C’est toujours intéressant de lire Andrea Gagliarducci quand il raconte le pontificat actuel. Ici, il constate que plus les salles de rédaction bruissent d’alarmes sur sa santé et de rumeurs de démission, plus la frénésie de communication de François se déchaîne, avec des interviews en rafale. Communication par-dessus les structures ad hoc du Vatican, qui ne sont pas au courant (un comble!) non pas sur la Nouvelle qu’il est censé apporter au monde, mais sur lui-même, dans un exercice de narcissisme, d’autorité et d’autosatisfaction qui signe sa méthode de gouvernement.

Le Pape François a-t-il une stratégie de communication ?

Andrea Gagliarducci
Monbday Vatican
11 juillet 2022

La semaine dernière, le pape François a accordé trois interviews. Une à Reuters, publiée en plusieurs fois, une à l’agence Telam, et une pour le podcast de Guillermo Marcò, son légendaire porte-parole à Buenos Aires, qui a réalisé un podcast des paroles du Pape.

Au-delà du contenu des interviews, la stratégie du pape François est plutôt intéressante. Plus la santé du pape François se détériorait, plus il était présent dans les médias. Plus on parlait de la fin du pontificat, plus le pape voulait montrer, même avec des images et des mots, qu’il est fermement aux commandes de l’Église.

Peut-être ne pouvons-nous pas faire entièrement confiance aux paroles du pape François s’il est vrai – comme c’est le cas – qu’en rentrant de Géorgie le 3 octobre 2016, il a dit qu’il allait choisir la date pour aller visiter les lieux du centre de l’Italie secoués par un tremblement de terre. La question était motivée par le fait qu’un média italien avait annoncé que le Pape allait s’y rendre le 4 octobre. La réponse du Pape a apparemment écarté la possibilité qu’il s’y rende le 4. Puis, le 4 octobre, il s’y est rendu ponctuellement, comme s’il n’avait jamais dit le contraire. De toute évidence, la visite du 4 octobre avait déjà été planifiée et programmée lorsque le pape s’est exprimé.

Cependant, ces trois interviews font partie d’un plan plus complexe, qu’il faut comprendre et décrypter pour comprendre et interpréter le pontificat. Quels sont donc les thèmes qui sous-tendent cette stratégie de communication ?

Le premier thème est celui de la réaction. Le pape François n’aime pas parler de sa succession, aussi parce que parler de la succession signifie, de facto, amoindrir la force décisionnelle du pontificat. Lors d’une rencontre avec les jésuites de Slovaquie en septembre 2021, il s’est plaint que les cardinaux avaient « déjà fait ses funérailles » après l’opération pour diverticulite du 4 juillet 2021.

Le pape réagit chaque fois qu’il voit des signes de personnes se comportant comme s’il était en fin de règne. Lorsque le journal français Le Figaro a publié l’article d’investigation Fin de règne pour le pape François, le pape a répondu en se mettant debout lors des canonisations du 15 mai, allant personnellement saluer tout le monde.

Ainsi, alors que des rumeurs circulent sur une tumeur présumée ou sur sa possible démission, le Pape François multiplie les apparitions publiques, donne des interviews, en profite pour partager son opinion sur tout, et commence à marquer son héritage.

Le deuxième thème concerne le débat autour du Pape. La réforme de la Curie s’est concrétisée, mais le Pape François veut franchir une nouvelle étape : une discussion avec les cardinaux. Quel meilleur moyen qu’un consistoire ?

Pour la première fois depuis 2015, les cardinaux vont se réunir pour discuter et apprendre à se connaître. Le thème sera précisément la réforme de la Curie. Mais ce ne sera pas une réunion pour proposer une réforme mais une réunion pour certifier une réforme.

Le pape François l’a convoquée pour le mois d’août, gelant ainsi le débat. Entre-temps, il utilise la communication publique pour transmettre les messages qu’il juge les plus importants, confiant que personne ne pourra alors s’opposer à ses idées de réforme.

Le troisième thème concerne la nécessité pour le pape François d’être populaire. Lorsqu’il était à Buenos Aires, le pape François était timide face aux médias et donnait très rarement des interviews. Mais, en tant que pape, il y en a trois hebdomadaires, plus les innombrables conversations et blagues informelles pleines de sens.

Lorsqu’il s’agit de donner son avis, François ne recule jamais. Dans ces incursions personnelles dans les médias, il n’y a aucun filtre de la Secrétairerie d’État.

Un pape pop, donc. Mais pas seulement. C’est un pape qui contrôle la communication et qui veut que tout fonctionne selon ses plans. C’est un Pape qui fait un usage astucieux et populiste des moyens de communication.

Le Pape François utilise des messages forts pour les thèmes qui ne divisent pas, et des messages parfois peu clairs pour les thèmes qui divisent. Il tient à se montrer proche des catégories bibliques du pauvre, de l’orphelin et de la veuve.

Le quatrième thème concerne la communication du Saint-Siège. Le pape François n’a pas tendance à unir mais à créer des fractures. Ces entretiens sont souvent des initiatives personnelles du Pape et se font sans filtre et parfois sans que le Dicastère de la Communication n’en sache rien à l’avance.

En bref, personne ne gère la communication du Pape. C’est le Pape qui décide comment et quand se montrer. La tâche du dicastère est de suivre le magistère et de soutenir le Saint-Père. Elle ne peut pas être celle de la planification de la communication car c’est le Pape qui prend les décisions dans ce sens.

En général, tout se passe à deux vitesses au Vatican : la vitesse du Pape et celle des dicastères qui doivent s’occuper d’une question particulière. Il y a donc un récit de pensée du Saint-Siège et un récit de pensée du Pape. C’est une situation qui communique en quelque sorte la séparation.

Au bout du compte, tous les papes ont été des rois. Le pape François agit davantage comme un homme seul aux commandes, séparé de tout organe directeur. Il ne veut pas que son état de santé soit connu, et il ne veut pas entendre dire que la succession se prépare, alors il est prêt à prendre des risques. Il a même brièvement pris deux fois plus de médicaments pour paraître en bonne santé en public.

Les interviews, en fait, avaient pour tâche de faire passer le message que le pape existe, est présent et ne cesse de prendre des décisions.

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