Un hôte récurrent du blog d’Aldo Maria Valli argumente sur son intime conviction, qui est aujourd’hui que Benoît XVI est le seul vrai Pape. C’est un sujet dont nous avons déjà abondamment traité dans ces pages (il faudra un jour que je fasse une synthèse!) et qui n’a pas fini de faire couler de l’encre – du reste le récent « bookgate » l’a remis au premier rang de l’actualité. Clairement, la démission de Benoît XVI et son corollaire, le statut de Pape émérite, est l’événement le plus important dans l’histoire de la papauté moderne, et à ce stade, j’avoue ne pas avoir un avis arrêté: Benoît XVI est le seul à connaître la vérité, et il ne parlera jamais.

L’auteur, un ecclésiastique, écrit sous le pseudo « padre Giocondo da Mirabilandia« : giocondo, en plus d’être le masculin du nom du tableau le plus célèbre du monde signifie « joyeux » mais aussi  » ingénu », « candide », voire « benêt ».
Mirabilandia, c’est le « pays des merveilles ».
Padre Giocondo avait envoyé en janvier deux contributions à AM Valli, datées respectivement du 15 janvier et du 19 janvier .
AM Valli les a publiées sous le titre: Chiose & postille di padre Giocondo (Notes et apostilles du Père Giocondo).
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Voici un large extrait de la lettre datée du 19 janvier, dans ma traduction:

Deux papes et un écheveau plutôt emmêlé…

Me voici à nouveau en train de réfléchir sur certains contenus récents de votre blog. Et je le fais en me promenant sur la terrasse de mon vieux couvent, et j’observe un soleil pâle qui – bien que tenace – ne parvient toujours pas à percer les fumées et les brouillards de cette ville.

« Les événements entourant le livre sur le célibat des prêtres écrit par le cardinal Sarah avec la contribution du pape Benoît XVI émérite sont en train font les gros titres de la presse du monde entier. De nombreuses questions se posent et peut-être qu’avec le temps, nous pourrons faire la lumière sur ce qui, pour le moment, semble être un mega imbriglio. Mais il y a aussi quelques questions de base auxquelles on ne peut échapper. La première concerne la coexistence des deux papes, et la seconde le droit des fidèles à recevoir une parole et un enseignement clairs. Deux questions qui, bien sûr, sont liées. En ce qui concerne la coexistence des deux papes, il est évident que l’expérience du pape émérite échoue lamentablement. Périodiquement, pour une raison ou une autre, la parole de l’émérite et celle du pape régnant se chevauchent, s’opposent ou sont mises en opposition par des observateurs intéressés ».

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(Aldo Maria Valli, Duc in altum, 16 janvier 2020).

Je déteste cordialement le droit canonique, mais je comprends qu’il est nécessaire pour la vie de l’Église, tout comme le droit civil ou pénal est nécessaire pour la vie de la société.
Il est indéniable qu’il existe actuellement une confusion et une division dans l’Église à tous les niveaux. Comment, alors, pouvons-nous démêler cet enchevêtrement?
À mon humble avis, il y a deux voies: 1) l’une qui ne peut être suivie que dans l’avenir; 2) l’autre qui peut être suivie maintenant. Et les deux ne s’excluent pas mutuellement, mais, au contraire, elles se soutiennent mutuellement.

o La première voie serait celle d’une enquête sérieuse et équilibrée sur les causes qui ont conduit Benoît XVI à démissionner en 2013: en effet, des pressions propres à rendre cette décision nulle et non avenue pourraient se faire jour. Dans ce cas, tout le pontificat du pape jésuite serait invalidé en un clin d’œil. Mais pour faire une telle enquête, les deux protagonistes de cette phase historique devraient d’abord passer à une vie meilleure, ce qui ne dépend certainement pas de nous et que nous ne voulons souhaiter à personne.

o La deuxième voie consisterait par contre en une analyse plus attentive et respectueuse de la forme tout à fait novatrice sous laquelle Benoît XVI a voulu démissionner de sa charge: et cela peut être fait – et devrait être fait – le plus tôt possible.

Nous connaissons les paroles du pontife dans sa dernière catéchèse sur la place Saint-Pierre :

« [Le Pape] ne s’appartient plus à lui-même, il appartient à tous, et tous lui appartiennent. Le « toujours » est aussi un « pour toujours », il n’y a plus de retour à la vie privée. Ma décision de renoncer à l’exercice actif du ministère [pétrinien] ne l’annule pas. Je ne retourne pas à la vie privée […]. Je n’abandonne pas la croix, mais je reste d’une manière nouvelle avec le Seigneur crucifié. Je ne porte plus le pouvoir de l’office pour le gouvernement de l’Église, mais dans le service de la prière je reste, pour ainsi dire, dans l’enclos de saint Pierre ».

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(Benoît XVI, Catéchèse, 27 février 2013)

Le pape Benoît XVI a donc renoncé à l’exercice actif de la papauté, mais n’a nullement renoncé à la papauté elle-même (voir: vêtements, nom, résidence, etc.). Et c’est là que se trouve le nœud du problème: non pas tant dans le titre même de « pape émérite » (sur lequel on peut et doit discuter), mais dans la substance de son « renoncement atypique et novateur ».

Nous savons tous que le droit canonique ne prévoit pas un tel doublement de l’office pétrinien. Mais le pape en exercice – et Benoît XVI l’était – peut à tout moment édicter des normes et des dispositions, corrigeant, abrogeant ou complétant ce qui est déjà prévu dans le Code de l’Église: il suffit que ces nouvelles dispositions aient une bonne motivation et une réelle utilité, et ne s’opposent en aucune façon à la « loi divine » (c’est-à-dire aux vérités révélées, et donc immuables).
La distinction entre une dimension active (ou fonctionnelle) et une dimension contemplative (ou ontologique) au sein de l’unique office pétrinien est sans aucun doute une distinction de « droit ecclésiastique »; et en tant que telle, elle peut être promulguée par un pape légitime, tout comme elle peut être abolie par le pape lui-même ou son successeur légitime.

Maintenant – comme quelqu’un l’a fait remarquer – Benoît XVI « potuit, decuit, ergo fecit – il pouvait le faire, il était d’accord (ou le considérait comme opportun), et donc il l’a fait ».


Et il est clair que cette décision libre et souveraine de Benoît XVI, prise sans doute pour des motifs très graves et dans des buts très nobles, établissait des « limites juridiques » pour celui qui devait lui succéder sur le trône de Pierre: en d’autres termes, son successeur n’hériterait pas d’une charge papale pleine et inconditionnelle, mais d’une charge limitée à la seule dimension active ou fonctionnelle. C’est-à-dire qu’il aurait été une sorte de « suppléant autorisé » ou de « suppléant intérimaire » du titulaire empêché par l’âge.

Ce qu’il fallait peut-être faire publiquement – mais il n’est pas dit que cela n’ait pas été fait en privé – c’était clarifier le sens et la portée d’une telle décision.
Un successeur humble aurait accepté sereinement ces limites; et depuis sa propre résidence il aurait eu recours continuellement au monastère Mater Ecclesiae pour demander des éclaircissements et des indications, s’intégrant en tout point au pape contemplatif, pour le bien de l’Eglise. Mais un successeur impatient, comme celui venu « du bout du monde », n’a pas accepté ce rôle subordonné et complémentaire; et à l’image de l’antique ange déchu, lui aussi a dit à plusieurs reprises – et continue encore à le dire – le poing fermé et le regard sombre: « Non serviam – je ne te servirai pas » (Jr 2, 20).
De là naissent tous les maux ecclésiaux du moment présent.

En conclusion: si, de temps en temps, les indications modérées de Benoît XVI se heurtent aux enseignements insensés du pape jésuite, ce n’est pas la faute du pape Benoît qui revient sur la scène ecclésiale pour défendre la meilleure orthodoxie catholique. La faute – si tant est qu’il y en ait une – incombe à l’illustre locataire de Santa Marta qui, après sept ans, n’a toujours pas compris les limites infranchissables de son mandat, envers celui qui a certes renoncé à « faire le pape » mais n’a nullement renoncé à « être pape ».
Mais il n’est pas dit que d’autres ne peuvent pas comprendre ce que l’un ne veut pas comprendre.

Et pour le peu que valent mes suppositions personnelles personne ne m’ôtera de la tête qu’à la base de l’étrange « démission partielle » de Benoît XVI, il y avait une inspiration céleste explicite. Dans le cas contraire, après sept ans de controverse continue et éprouvante, il y a déjà longtemps qu’il aurait passé le témoin à d’autres, sans « si » et sans « mais ». Et au lieu de cela, il est toujours là, héroïquement, dans l’attente des développements finaux.


Nous savons ce qui s’est passé depuis lors, à savoir le livre à quatre mains, les attaques furieuses dont Benoît XVI a été la cible, et finalement la publication de l’exhortation apostolique post-synodale.
Padre Giocondo revient à la charge:

Cher Dott. Valli, je vous avoue que le thème qui me fascine le plus depuis quatre ans maintenant (c’est-à-dire depuis la publication d’Amoris laetitia) est celui des « deux papes » ; mais aujourd’hui, je suis fatigué d’en parler, car ce dont je suis profondément convaincu ne peut être démontré de manière irréfutable : pour cette raison, je commence à préférer le silence de la prière (…).

Pendant quelques années, j’ai moi aussi soutenu la thèse de « deux papes tous deux légitimes »; mais maintenant, plus le temps passe, plus je suis convaincu – pour mille raisons théologiques et juridiques – qu’il ne peut y avoir qu’un seul « vrai pape »: l’autre est tout simplement « faux ».

Et je vous dis tout de suite que pour moi, le vrai pape est Benoît XVI. Pour une raison très simple: parce que sa démission en 2013 est invalide. Et cette démission est invalide non pas tant à cause de la forme stylistique sous laquelle elle a été exprimée (c’est la thèse de ceux qui, nombreux, dissèquent stérilement la différence entre munus et ministerium), mais à cause des causes de fond qui l’ont déterminée: c’est-à-dire qu’il a subi en cette occasion une pression et un chantage tels qu’ils ont gravement limité sa nécessaire liberté de choix. Et dans ce cadre précis aux contours dramatiques, Benoît XVI – pour ne pas fuir complètement les loups qui menaçaient de le mettre en pièces, lui et le troupeau – a imaginé une forme de renoncement tout à fait novatrice (authentique cas unique en deux mille ans d’histoire !), afin de rester encore sur la scène ecclésiale pour défendre la Vérité: le renoncement à l’exercice actif de la papauté, sans toutefois renoncer à la papauté elle-même.

Et là, j’ouvre une parenthèse.

Lorsque, le 20 mai 2016, le secrétaire personnel de Benoît XVI, Mgr Georg Gänswein, a présenté cet argument très étrange sur la possible coexistence d’un « pape actif » et d’un « pape contemplatif », la question que nous aurions tous dû nous poser n’était pas « Cette explication peut-elle exister du point de vue théologique et juridique? », mais plutôt « Cette explication est-elle seulement le fruit de l’imagination de Mgr Georg ou reflète-t-elle d’une certaine manière la pensée et la volonté de Benoît XVI lui-même? » Et s’il en était ainsi (c’est-à-dire si Mgr Georg avait tenté, par cet exposé, d’exprimer non pas une opinion personnelle, mais la pensée et la volonté de Benoît XVI lui-même), quelle personne vivante pourrait annuler – ou même simplement corriger – une telle décision, prise après une réflexion prolongée et douloureuse par un Souverain Pontife qui n’a pas de rivaux sur terre en termes de compétence théologique et d’expérience ecclésiale ?

Et ici, je ferme la parenthèse.

Le vrai Pape, par conséquent, est seulement Benoît XVI qui, contraint par des circonstances défavorables, a voulu faire non pas « un pas en arrière », mais « un pas de côté ».

Cher Dott. Valli, c’est ma conviction la plus profonde. Mais je me rends de plus en plus compte que, pour l’instant, une telle thèse ne peut pas être prouvée. Je ne peux pas non plus attendre de Benoît XVI lui-même qu’il clarifie une fois pour toutes les causes de fond de sa démission et les intentions réelles de son acte de renoncement. S’il continue à garder le silence sur ces arguments spécifiques, il a sans doute ses bonnes raisons. Aucun d’entre nous ne peut le défier sur les temps et les modalités par lesquels il entend résister aux loups et aux chacals.

Si, sept ans après l’avènement de l’évêque émérite de Buenos Aires, nous débattons toujours de la légitimité réelle des deux papes, cela signifie que, du point de vue historique et juridique, le problème est toujours insoluble. Mais nous devons parvenir à une certaine clarification le plus rapidement possible, car les dégâts de cette situation sont vraiment incalculables, tant sur le plan spirituel que matériel.

Voici donc une modeste suggestion: pour comprendre lequel des deux est le vrai pape, on pourrait adopter un critère emprunté à l’Écriture Sainte : il est simple, clair et efficace.

Le critère infaillible du roi Salomon

Les Saintes Écritures racontent (cf. 1 Rois 3, 16-28) qu’un jour deux prostituées se sont présentées devant le souverain pour régler un âpre conflit entre elles. Toutes deux vivaient dans la même maison, où chacune avait récemment accouché d’un enfant. Peu de temps après, cependant, l’un des deux enfants mourut accidentellement; et à présent, toutes deux affirmaient que l’enfant vivant était le leur, tandis que l’enfant mort était celui de l’autre.

Le roi eut une intuition géniale: il fit apporter une épée et ordonna à ses gardes: « Avec cette épée, coupez l’enfant vivant en deux et donnez une moitié à l’une et une moitié à l’autre! Face à cette terrible réponse, la première femme déclara immédiatement qu’elle renoncerait à sa créature à condition qu’aucun mal ne lui soit fait. La seconde, en revanche, déclara qu’elle était d’accord avec cette solution, afin que l’enfant ne soit ni à l’une ni à l’autre. Au vu de la réaction instinctive des deux femmes, le roi Salomon prononça sa sentence de manière désormais incontestable: « Ne tue pas l’enfant, mais donne-le à la première femme, car c’est sa vraie mère! »

Le passage doit être appliqué par analogie à la situation actuelle de l’Église.

Pour certains, le « vrai père » de l’Église est le pape Benoît, pour d’autres, c’est le pape Bergoglio. Comment discerner la véritable paternité, étant donné qu’elle ne peut être double? La réponse n’est pas difficile: le « vrai père » des fidèles est celui qui, au cours de ces années, a opposé à maintes reprises l’épée du relativisme à l’hypothèse d’une terrible cassure de l’Église, en particulier en ce qui concerne son unité spirituelle et organisationnelle.

En d’autres termes, le vrai pape est celui qui s’est exposé – et qui continue à s’exposer – de toutes ses forces pour défendre l’intégrité doctrinale, morale, liturgique et disciplinaire de l’Église. L’autre, au contraire, est le faux pape mystificateur, le classique loup déguisé en agneau, qui, de manière rusée et de plus en plus intolérante, tente par tous les moyens de démolir le saint Temple de Dieu, ne laissant debout que sa façade.

Nous avons eu la preuve de ce discours ces derniers jours, avec l’histoire du livre écrit à quatre mains, en défense du célibat ecclésiastique: alors que le pape Benoît et le cardinal Sarah se sont sentis obligés d’élever la voix pour illustrer les caractéristiques et les exigences du sacerdoce catholique, une autre personne s’est sentie obligée d’élever la voix pour exiger le retrait de la signature de Benoît XVI dudit livre, comme étant totalement contraire à ses plans révolutionnaires.

C’était un acte d’une gravité sans précédent, qui, nous l’espérons, mettra fin une fois pour toutes aux tentatives ridicules et hypocrites de faire apparaître les deux papes comme étant en parfaite harmonie l’un avec l’autre, tant sur le plan humain que spirituel. Et nous espérons que cette histoire sera instructive, en particulier pour le cardinal Sarah et Mgr Gänswein.

Il n’y a qu’un seul vrai pape : Benoît XVI, collaborateur et défenseur de la Vérité, envers et contre tout, et jusqu’au bout !

Père Giocondo de Mirabilandia

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