C’est le rêve des médias, avec la découverte de « preuves accablantes ». L’ouverture des archives concernant la seconde guerre mondiale sont-elles une nouvelle illustration de la reddition de la papauté au monde? En tout cas, s’il ne fait aucun doute que Pie XII a bien sauvé d’innombrables juifs, les documents prouvant son activité de sauvetage ont été en grande partie détruits ou cachés au moment des faits, par prudence nécessaire vis-à-vis des allemands. Interview dans Avvenire du Père Glumpel, sj, rapporteur de la cause de béatification de Pie XII.

Par ailleurs, on ne prend pas un gros risque en pariant que, sur le long terme, et passé l’effet de curiosité, il n’y aura pas grand monde qui se pressera pour se plonger dans cette masse rébarbative de documents « bruts », très probablement en grande partie sans réel intérêt. Et le point positif, c’est que le lobby anti-Pie XII (qui s’est férocement opposé à la béatification voulue par Benoît XVI) perdra un de ses principaux arguments.

Benoît XVI a passé son dernier été de pape à étudier en détail l’ensemble du dossier sur la sainteté de Pie XII… ».

Le Père Gumpel, sj (photo Avvenire)

Le 2 mars, ouverture des archives du Vatican

Le Père Gumpel: « Aucun secret sur Pie XII »

Filippo Rizzi
2 mars 2020
www.avvenire.it
Ma traduction

Entretien avec l’historien jésuite et rapporteur pour la cause de béatification. A partir d’aujourd’hui, tous les documents non publiés sur le pontificat de 1939 à 1958 seront disponibles pour consultation

Depuis son bureau à la Curie générale de la Compagnie de Jésus, à quelques pas de la colonnade de la place Saint-Pierre, le rapporteur historique de la cause de béatification de Pie XII – vénérable depuis 2009 – le jésuite allemand Peter Gumpel raconte que « c’est Jean-Paul II qui m’a nommé à ce poste en 1983 » et se dit convaincu que l’ouverture des Archives du Vatican confirmera « les nombreux gestes de charité cachés faits par Pacelli en faveur des Juifs ». Et il souligne : « Aucun de ces aspects spectaculaires que de nombreux médias sont persuadés de trouver parmi ces rayons maintenant accessibles n’émergeront. Les nombreuses ‘fake news‘ autour du prétendu silence de Pie XII sur le drame de la Shoah seront démontées ».


Le père Gumpel, né en 1923, représente avant tout, en un certain sens, le dernier témoin vivant – après la mort en 2014 du postulateur de la cause de Pie XII, le Piémontais Paolo Molinari – de cette génération d’historiens jésuites qui, sur mandat de Paul VI, ont eu un accès direct aux Archives Secrètes Vaticanes (ASV).

À partir de 1965, il se retrouve expert pour suivre la cause du procès de béatification de Pacelli et peut ainsi consulter tous les documents inédits relatifs au pontificat de Pie XII, notamment pour la période de 1939 à 1945. « J’ai eu le même privilège que mes frères Burkhart Schneider, Robert Graham, Pierre Blet et Angelo Martini, auteurs des célèbres 12 volumes d’Actes et documents du Saint Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale [en français dans le texte] – révèle le vieux jésuite -, d’avoir accès à tous les documents des Archives Secrètes Vaticanes. Souvent, la coutume était de recueillir des informations parmi nous, les jésuites, deux ou trois fois par mois, dans le style ‘donner et recevoir des nouvelles sur Pie XII’. Maintenant qu’il sera possible, dès demain, de consulter toute cette vaste documentation (de 1939 à 1958), j’espère que la lumière sera faite sur toute l’action apostolique du Pastor Angelicus« . Et il note un détail : « Je suis convaincu que tout le travail monumental réalisé par Blet en particulier, mais aussi par les autres historiens ignatiens, Schneider, Martini et Graham, ne sera pas démenti et historiquement démonté. Et surtout, il sera confirmé que rien n’a été caché ».


Le rendez-vous, aujourd’hui 2 mars, pour l’ouverture des Archives Apostoliques Vaticanes tombe un jour symbolique: c’est précisément le 2 mars 1939 à l’âge de 64 ans, il y a exactement 81 ans, qu’Eugenio Pacelli a été élu au trône de Pierre, dernier évêque de Rome né dans la capitale.

« Un pape que j’ai connu de près immédiatement après la guerre car j’étais un simple jésuite en formation – dit-il avec émotion – j’ai eu l’occasion pour mon travail de rapporteur de la cause de recueillir le témoignage de sa collaboratrice historique Sœur Pascalina Lehnert qui me confia sous serment [l’existence] d’une lettre de protestation contre la déportation injustifiée des Juifs par Pie XII, qu’il brûla au dernier moment dans la cheminée de la cuisine de l’appartement pontifical.

« C’était un acte de prudence », fut le témoignage de la religieuse, « pour éviter de nouvelles représailles des nazis contre les Juifs. Pie XII intervenait avec sa proverbiale prudence diplomatique, habituellement là où son action pouvait porter de réels fruits, comme cela s’est produit dans des pays indirectement occupés par les nazis comme la Slovaquie et la Hongrie ».

Un pontife qui, loin des projecteurs des médias de l’époque, était capable de grands gestes. « Son secrétaire historique, le père jésuite Robert Leiber, m’a confirmé que le pape a utilisé une bonne partie de sa fortune personnelle pour aider les Juifs. La documentation et la thèse de l’érudit juif Sir Martin Gilbert, qui a montré par ses essais que Pacelli a très probablement sauvé plus de 100 000 juifs dans le monde, en payant de sa poche de nombreux voyages de l’espoir de l’Allemagne vers le Portugal ou le Brésil, est sans aucun doute singulière ».

« L’œuvre monumentale du Père Pierre Blet ne sera pas démentie ».

De son album de souvenirs, le père Gumpel extrait quelques clichés peu connus du grand public, comme la vénération de Benoît XVI pour son prédécesseur.

« Quelques mois avant sa renonciation au ministère pétrinien – confie-t-il – le père Molinari et moi-même avons été convoqués pour connaître en détail le déroulement de la cause. Il a passé son dernier été de pape à étudier en détail l’ensemble du dossier sur la sainteté de Pie XII… ».


Le père Gumpel se dit avant tout convaincu que l’ouverture des archives ne cache, comme cela se passe dans les romans policiers et les thrillers, à la manière d’Agatha Christie, aucune « arme du crime » (pistola fumante: litt. pistolet fumant).

« Je crois que les chercheurs qui consulteront la nouvelle documentation mise à leur disposition – dit-il en conclusion – ne trouveront rien d’embarrassant, notamment parce que Pie XII, comme toute la Curie romaine de l’époque après le 8 septembre 1943, craignant l’arrivée des Allemands dans la ville, a caché et fait disparaître tous ces documents ‘compromettants’ dans lesquels on pouvait retracer tous les sauvetages qui ont eu lieu en faveur des Juifs, en particulier romains. Une grande partie de ce matériel fut expédiée préventivement aux États-Unis ou à Lisbonne ou envoyée dans des couvents et des lieux cloîtrés sûrs ou détruits. Le reste? Je pense qu’il se trouve à l’intérieur du Vatican, sous des planchers qui ont été fermés par des maçons experts du Saint-Siège et si bien cachés qu’aujourd’hui, même nous, nous ne savons pas où se trouve ce matériel« .

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