du Saint-Siège, son existence garantissant plus qu’une souveraineté formelle. Mais le pape François a rendu l’État de plus en plus central par une série de décisions seulement marginales en apparence. Des décisions qui ont inversé la perspective, faisant de l’État l’entité centrale, le Saint-Siège devant suivre.

La dernière loi fondamentale a été approuvée par Jean-Paul II en 2000, et elle avait un but précis : reconnaître que l’engagement du pape était projeté vers une dimension universelle, et non celui du monarque d’un État, et que ces tâches, ces pouvoirs pourrait-on dire, étaient laissés à une commission, composée de cardinaux parce qu’ils étaient au même niveau que le pape et avaient le même pouvoir de gouvernance.

La loi fondamentale de Jean-Paul II reflétait un chemin de retrait progressif de la figure du Pape des fonctions de gestion ordinaire. Ce chemin avait commencé en 1939 avec Pie XI, qui était passé d’une gestion par un gouverneur à une gestion par une commission de cardinaux. Ensuite, Jean-Paul II a confié ses prérogatives au secrétaire d’État en 1984, puis a promulgué la nouvelle loi fondamentale en 2000.

Avec le pape François, cependant, on assiste à un retour à un rôle central du pape, le seul à avoir des pouvoirs, tandis que les autres ont des fonctions. Mais pas seulement. Les fonctions de gouvernement sont confiées à une commission, mais celle-ci n’est plus cardinale, fidèle au principe selon lequel c’est la mission qui donne l’autorité, comme le stipule la constitution apostolique Praedicate Evangelium. Mais le point important n’est pas tant l’inclusion d’hommes et de femmes laïcs dans les structures gouvernementales.

La nouvelle loi fondamentale élimine toute référence à la Secrétairerie d’État sauf une, centralise tout sur la figure du Pape et souligne que « l’État de la Cité du Vatican assure l’indépendance absolue et visible du Saint-Siège pour l’accomplissement de sa haute mission dans le monde et garantit sa souveraineté incontestable également dans le domaine international ».

En pratique, la loi établit la nécessité pour l’État de garantir l’indépendance du Saint-Siège. Or, dans les faits, le Saint-Siège disposait d’une indépendance et d’une souveraineté même sans État et sans territoire.

Une autre réforme qui a modifié le système juridique est le motu proprio sur les modifications du droit pénal et du système judiciaire de l’État de la Cité du Vatican du 12 avril 2023.

Auparavant, il fallait être membre de la Signature apostolique – le tribunal suprême de l’Église – pour être nommé juge de la Cassation vaticane, qui était composée du préfet de la Signature, qui assumait les fonctions de président, et de deux autres cardinaux membres du même tribunal nommés par le président pour un mandat de trois ans, ainsi que de deux juges appliqués ou plus, nommés pour un mandat de trois ans. Cela a permis d’assurer la concordance entre le droit du Vatican et le droit canonique.

Il était désormais stipulé que la Cour de cassation serait composée de quatre cardinaux nommés pour un mandat de cinq ans par le pape, qui désignerait le président parmi eux, ainsi que de deux juges appliqués ou plus nommés pour un mandat de trois ans.

Ce changement est le troisième du pape François sur le système judiciaire du Vatican, après la grande réforme de 2020 et celle de 2013 héritée de Benoît XVI. À noter que le pape a également effacé d’un trait de plume l’une des plus grandes nouveautés de la loi du 16 mars 2020, à savoir la présence à temps plein d’au moins un des magistrats ordinaires du tribunal et d’un des membres du bureau du promoteur de justice.

Motu proprio pour la gestion financière

Le 20 février 2023, le pape François a promulgué le motu proprio “Il diritto nativo”. Le motu proprio rappelle simplement qu’il n’y a pas d’entité du Vatican ou liée au Vatican qui puisse considérer les actifs comme étant les siens, mais que toutes les entités doivent être claires dans leur esprit sur le fait que ce qu’elles possèdent fait en réalité partie d’un périmètre plus large.

Pourquoi alors un motu proprio était-il nécessaire ? Le pape François avait entamé une centralisation progressive de la gestion du patrimoine du Saint-Siège, selon un projet qui était déjà celui du cardinal George Pell en tant que préfet du Secrétariat pour l’économie.

Dès décembre 2020, le pape François avait décidé que la gestion des biens généralement administrés par la Secrétairerie d’État devait passer à l’Administration du patrimoine du Siège apostolique, une sorte de « banque centrale » du Vatican.

Ainsi, avec la constitution apostolique Praedicate Evangelium, le pape François a établi un principe de centralisation, qui a ensuite été précisé par un rescriptum (note écrite de sa main par le pape) d’août 2023. Ce rescriptum stipulait que « toutes les ressources financières du Saint-Siège et des institutions liées au Saint-Siège doivent être transférées à l’Istituto delle Opere di Religione, qui doit être considéré comme l’unique et exclusive institution dédiée à l’activité de gestion patrimoniale et gardienne du patrimoine mobilier du Saint-Siège et des institutions liées au Saint-Siège.

Une seule gestion, une seule institution financière rattachée (l’IOR, rappelons-le, n’est pas une banque). De cette manière, le Pape entendait également répondre à diverses situations apparues au fil des années, et en particulier à celles qui allaient émerger au cours du processus de gestion des fonds de la Secrétairerie d’État.

Auparavant, la Secrétairerie d’État gérait personnellement ses ressources, en tant qu’organe directeur, Propaganda Fide bénéficiait d’une totale autonomie financière pour gérer librement l’argent qui allait aux missions, les ressources du Gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican se trouvaient dans un budget dédié – et il n’y en a pas eu depuis 2017.

Les pertes du budget des missions étaient couvertes par les actifs d’autres fonds, dont l’obole de Saint-Pierre, selon un principe de collaboration entre tous les organes du Vatican.

Selon le motu proprio, les biens du Saint-Siège « ont un caractère public ecclésiastique », et sont considérés comme des biens à destination universelle, et « les entités du Saint-Siège les acquièrent et les utilisent, non pas pour elles-mêmes, comme le propriétaire privé, mais, au nom et sous l’autorité du Pontife romain, pour la poursuite de leurs objectifs institutionnels, qui sont également publics, et donc pour le bien commun et au service de l’Église universelle ».

Une fois qu’elles leur ont été confiées, dit enfin le motu Proprio, « les entités les administrent avec la prudence que requiert la gestion de la chose commune et selon les règles et les compétences que le Saint-Siège s’est données, récemment, avec la Constitution apostolique Praedicate Evangelium et, plus tôt encore, avec le long chemin des réformes économiques et administratives ».

Avec ce motu proprio, un principe qui avait régi les finances du Vatican à l’époque moderne, à savoir la diversification des investissements et des ressources, esquissée de manière à permettre l’autonomie du Saint-Siège, est tombé.

Motu proprio pour mettre en œuvre les réformes déjà en place.

Le 2 avril 2023, le pape François a promulgué le motu proprio modifiant les modalités de recours d’un membre renvoyé d’un institut de vie consacrée, tandis que le 25 mars a eu lieu la mise à jour de Vos Estis Lux Mundi, qui avait introduit en 2019 certaines normes pour prévenir et lutter contre les abus sexuels à l’encontre des mineurs et des adultes vulnérables.

Cette mise à jour intervient après quatre années d’expérimentation. De nombreux changements ont été introduits pour harmoniser le texte des procédures contre les abus avec d’autres réformes normatives introduites de 2019 à aujourd’hui, notamment avec la révision du motu proprio « Sacramentorum sanctitatis tutela » (normes modifiées en 2021) ; avec les modifications du livre VI du Code de droit canonique (réforme en 2021) et avec la nouvelle Constitution sur la Curie romaine, « Praedicate Evangelium » (promulguée en 2022).

Le 16 avril 2023, le pape François a publié la lettre apostolique sous forme de motu proprio Iam Pridem, qui modifie certaines normes du Code des canons des Églises orientales sur les évêques ayant atteint l’âge de quatre-vingts ans dans le synode des Églises respectives sui iuris.

Avec les changements, donc, même les patriarches, les archevêques majeurs, les évêques éparchiaux et les exarques ne peuvent pas avoir une voix active dans le Synode des évêques à l’âge de quatre-vingts ans, et aussi dans l’élection du trio à présenter au Pontife romain pour la nomination des patriarches, des évêques et des candidats aux fonctions d’évêque éparchial, d’évêque coadjuteur ou d’évêque auxiliaire. Il s’agit d’une égalisation de la norme qui souligne que les cardinaux de plus de 80 ans ne peuvent pas élire le pape.

Le 2 avril, le pape François a publié un motu proprio modifiant les conditions d’appel d’un membre renvoyé d’un institut de vie consacrée.

Avec Vocare Peccatores du 20 mars 2023, le pape François réforme le droit pénal des Églises orientales, qui harmonise la discipline orientale avec la discipline latine. Ce travail avait déjà commencé sous Benoît XVI, avec des normes qui déterminent beaucoup plus clairement quand l’autorité ecclésiastique doit intervenir en cas de crimes, et les peines sont également plus claires et mieux déterminées.

Enfin, entre janvier et février de l’année dernière, le pape François a promulgué un décret pour l’attribution des secteurs, zones et services pastoraux aux évêques auxiliaires du diocèse de Rome (6 janvier) et le règlement de la Commission indépendante de vigilance du vicariat (14 février), deux motu proprio qui sont une conséquence directe de la réforme du vicariat du diocèse de Rome. Réforme qui, dans ce cas également, a centralisé le rôle du Pape, faisant du Vicaire un auxiliaire parmi d’autres.

La lettre apostolique sous forme de motu proprio modifiant les canons 295-296 concernant les prélatures personnelles du 8 août 2023 mérite plutôt une mention à part entière.

Il s’agit d’une mesure qui touche l’Opus Dei, jusqu’à présent la seule prélature personnelle de l’Église. Le pape François, avec la Constitution Praedicate Evangelium, avait confié au Dicastère pour le Clergé la compétence des prélatures personnelles, puis le 14 juillet 2022, avec un autre motu proprio appelé Ad Charisma Tuendum, le pape a établi des normes pour établir la prélature personnelle selon la nouvelle organisation de la Curie.

Avec ce décret, la prélature personnelle change de profil. Elle devient une prélature de prêtres uniquement, alors que l’Opus Dei est une structure composée de prêtres et de laïcs, unis par une vocation commune et des fonctions complémentaires. Il ne s’agit pas, en somme, d’un regroupement de prêtres qui appellent quelques laïcs à collaborer.

L’Opus Dei est aujourd’hui appelé à entreprendre une difficile réforme de ses statuts et une nouvelle transformation après celles qui l’ont conduit à s’établir dans l’Église comme prélature personnelle.

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