Hier était le neuvième anniversaire de la funeste renonciation du 11 février 2013. C’était aussi pour Andrea Gagliarducci l’occasion de revenir sur les dernières attaques en date prenant le pape émérite pour cible, et surtout sur la lettre qu’il a écrite pour s’expliquer. Ici, il n’est pas question de polémique, que ce soit sur les circonstances de la « démission », la légitimité ou non du successeur, ou sur l’origine des attaques, Andrea Gagliarducci essaie plutôt de comprendre les intentions de Benoît XVI au-delà des faits contingents (et pas seulement dans cette affaire, ouvrant ainsi un espace à la réflexion sur la « mystérieuse » démission »): « La caractéristique de Benoît XVI – dit-il – est de regarder vers le haut, de garder son regard fixé sur les choses d’en haut ». Et encore: « . Le pape émérite est un homme amoureux de Dieu et de l’Église. Tellement amoureux que tout dans sa vie est lu à travers les yeux de Dieu, à travers les mots d’un Évangile et d’une Bible qu’il a médités d’innombrables fois, jusqu’à en saisir la profondeur, comme un joaillier qui connaît chaque coin, chaque reflet, chaque lumière produite par le diamant qu’il a devant lui ».

Avec Benoît XVI, « Nous sommes Église » prend son sens le plus vrai, le plus authentique, et il prend ce sens parce qu’il y a un pape émérite qui assume le poids de la responsabilité sans rabais, et il le fait avec une certitude évangélique séraphique.

Aujourd’hui comme hier, Benoît XVI est attaqué dans le but de détruire sa prophétie. Aujourd’hui comme hier, Benoît XVI ne peut que sortir renforcé des attaques, car la vérité, en fin de compte, est ce qui reste, et personne ne peut la changer.

Benoît XVI, son héritage prophétique

Andrea Gagliarducci
Vatican Reporting
11 février 2022

Neuf ans après sa démission, Benoît XVI se comporte encore en Pape. Et il le fait précisément en ne voulant pas être Pape, en n’ayant jamais fait un pas en avant par rapport au rôle de Pape émérite qu’il s’est taillé, un rôle très original et unique dans l’histoire de l’Église, celui d’un Pierre qui reste sub umbra Petri, à l’ombre de Pierre, comme un sanctuaire qui a un lien particulier justement avec le Siège apostolique. Benoît XVI se comporte encore en Pape, car rien en lui n’est personnalisme, rien n’est désir de vengeance. Il y a l’Église, il y a le Pape, et il n’y a pas de vie ou de réputation personnelle qui tienne.
Il l’avait démontré il y a neuf ans, quand à l’improviste il avait déclamé la renunciatio à un groupe de cardinaux abasourdis réunis en consistoire dans un jour de célébration au Vatican (le 11 février est l’anniversaire des Accords du Latran) pour fixer des dates de canonisation. Et il l’a démontré dans les jours précédant l’anniversaire de sa démission, dans une lettre qui accompagnait la réponse des avocats qui l’avaient aidé à analyser les documents du rapport sur les abus commandés par l’archidiocèse de Munich et Freising, et à réfuter les accusations selon lesquelles il avait mal géré, voire délibérément ignoré, certaines situations.

Documents en main, déclarations des avocats examinées, il est clair que les accusations étaient fausses, que Ratzinger n’a rien sous-estimé ni négligé. Il ignorait simplement certaines choses et en déléguait d’autres. Et pourtant, il a suffi d’une erreur (pas du pape émérite) dans la rédaction de sa réponse pour le traiter de menteur, selon une campagne médiatique qui a toujours trouvé en lui une cible facile.

Il serait facile pour Benoît XVI de répondre uniquement sur la base du droit et des documents. Mais ce n’est pas ce que fait un homme d’Église. Et le pape émérite est un homme amoureux de Dieu et de l’Église. Tellement amoureux que tout dans sa vie est lu à travers les yeux de Dieu, à travers les mots d’un Évangile et d’une Bible qu’il a médités d’innombrables fois, jusqu’à en saisir la profondeur, comme un joaillier qui connaît chaque coin, chaque reflet, chaque lumière produite par le diamant qu’il a devant lui.

Benoît XVI n’a jamais séparé ses décisions de la réflexion sur l’Église, sur l’Évangile, sur Dieu. Il ne l’a pas fait, même maintenant, alors que les accusations se sont à nouveau élevées contre lui, entre autres sur des questions déjà éclaircies, sur des situations déjà exposées.

Ce n’est pas la première fois que Benoît XVI doit répondre à des accusations gratuites. Il a toujours choisi dans ses réponses une approche personnelle. Comme quand il a écrit une lettre pour expliquer sa décision de révoquer l’excommunication de quatre évêques lefevristes, au milieu de la controverse provoquée par l’un d’entre eux. C’était une lettre pastorale, une lettre qui stigmatisait le phénomène de « mordre et se dévorer » qui s’était créé parmi les frères eux-mêmes, et le comparait à une attitude que les apôtres avaient déjà. En pratique, Benoît XVI soulignait qu’il n’y avait rien de nouveau, que l’Eglise était imprégnée de ces attaques fratricides et immotivées, et que c’était la conversion nécessaire, pour se détacher de ce « mordre et se dévorer » .

Benoît XVI s’était également exprimé de manière pastorale lorsqu’il avait écrit aux catholiques d’Irlande après le scandale des abus. Le pape avait rencontré les évêques pour comprendre la situation, il avait décidé d’envoyer une visite apostolique en Irlande, mais il avait aussi décidé d’écrire, pour essayer de comprendre les causes du drame qui s’était produit dans ce pays qui avait toujours été catholique.

La caractéristique de Benoît XVI est de regarder vers le haut, de garder son regard fixé sur les choses d’en haut, de même que les disciples dans la barque gardent leurs yeux fixés sur le Christ. Et en effet, dès que les disciples détournent le regard, ils ne peuvent plus marcher sur l’eau, ils tombent, ils risquent de se noyer. Benoît XVI ne détourne jamais le regard. Et c’est ce qui blesse probablement ceux qui veulent remettre en cause non pas tant le pontificat que le pape émérite lui-même, sa pensée, sa théologie, qui a eu une influence extraordinaire.

Il a eu cette influence non pas parce que Benoît XVI voulait créer une école de théologie, non pas parce qu’il voulait être d’une certaine façon un maître. Il l’a eu plutôt par la force du raisonnement, et parce que la raison, pour Benoît XVI, ne peut être séparée de la foi. Benoît XVI a pris au pied de la lettre l’invitation de l’apôtre à donner les raisons de son espérance, il l’a vécue dans sa vie. Il a été authentique, dans un monde où être authentique est nécessairement un défaut. C’était un homme d’Église, car il a toujours mis l’Église de Jésus en premier. Y compris en allant au-delà de lui-même.

La lettre du 8 février, sincère, profonde, était la lettre d’un Pape qui revendiquait sa bonne foi pour une seule erreur dans sa réponse aux enquêteurs, mais qui finalement ne donne pas de poids à cette erreur : nous sommes humains, nous faisons des erreurs, l’important est de se rendre compte que ce n’est pas une erreur qui remet en cause la véracité de ses paroles.

Et pourtant, Benoît XVI s’excuse. Il s’excuse pour les abus, il rappelle qu’au début de la messe on prononce le Confiteor, il va même jusqu’à parler de la fin de sa vie, et de sa certitude de se présenter devant un Dieu miséricordieux, qui regarde son authenticité, et non ses erreurs individuelles. Benoît XVI s’excuse parce que, quand une personne pèche, c’est l’humanité qui pèche avec elle. Car pour Benoît XVI, tous sont Église, personne n’est exclu. Benoît XVI connaît l’importance des rôles, il sait qu’un Pape est un Pape et qu’un évêque est un évêque, et c’est une des raisons pour lesquelles il s’est taillé ce rôle de Pape émérite, sachant qu’il ne pourrait pas revenir au rang des cardinaux, mais qu’il ne pourrait pas non plus être Pape, et donnant ainsi une ligne d’interprétation pour l’avenir, à savoir que le pontificat équivaut à une autre ordination.

Et pourtant, malgré cela, Benoît XVI sait compatir à la souffrance des gens, il sait qu’une Église qui blesse ne blesse pas seulement les victimes, mais se blesse elle-même, il se rend compte que l’Église est un corps meurtri par les blessures du péché. Avec Benoît XVI, « Nous sommes Église » prend son sens le plus vrai, le plus authentique, et il prend ce sens parce qu’il y a un pape émérite qui assume le poids de la responsabilité sans rabais, et il le fait avec une certitude évangélique séraphique.

Neuf ans plus tard, nous nous rendons compte que le pas en arrière de Benoît XVI n’est pas une fuite des responsabilités, ni n’aurait pu l’être, ce n’est pas non plus le succès d’un complot contre l’Église qui voulait le mettre sur la touche. Il s’agissait plutôt du geste d’un père faisant un pas en arrière afin d’élever ses enfants. Et cela sans même envisager la possibilité que ses enfants aient fait de mauvais choix, aient pu mener à la ruine ce qu’il avait construit. Benoît XVI est un homme libre, et en tant qu’homme libre, il a tout laissé à Dieu.

L’histoire dira si les hommes d’Eglise auront été dignes de l’immense confiance que Benoît XVI a accordée à l’Eglise du Christ au moment de sa renonciation. Certes, nous ne l’avons pas encore compris. Et il nous reste à relire ses documents, à analyser son modus operandi, à nous rendre compte que chaque action de justice a toujours été accompagnée, par Benoît XVI, d’une note explicative de nature eschatologique-pastorale. Celui qui n’a pas compris cela, n’a pas compris le pape émérite.

Neuf ans plus tard, nous nous interrogeons toujours sur les raisons de la décision de Benoît XVI. Et pourtant, tout était clair dès le départ, car le renoncement était un choix cohérent avec sa vie. Aujourd’hui comme hier, Benoît XVI est attaqué dans le but de détruire sa prophétie. Aujourd’hui comme hier, Benoît XVI ne peut que sortir renforcé des attaques, car la vérité, en fin de compte, est ce qui reste, et personne ne peut la changer.

Mots Clés :
Share This