Ce sont les mots du cardinal Gerhard Müller dans un long entretien par e-mail publié dans Crisis magazine. Le cardinal y aborde en particulier les limites de l’ autorité papale. En voici un échange qui me semble particulièrement important – et pas seulement parce que, dans ce qui peut passer pour une excuse pour le pape actuel, le cardinal cite Benoît XVI comme une « exception » intellectuelle dans la succession des papes – où il aborde des points cruciaux; impossibilité de séparer la pastorale et la doctrine (Jésus était enseignant ET pasteur), mise en garde contre la tentation de plaire au monde et de suivre l’air du temps, dénonciation de l’influence des médias, et « correction » de la portée et de l’utilité des interviews papales.

En termes de profondeur théologique et de précision d’expression, le pape Benoît était une exception plutôt que la norme dans l’histoire mouvementée des papes.

« L’Église catholique n’est pas l’Église du pape et les catholiques ne sont donc pas papistes mais chrétiens »

Question: Dans certaines déclarations du pape François, il semble qu’il ait conscience de l’enseignement de l’Église, qu’il pense que les catholiques fidèles connaissent l’enseignement de l’Église; et qu’il ne se préoccupe donc pas tant de simplement réaffirmer ou interpréter l’enseignement de l’Église que d’essayer d’utiliser les outils spirituels et pastoraux disponibles pour amener les gens à une communion plus profonde avec le Christ et son Église, et pour aborder les questions pratiques qui y sont liées.
Cela semble être le cas même avec les déclarations plus problématiques ou trompeuses du pape François. Etes-vous d’accord avec cette évaluation ?

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Dans cette perspective, il y a l’idée, avancée par certains commentateurs, qu’une grande partie des implications que les gens voient dans les paroles du pape François sont lues par certaines personnes des médias qui veulent que l’Église catholique change ses enseignements, et si l’Église ne peut pas ou ne veut pas changer ses enseignements, ils peuvent au moins déformer les paroles du pape François pour faire croire qu’il va changer l’enseignement de l’Église. À quel point les éléments problématiques des enseignements du pape François découlent-ils, selon vous, de cette dynamique ?

Cardinal Müller :

Il est certain qu’à l’ère des médias fortement idéologisés, les différents groupes qui instrumentalisent les déclarations du pape François pour leurs propres intérêts doivent être remis à leur place. Nous devons également respecter la personnalité qui occupe la chaire de Pierre. En termes de profondeur théologique et de précision d’expression, le pape Benoît était une exception plutôt que la norme dans l’histoire mouvementée des papes.

Mais les évêques et le pape doivent aussi être conscients des limites de leur mission. Ils ne peuvent utiliser leur autorité donnée par le Christ que pour conduire les gens au Christ par la Parole de Dieu et les saints sacrements (et en aucun cas nuire à la crédibilité de l’Église par le népotisme et le favoritisme, le désir de plaire en suivant l’esprit du temps [zeitgeist]).

Il faut également respecter l’autonomie relative des différents domaines séculiers (Gaudium et spes n.36 [« Juste autonomie des réalités terrestres », ndt]), avec lesquels ils ne sont engagés que dans la mesure où ils doivent défendre la dignité et la liberté de l’homme contre les empiètements politiques, idéologiques et médiatiques.

Il ne peut pas non plus y avoir d’opposition absolue ou même pragmatique entre la doctrine et la pastorale, car le Christ lui-même, en sa personne, est enseignant et pasteur.

La doctrine de l’Église aujourd’hui ne peut en aucun cas être supposée connue (malheureusement pas même par tous les évêques, dont il y a suffisamment d’exemples) pour se concentrer uniquement sur l’application pastorale à des personnes individuelles ou à des « groupes marginalisés. » Il ne suffit pas de se faire photographier avec des « personnes trans », mais il faut aussi avoir le courage de nommer le changement de sexe hostile au corps comme un péché grave contre la volonté du Créateur.

En outre, « l’enseignement des apôtres » (Actes 2:42) n’est pas un système de pensée quelconque, avec lequel le catholique normal n’a rien à voir, mais la Parole de Dieu qui crée le salut et éveille la foi, qui est donnée à l’Église dans la parole apostolique des évêques et des prêtres.

Le format médiatique doit également être considéré de manière concrète. Les interviews papales peuvent être utiles et encourager les gens dans leur foi et les orienter. Elles ne sont pas des documents contraignants qui interprètent de manière autoritaire la foi de l’Église.

L’attention des médias pour l’Église se concentrant globalement sur le pape, il convient de noter que les catholiques croient au Christ et ne peuvent attendre leur salut que de lui, et que le pape et les évêques ne sont que ses serviteurs.

Parce qu’on oublie que l’Église, en tant que corps du Christ et temple du Saint-Esprit, est la communion de vie la plus intime avec le Dieu trinitaire, à laquelle la forme visible de l’Église ne sert que de support (Lumen Gentium n.8), les journalistes en utilisant des catégories politiques et idéologiques (gauche-droite, conservateur-moderniste, etc.) sont dans l’erreur. Un cadrage flatteur et une formulation de l’ « Église du pape François » ou des évêques sur la « ligne de Bergoglio », qui révolutionne l’Église du Christ par des décisions « irréversibles », sont non seulement théologiquement inadéquats, mais nuisent également à la crédibilité de l’Église en tant que sacrement du salut du monde dans le Christ Jésus.

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