Les analyses des conséquences de la possibilité de bénir le péché (car c’est de cela qu’il s’agit) se multiplient. C’est un signe que la fronde ne donne pas de signe d’essoufflement, mais aussi le motif pour lequel les commentaires peuvent sembler un peu répétitifs. Celui du père Thomas Weinandy, capucin américain qui n’est pas a priori un antibergoglien primaire, interrogé ici par La Verità, tranche, par la clarté et la simplicité de ses arguments.

Tout ce qui sort du Vatican, que ce soit du pape ou du préfet Fernández, est toujours plein d’ambiguïté. Je crois que cette ambiguïté est le fait de l’Esprit Saint qui « retient » le Pape de faire ce qu’il voudrait faire ; avec cette attitude, cependant, le Pape le fait faire par d’autres.

C’est un jeu très dangereux que de « contourner » l’Esprit Saint: c’est clairement un jeu perdant, mais en attendant, cela crée le chaos dans l’Église

« La confusion créée par Fiducia Supplicans est intentionnelle ».

Une interview du père Thomas Weinandy publiée par le quotidien ‘La Verità’ (du 25 janvier sous le titre ‘Fiducia Supplicans est diabolique, la confusion créée est intentionnelle’.

Le père Thomas Weinandy, frère capucin, est un théologien de renommée internationale. En 2013, il a reçu la médaille Pro Ecclesia et Pontifice, l’une des plus hautes distinctions de l’Église. Ancien membre de la Commission théologique internationale nommée par le pape François, il a enseigné dans diverses universités américaines, à Oxford et à l’Université pontificale grégorienne.

Il a été directeur exécutif de la Commission doctrinale de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis, puis son conseiller jusqu’à la publication, en 2017, d’une lettre ouverte au pape François dans laquelle il affirme que son pontificat est marqué par une « confusion chronique » ; le jour même, il a dû démissionner.

Dans cet entretien, il aborde les raisons et les conséquences des divisions – même entre épiscopats – qui traversent l’Église aujourd’hui, avec des différends sur la doctrine, la morale et la liturgie.

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Sommes-nous face à une dialectique physiologique ou y a-t-il quelque chose de nouveau derrière ces controverses ?

Il y a quelque chose de nouveau : dans le passé, nous avons eu des papes libertins, cupides, simoniaques, népotistes ; aujourd’hui, nous avons un pontife qui ne commet pas ces péchés mais qui, avec son ambiguïté, attaque la doctrine. Ses prédécesseurs étaient peut-être des fornicateurs, mais ils n’ont jamais prétendu que la fornication était une bonne chose ; aujourd’hui, au contraire, le pape semble s’attaquer à l’enseignement moral même de l’Église, en particulier en matière de sexualité

Saint François avait été invité par Dieu à réparer son Église qui s’effondrait. En tant que franciscain, comment pensez-vous que le saint d’Assise agirait aujourd’hui dans l’Occident en crise de foi ?

Il est difficile de dire ce que ferait saint François : en vrai catholique, qui, lorsqu’il voulut fonder son propre ordre, s’adressa au pape pour obtenir son approbation, je pense qu’il serait choqué aujourd’hui de voir qu’un pontife et des membres du Vatican minent l’enseignement de l’Église. Saint François a toujours voulu – jusqu’à l’inscrire dans la Règle – que tous les frères soient vraiment fidèles à l’Église, et moi, précisément parce que je me considère comme un franciscain fidèle, tant dans mes lettres au pape François que dans d’autres publications, j’ai essayé d’aborder les différentes questions, en soulignant ce qui était bon et ce qui était mauvais

L’universalité de l’Église se manifeste dans le fait que toutes les églises particulières sont liées entre elles, par l’intermédiaire du collège des évêques, en communion avec le pape. Cette marque de l’unité catholique est-elle mise à l’épreuve par les dissensions qui sont apparues autour de Fiducia Supplicans, avec les « périphéries » qui dirigent Rome ?

Le Seigneur a confié à saint Pierre la garde du dépôt de la foi et de l’unité, mais maintenant le pape, au lieu de garder la foi semble vouloir la changer, et au lieu de renforcer l’unité de l’Église, il apporte la division. François n’accepte jamais cette critique mais rejette la faute sur les autres, mais ce n’est pas l’idéologie des autres qui a créé des problèmes, mais la sienne. Ceux qui ont une foi intègre, y compris les évêques, les prêtres et les théologiens, reconnaissent que ce que Fiducia Supplicans promeut n’est pas conforme à l’enseignement de l’Église et se battent pour défendre ce que le Vatican tente de saper. Rappelons que le cardinal John Henry Newman (déclaré saint en 2019, ndlr) dans son « Essai sur le développement de la doctrine chrétienne » souligne que c’est au pape et aux évêques en union avec lui de nous dire ce qu’est le vrai développement et ce qu’est le faux développement, et imagine une situation hypothétique dans laquelle ceux qui devraient affirmer le vrai développement de la doctrine exposent au contraire des positions qui représentent sa corruption. J’ajouterais que même si le pape ou un évêque dit quelque chose qui semble être un enseignement magistral mais qui n’est pas conforme au magistère précédent, alors ce qu’il dit ne doit pas être considéré comme un enseignement magistral

Certains interprètes de la pensée du pape François affirment qu’il fait référence à l’ « opposition polaire » de Romano Guardini

(…) c’est diabolique. L’Esprit Saint est un esprit de vérité, le diable est un esprit de désordre : ce qui est promu aujourd’hui.

C’est une notion très hégélienne que celle des deux positions polaires qui se rejoignent dans une nouvelle synthèse plus élevée ; cependant, ce n’est pas ainsi que fonctionne le développement de la doctrine, qui a un élan interne grâce auquel nous parvenons à une meilleure compréhension de la foi, mais qui ne nie jamais ce qui était connu auparavant : l’Église, au cours des siècles, a soutenu que les actes homosexuels sont un mal intrinsèque et ne peuvent donc jamais être autorisés ou pardonnés, alors qu’avec la lecture hégélienne de François, nous finissons par dire que dans certains cas ces actes immoraux peuvent être autorisés et sont même vertueux. C’est une façon absolument fausse de concevoir le développement de la doctrine. Notons aussi que tout ce qui sort du Vatican, que ce soit du pape ou du préfet Fernández, est toujours plein d’ambiguïté. Je crois que cette ambiguïté est le fait de l’Esprit Saint qui « retient » le Pape de faire ce qu’il voudrait faire ; avec cette attitude, cependant, le Pape le fait faire par d’autres. C’est un jeu très dangereux que de « contourner » le Saint-Esprit : c’est clairement un jeu perdant, mais en attendant, cela crée le chaos dans l’Église

Peut-on dire que Fiducia Supplicans, avant même de créer des problèmes pour la foi, est un écrit qui crée une crise pour la raison elle-même en raison de ses incohérences ?

Les documents de la Congrégation pour la doctrine de la foi ont toujours apporté de la clarté. Maintenant, avec cette ambiguïté trompeuse et manipulatrice, on crée un conflit avec l’intelligence de la foi que les gens possèdent, car on sème la confusion. Elle est intentionnelle, elle sert à promouvoir ce qu’on désire mais qu’on ne manifeste pas ouvertement. Et c’est diabolique. L’Esprit Saint est un esprit de vérité, le diable est un esprit de désordre : ce qui est promu aujourd’hui.

Peut-on justifier théologiquement la bénédiction des couples homosexuels ?

La question est de savoir ce que l’on bénit quand on bénit un couple homosexuel. Que le geste ait lieu en public ou en privé, ce que les gens saisissent, c’est que l’on bénit la relation. Et comme il s’agit d’une relation immorale, cela donne l’impression d’approuver la relation elle-même avec tout ce qu’elle implique, alors qu’on ne peut pas bénir un péché sans créer un scandale. Nous aurons des évêques qui béniront des couples gays et d’autres qui refuseront, parce qu’il n’y a pas plus de clarté sur l’enseignement de l’Église

En dehors des épiscopats d’Afrique, remarquez-vous une crainte de la part des évêques de s’exprimer sur cette question ?

Ici, aux États-Unis, il y a des évêques qui ne sont pas satisfaits de Fiducia Supplicans mais qui ont peur de prendre position. La conférence épiscopale est divisée : la plupart des évêques américains ont une foi catholique solide, mais pas tous, surtout ceux qui ont été nommés par François. C’est pourquoi il est difficile pour eux de sortir un document commun fortement opposé. Je pense que le pape François n’aime pas les États-Unis précisément parce que nous avons encore beaucoup de bons catholiques et que nous sommes donc ceux qui, contrairement aux Européens, peuvent encore s’y opposer

Y a-t-il des évêques qui craignent d’être destitués ?

La synodalité est une farce, car François est plus tyrannique que n’importe quel pape de mémoire d’homme. Pour Fiducia Supplicans, aucun évêque ou théologien n’a été consulté, comme c’est généralement le cas pour un document de la Congrégation, et il s’agit là d’une direction dictatoriale de la papauté. Et il en va de même pour la parresia tant invoquée : François veut que la vérité soit dite pour pouvoir singulariser ses ennemis et ensuite mettre en œuvre sa vengeance lorsqu’il n’aime pas ce qu’il entend

La proposition théologique d’un enfer vide – sur laquelle le pape est récemment revenu en s’exprimant à la télévision – est-elle une théorie plausible dans la réflexion catholique sur la Révélation ? Et quelles conséquences produit-elle dans la vie concrète ?

Jésus disait que l’enfer existe et que les gens y vont : voyez quand il parle des deux chemins, l’un large et l’autre étroit, et du fait que la plupart des hommes choisissent le premier, qui mène à la damnation. Ou lorsqu’il dit que Judas aurait mieux fait de ne jamais être né, phrase dont on déduit que sa condition n’est certainement pas une condition de félicité. Saint Paul, par exemple, en parlant des adultères et des cupides dit qu’ils n’entreront pas dans le royaume de Dieu. Il ressort clairement des Écritures et des paroles mêmes de Jésus que la damnation éternelle est une possibilité, et une possibilité bien réelle. La Vierge de Fatima a montré aux enfants bergers l’enfer, et avec les damnés dedans ! Il est très grave que François fasse penser le contraire, car l’implication pastorale est que les gens croient que puisque personne ne va en enfer, alors la façon dont on se comporte ne fait aucune différence. Cela sape également l’importance de la vie terrestre en rendant toute vertu insignifiante. Je peux me livrer au trafic d’enfants ou pratiquer des avortements sans aucune conséquence ; pourquoi alors devrais-je mourir pour la foi puisque je ne deviens pas un martyr de toute façon, et qu’en fait, si je la trahis, je finis au paradis de toute façon ? Bien sûr, le repentir existe, ce qui permet même au pire pécheur d’aller au paradis, mais si l’enfer n’existe pas, on perd le sens de la vie et la valeur de la dignité humaine puisqu’aucune violation de cette dignité ne mérite la damnation. Et c’est tout simplement terrible.

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