Tandis que beaucoup saluent le cardinal Ambongo qui, métaphoriquement, a enfourché son destrier pour aller défier le Pape à Rome (cf. Le cardinal Ambongo papabile?), et a obtenu gain de cause, certains commentateurs se demandent si les propos de François, confiés à la presse italienne amie, n’étaient pas tout simplement… racistes. Le Pape a dit en substance que les Africains étaient dispensés d’appliquer la déclaration de Tucho parce que pour eux, disons dans leur contexte « culturel » (le vocabulaire utilisé est là pour faire passer la pilule du mépris), l’homosexualité était « moche » (le pape a utilisé le mot « brutto », et connaissant son vocabulaire habituel, je ne crois pas nécessaire de puiser dans un registre plus châtié). L’analyse du beau blog italien « La testa del Serpente ».

Réactions à la dernière interview du pape : des paroles inopportunes sur l’Afrique ?

La Testa del Serpente
Miguel Cuartero Samperi
30 janvier 2024

Plus les interviews se multiplient, plus les déclarations « a braccio » du pape François suscitent la polémique.

Dans le cas précis de Fiducia Supplicans (FS), une déclaration du dicastère pour la doctrine de la foi qui envisage une sorte de bénédiction (spontanée et non rituelle ou liturgique) pour les couples homosexuels, plus les tentatives de clarification se multiplient, plus la confusion et le malaise au sein de l’Église se répandent.

S’adressant au clergé romain, réuni à huis clos le 13 janvier, François, interrogé sur FS, a déclaré que les bénédictions n’étaient pas prévues « pour les associations LGBT » mais pour les personnes. Beaucoup se sont demandés à quoi il faisait référence en parlant d’ « associations » puisque le document du Vatican parle de « couples » et que c’est cela qui pose problème et non les associations LGBT dont personne ne pensait qu’elles devaient être bénies avant ou après FS.

S’adressant aux participants de l’assemblée plénière du dicastère pour la doctrine de la foi, le pape a déclaré : « on s’approche d’un couple (…) on ne bénit pas l’union, mais simplement les personnes qui, ensemble, l’ont demandée ». Une déclaration qui ne fait rien pour clarifier le sens d’une bénédiction offerte à un couple mais qui n’implique pas leur union.

Dans sa dernière interview – accordée ces derniers jours au quotidien italien La Stampa – il y a deux déclarations du pontife qui ont suscité une nouvelle controverse. La première concerne l’opposition au document signé par le cardinal argentin Víctor Manuel Fernández, la seconde la position des églises africaines qui ont formellement rejeté la déclaration.

« Ceux qui protestent avec véhémence appartiennent à de petits groupes idéologiques ».

En faisant référence à ceux qui s’opposent à FS, le pape a parlé de « petits groupes idéologiques ». En réalité, les paroles du pape sont inexactes si l’on considère le grand nombre de déclarations d’opposition qui ont afflué de la part de prêtres individuels, d’évêques et de conférences épiscopales entières depuis le tout début. Il suffit d’une petite recherche sur le web pour vérifier et prouver qu’il ne s’agit ni de petits groupes ni de franges idéologiques, mais de nombreux pasteurs et d’églises locales entières qui considèrent qu’il est inapproprié d’offrir un nouveau type de bénédiction aux couples irréguliers sans mettre en danger la doctrine de l’Église, qui, selon le document du Vatican, resterait inchangée.

« Pour les Africains, l’homosexualité est quelque chose de « moche » [brutto] d’un point de vue culturel, ils ne la tolèrent pas ».

La deuxième phrase problématique du souverain pontife est celle dans laquelle il fait référence à l’Afrique. Le cardinal Ambongo, président de l’union des Églises africaines, a formellement attiré l’attention sur l’inapplicabilité de la Déclaration Fiducia Supplicans sur le sol africain. Il a également souhaité rencontrer personnellement le pape et le cardinal Fernández pour expliquer sa position. Fiducia Supplicans ne s’appliquera pas en Afrique sur ordre de ses pasteurs. Un article détaillé de La Repubblica a rapporté les propos du cardinal africain dans lequel il offre un compte-rendu de sa rencontre avec le Saint-Père et clarifie sa ferme opposition à FS. Pourtant, au cours de l’entretien avec La Stampa, le pape a laissé échapper une déclaration pour le moins déconcertante sur l’épineuse question africaine.

Expliquer la position des églises africaines en déclarant que pour elles « l’homosexualité est quelque chose de moche » et que par conséquent elles « ne la tolèrent pas », ne rend pas justice aux vraies raisons du rejet africain de FS.

De plus, la déclaration du pontife peut donner lieu à plusieurs interprétations.

Tout d’abord, il laisse entendre que l’Église ne peut (ou doit ?) pas bénir ce qui, pour une culture donnée, est « moche ». C’est en fait inexact, car l’Église ne modifie pas son jugement en fonction de ce qu’une culture considère comme bien ou mal. Ce qui est mal pour l’Église est mal, indépendamment de ce que le monde pense dans telle ou telle région. Inversement, ce que l’Église considère comme juste ne dépend pas du jugement que les hommes peuvent exprimer dans une culture donnée. Ainsi, le jugement de l’Église sur les actes homosexuels ne peut être modifié en fonction de ce que pense la société, aussi « évoluée » qu’elle puisse paraître ou apparaître à ses yeux.

C’est là que se détermine la supériorité de l’Église qui exprime un jugement qui dépasse les modes et les habitudes culturelles et qui s’appuie sur un jugement éthique fondé sur une pensée forte et sur la Révélation dont elle est la gardienne. Dire que l’Église africaine peut légitimement refuser la bénédiction aux couples homosexuels parce que dans leur culture, c’est « moche », c’est suggérer que pour exprimer son jugement, l’Église doit s’assurer que cela n’est pas contraire aux coutumes du moment.

Enfin, les propos sur l’Afrique peuvent prendre un sens négatif car ils insinuent que les Africains sont (encore) incapables de reconnaître la « beauté » d’une pratique qui a été « normalisée » en Occident au fil des ans. En ce sens, les Africains semblent quelque peu arriérés dans leur évaluation de l’homosexualité comme quelque chose de « moche », c’est pourquoi ils sont autorisés à ne pas accorder une telle bénédiction dans l’espoir qu’eux aussi puissent un jour évoluer culturellement et reconnaître ce qui est déjà reconnu dans les pays européens.

C’est ainsi que l’interprète le journal ‘La Verità’, qui parle de paroles humiliantes à l’égard des Africains. Et un ami vaticaniste, se référant à l’interview en question, a qualifié les paroles du pontife de « un tantinet racistes » à l’égard des Africains.

Certes, à entendre les fidèles africains (laïcs, prêtres et évêques), ce n’est pas l’Afrique qui fait une entorse à l’unité mais Rome qui, avec sa recherche spasmodique du dialogue, risque d’oublier ce qu’elle prêche depuis des siècles.

Il est en effet surprenant que dans ce débat épuisant et lassant, pas un mot n’ait été dépensé pour rappeler clairement pourquoi l’Église ne peut pas reconnaître et bénir une union homosexuelle ou une union hors mariage. En d’autres termes, aucune occasion n’a été saisie pour expliquer pourquoi l’homosexualité est considérée par l’Église comme quelque chose de « moche » et de contraire au plan de Dieu pour l’homme (comme le font à juste titre les Africains).

Peut-être est-ce parce que l’intention première est de raccommoder une société athée et apostate, et que réitérer le plan de Dieu pour la famille et la sexualité risque donc d’avoir l’effet inverse ? Dommage que ce ne soit pas en offrant une mini-bénédiction (minimale dans sa durée et minimale dans sa signification liturgique) que les paroisses se rempliront à nouveau de fidèles, ni en faisant un clin d’œil au monde qu’on le gagnera à nouveau au Christ. Au contraire, le risque est de décourager ceux qui cherchent encore dans l’Église une parole de vérité, libérée des influences des cultures qui considèrent la proposition chrétienne comme quelque chose de « moche ».

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