Décidément, Mgr Aguer parle haut et fort et de plus en plus souvent, pour dire son inquiétude sur l’évolution de l’Eglise – en particulier ces dernières années. Cette fois, il réagit aux propos du Pape adressés aux membres d’un ordre religieux: François se plaint de la chute dramatique des vocations sacerdotales. Mais Mgr Aguer a été écarté sans ménagement de sa charge d’archevêque de La Plata, alors que sous sa direction, le séminaire diocésain, aujourd’hui en déperdition, était florissant. Et ce n’est qu’une incohérence parmi d’autres dans le discours papal.

En synode, tous ensemble. Vers l’autodestruction de l’Église catholique

Je suis troublé et j’ai du mal à surmonter mon trouble. A ce stade, je devrais dire, « rien de nouveau sous le soleil ». De quoi s’agit-il cette fois? Tout d’abord, je tiens à répéter ce que j’ai souvent écrit. Je crois que dans l’Église catholique, la ferveur et l’élan missionnaires des pays qui se caractérisaient autrefois par une majorité numérique se réduisent de plus en plus. Mais aujourd’hui, une perspective effrayante est apparue. Le Souverain Pontife – comme l’ont souligné les médias -, s’adressant aux participants au Chapitre général des Augustins Récollets, a mis en garde contre le déclin des vocations sacerdotales. Quelle nouveauté ! Depuis ce coin lointain qu’est l’Argentine, je peux observer, aux premières loges, ce qui se passe ici : diocèses sans prêtres pour assister, comme il se doit, les fidèles catholiques ; développer une action missionnaire efficace ; manque de vocations, tant sacerdotales que religieuses, mais abondance, pour ne pas dire surabondance, d’évêques auxiliaires.

Lorsqu’en juin 2018, j’ai été avec indécence « miséricordié » comme archevêque métropolitain de La Plata, deux jours après mon 75e anniversaire, j’ai laissé au Grand Séminaire San José (qui fête son centenaire cette année) une trentaine de candidats au clergé de La Plata. Aujourd’hui, il n’y en a plus que six ou sept. Je crois qu’un phénomène similaire de diminution se produit dans plusieurs Églises particulières. Que s’est-il passé ?

Le Saint-Père, sur le ton de l’admonition, a attribué ce douloureux problème à de nombreuses causes, dont la baisse de la natalité ! Il est évident que la guerre que des évêques, des prêtres, des institutions ecclésiales, des conférences épiscopales entières ont déclarée contre l’encyclique prophétique Humanae Vitae de Paul VI ne pouvait que produire des fruits amers. Le Souverain Pontife note également que la capacité de l’Eglise à attirer les jeunes est faible. Je suis d’accord ! Depuis un demi-siècle, le progressisme post-conciliaire sape tous les fondements de la pastorale des jeunes et de la pastorale des universités.

Dans notre pays, le progressisme et le tiers-mondisme ont liquidé ce travail patient que de nombreux prêtres ont accompli, surtout par leur dévouement à la confession et à la direction spirituelle. En tant que jeune prêtre, j’ai travaillé dans ce domaine avec des résultats remarquables; il y avait des prêtres plus âgés, et meilleurs que moi, qui étaient un exemple de bon sens, de simplicité et de ferveur dans le traitement des jeunes. Le progressisme qui a envahi les séminaires, avec la tolérance pusillanime des évêques, a atteint la désolation actuelle.

Je ne veux pas généraliser indûment ; je ne sais pas ce qu’il en est en Afrique ou aux Philippines. Il me semble que ce qui se passe en Argentine se passe dans d’autres pays d’Amérique latine. Un drame récent est l’ « annulation » des prêtres et des évêques qui aiment et suivent la grande Tradition ecclésiale ; et pour cette raison le parti progressiste au pouvoir ne peut pas les pardonner. Une Église sans prêtres. Face à ce panorama, François a dit : « Avons-nous préparé les laïcs, avons-nous préparé les personnes à poursuivre le travail pastoral dans l’Eglise ? Et avez-vous préparé le peuple à poursuivre votre spiritualité, qui est un don de Dieu, à la poursuivre ? » Il a ajouté : « Seigneur, envoie des vocations, mais prépare-nous aussi à offrir notre don, quand nous sommes moins nombreux, à ceux qui peuvent collaborer avec nous ». La prière pour demander au Seigneur les vocations est une ressource souvent utilisée, depuis que je suis adolescent et membre de l’Action catholique. Ma vocation est peut-être le fruit de cette insistance. La prière que le Pape propose aujourd’hui vise à « nous préparer aussi à offrir notre don, quand nous sommes moins nombreux, à ceux qui peuvent collaborer avec nous ».

Ces propos surprenants peuvent expliquer pourquoi, selon les directives actuelles, il est important de prêcher la vérité catholique et les sacrements. Dans divers écrits, j’ai abordé ce problème extrêmement grave. Quel soin pastoral entend-on confier aux laïcs ? Probablement l’effort pour améliorer la vie sociale, la condition des pauvres, surmonter les dangers posés par le changement climatique et la déforestation de l’Amazonie ; la recherche de la fraternité universelle (Fratelli tutti) ; la diffusion des nouveaux paradigmes, comme on les appelle ; et la concurrence avec la franc-maçonnerie et le capitalisme financier international. Parfait! Laissons les chrétiens aborder ces questions. Ils pourraient même s’engager dans la catéchèse, ce qui se pratique depuis un siècle maintenant. Et, éventuellement, dans la célébration du baptême, dans des circonstances exceptionnelles. Mais qu’en est-il de l’Eucharistie, le renouvellement non sanglant du Sacrifice du Seigneur à la Messe ? Et le réconfort des malades par la Sainte Onction ? Et le pardon des péchés dans le sacrement de la pénitence ? L’Église peut-elle se passer de ces sacrements, qui sont la source de la grâce ? Envisagerait-on d’attribuer aux laïcs des facultés spécifiquement sacerdotales? Le Synode allemand se dirige-t-il vers ces « solutions »?

Pour l’instant, Rome est silencieuse. Et, dans ce formidable drame, le dicton qui tacet consentire videtur se réalise.

Le trouble qui m’envahit aboutit à cette conviction : nous allons vers la destruction de l’Église catholique. Et nous y allons synodalement : ce qui compte, c’est le mensonge syn (avec) ; mensonge, dis-je, parce qu’en fin de compte tout se résume à l’oukase pontifical. Le hodós, le chemin, conduit à l’altération substantielle de la Vérité catholique et de l’institution ecclésiale.

« Préparons-nous à ce qui arrivera », dit le Successeur de Pierre ; eh bien, préparons-nous, dès à présent, à rejeter ces délires. L’Église ne peut pas marcher naïvement vers sa propre autodestruction.

L’apôtre Pierre, dans sa Première Lettre, écrit que la fin de toutes choses est proche (pantōn de to telos ēngiken), c’est pourquoi il recommande la prudence (sōphronēsate), la prière et la vigilance priante (1 Pierre 4, 7).

Au début, j’ai dit que je suis troublé [azorado]. En espagnol, le mot azorar signifie effrayer, déranger, secouer. Mais cela signifie aussi enflammer, encourager. Ces sentiments contradictoires nous agitent, mais ils conduisent aussi à une sérénité plus consciente, à la sophrosyne dont parlait saint Pierre. Ayons confiance dans le Christ, Seigneur et Époux de l’Église, et dans la Vierge Immaculée, qui est son image et sa Mère.

Mgr Héctor Aguer
18 mars 2022
infocatolica.com

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