Au lendemain des élections italiennes, l’évêque (pro-life) de Vintimille-San Remo s’exprime sur les espoirs que peut faire naître la (relative) victoire de la coalition de « centre-droit » autour de la personne de Giorgia Meloni. Il n’hésite à dénoncer l’insupportable hégémonie culturelle de la gauche et son inconciliabilité avec les enseignements de l’Eglise, pourtant plus compatibles avec cette droite presque unanimement dénoncée comme extrême y compris par la hiérarchie de l’Eglise. Des propos courageux (d’autant plus qu’il n’est pas « émérite » mais encore en charge) qui tranchent résolument avec le politiquement correct, et qui valent évidemment à 200% pour nous Français.

Je suis satisfait que le vote populaire ait fait ressortir une sensibilité qui caractérise notre peuple et notre histoire, marquée par une tradition d’humanisme chrétien et donc incompatible avec les exaspérations exprimées par la culture de la gauche.

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C’est pourquoi j’interprète le succès du parti Fratelli d’Italia et de sa coalition politique non pas principalement comme le résultat d’un vote de protestation ou de la logique de l’alternance, mais plutôt comme le réveil – je l’espère vraiment – d’une authentique civilisation politique, capable de redécouvrir et de revitaliser la formidable tradition de notre peuple…


Un évêque pro-life analyse les résultats des élections italiennes

Mgr Antonio Suetta, évêque de Ventimiglia-Sanremo, est connu en Italie pour son importante activité pastorale dans son diocèse et aussi pour son engagement dans la défense de la vie et de la famille. En 2021, il a envoyé un message fort à la Marche pour la Vie et à la veille des élections de 2022, dans un message à son diocèse, il a souligné l’opposition de certains programmes électoraux à la doctrine catholique et à l’Église « pour la présence de points comme, par exemple, l’idéologie de genre, le suicide assisté ou l’euthanasie, la soi-disant reconnaissance des droits sexuels et reproductifs des femmes ».
Son analyse du vote du 25 septembre est donc particulièrement intéressante.


Excellence, le vote du 25 septembre semble dessiner une Italie nouvelle et différente. Il y a des vainqueurs et des vaincus. Les électeurs ont fait un choix clair qui pourrait annoncer une saison de stabilité. Que pouvons-nous attendre du nouveau gouvernement, entre les urgences à affronter et un avenir à écrire, si possible au-delà de la/des crises ?

Tout d’abord, précisément un gouvernement stable qui puisse guider le pays à travers les situations critiques compliquées et dangereuses de cette époque : la sortie de la pandémie, les risques de la guerre imminente avec ses répercussions sur l’économie et la stabilité sociale, l’inflation et la récession. Le nouvel ordre politique a alors la grande et grave responsabilité de mettre en œuvre le PNR en favorisant le développement, la justice, la paix sociale, la modernisation de l’État en termes d’infrastructures et la relance de l’industrie, l’emploi et la réforme de la machine bureaucratique et de l’administration de la justice comme conditions préalables indispensables à ce que je viens de mentionner.

Du point de vue d’un évêque, comment évaluez-vous la figure et les choix politiques (ceux annoncés et ceux faits jusqu’à présent) de Giorgia Meloni ? Et comment un pasteur explique-t-il la grande affirmation du parti Fratelli d’Italia ?

Ce qui attire mon intérêt et suscite ma confiance ne concerne pas tant les nombreuses questions de l’administration actuelle et concrète, qui sont bien sûr liées aux règles des différents domaines de compétence, aux situations contingentes, aux connexions internationales et aux choix/situations héritées. Il n’est pas non plus de ma compétence de traiter de tels aspects. En revanche, je suis satisfait que le vote populaire ait fait ressortir une sensibilité qui caractérise notre peuple et notre histoire, marquée par une tradition d’humanisme chrétien et donc incompatible avec les exaspérations exprimées par la culture de la gauche. Celle-ci a de plus en plus déserté les véritables questions et besoins des personnes pour promouvoir, y compris avec une certaine violence politique et propagandiste, des idéologies extrêmement dangereuses qui, tout en se cachant élégamment derrière la défense de prétendus droits de l’homme, sont en réalité profondément inhumaines et annonciatrices d’une forte négativité et de mauvais fruits pour l’avenir de la société. Les différentes formations de la gauche – même les plus modérées et peut-être, selon leurs propres termes, proches du monde catholique – sont dangereusement entachées par cette dictature du relativisme éthique, dont parle Benoît XVI, qui sévit aujourd’hui à travers le soi-disant « politiquement correct » et qui constitue malheureusement le critère dominant, parfois exclusif, de grandes institutions comme le Parlement européen. C’est pourquoi j’interprète le succès du parti Fratelli d’Italia et de sa coalition politique non pas principalement comme le résultat d’un vote de protestation ou de la logique de l’alternance, mais plutôt comme le réveil – je l’espère vraiment – d’une authentique civilisation politique, capable de redécouvrir et de revitaliser la formidable tradition de notre peuple et de promouvoir, surtout dans la famille et dans les écoles, une capacité de discernement de plus en plus nécessaire quant aux valeurs authentiques sur lesquelles fonder la vie humaine et la société.

Il faut éviter les généralisations. Mais on a parfois l’impression que du côté catholique – pasteurs, médias, mouvements – il n’y a pas toujours d’équité de jugement. Il semble qu’envers la droite (pas seulement la droite italienne) il n’y ait pas d’attitude sereine, malgré des positions en harmonie avec le Magistère et le droit naturel. Pour dire les choses crûment, c’est comme si l’on regardait avec plus de bienveillance les forces résolument laïques.

Malheureusement, c’est l’impression et – je crois – parfois la vérité. Je crois que cela dépend principalement de deux facteurs : un manque substantiel de connaissances et de formation concernant la doctrine et l’histoire du christianisme, en particulier dans la recherche des prémisses philosophiques et idéologiques qui en déterminent le cours ; également une sorte de « timidité » face à l’omniprésence de modèles absolument antithétiques à la vision chrétienne, qui conduit à un chemin de dialogue mal compris et de complaisance, qui, à la fin, produit des contaminations dangereuses dans l’effort assez vain de rester sur la scène. En fait, les résultats d’une telle stratégie montrent toujours combien est vraie la déclaration évangélique selon laquelle « si le sel perd sa saveur, il n’est bon qu’à être jeté et piétiné par les gens » (cf. Mt 5,13) : le monde avec sa logique applaudit ces approches tant qu’il peut en tirer profit ou tant qu’elles ne perturbent pas son cours, puis néglige ou combat le message chrétien lorsqu’il le trouve incompatible ou gênant. Le critère « dans le monde, mais pas du monde » reste toujours éclairant et opportun. Je crois que la tradition catholique doit redécouvrir et montrer sa propre originalité, lumineuse et toujours pertinente, en surmontant une sorte de complexe d’infériorité par rapport aux prétentions de la narration envahissante de la gauche à posséder les droits exclusifs de la culture, du progrès et de l’éthique.

Que peut-on attendre d’une politique (devenue majorité parlementaire) sur un terrain délicat confinant à l’éthique ?

En gardant toujours à l’esprit que la politique est l’art du bien possible, je souhaite que, dans la gestion complexe de multiples instances institutionnelles et sociales, une action politique renouvelée favorise et permette le développement des fondements de notre civilisation italienne et européenne, en empêchant la dérive d’une capitulation inconditionnelle aux « non-principes » du relativisme. Dans « Tournant pour l’Europe ? Église et modernité dans l’Europe des révolutions », J. Ratzinger écrit : « Qui peut se cacher que le relativisme, auquel nous sommes tous exposés aujourd’hui, produit une inclination croissante au nihilisme ? La question devient donc pressante : avec quel contenu pouvons-nous remplir le vide spirituel créé par l’échec de l’expérience marxiste ? Sur quelles bases spirituelles pouvons-nous construire un avenir commun, dans lequel l’Est et l’Ouest se lient dans une nouvelle (expérience d’) unité, mais aussi le Nord et le Sud trouvent un chemin commun ? »

Face à l’hégémonie de la « pensée unique » qui domine en Europe, y a-t-il encore des possibilités concrètes de correction? Aujourd’hui, si un gouvernement national adopte une position différente, il est rappelé à l’ordre et condamné par Bruxelles…

Théologiquement, je répondrais que oui, absolument, parce que le bien et la vérité ont une capacité de diffusion intrinsèque et une authentique cohérence de valeur qui, à la différence du mal et de l’erreur, apparemment vainqueurs en raison de la dynamique violente avec laquelle ils tentent de s’imposer, s’enracinent patiemment dans le cœur humain et portent ensuite des fruits retentissants. J’ajouterais aussi que l’union fait la force… et aujourd’hui, ici et là, on peut voir plusieurs fissures bienvenues dans l’ostentation désinvolte de la « pensée unique », qui voudrait dominer le monde.

Sans renoncer à la distinction entre politique et religion, l’Église ne pourrait-elle pas faire plus et mieux dans cette terre de mission qu’est devenue l’Europe ? Parfois, la peur et la timidité semblent l’emporter. Ou bien on choisit d’autres questions, éloignées des principes que le pape Ratzinger appelle « non négociables ».

L’Église est appelée à proclamer l’Évangile de Jésus par la parole et le témoignage, en promouvant le vrai bien, terrestre et surtout éternel, dans la vie des hommes, et en dénonçant tout dérapage au niveau de la doctrine et de la conduite : telle est sa tâche. L’Église ne se présente pas au monde comme une institution ou une agence parmi d’autres, mais elle offre, en tant que mère, maîtresse et compagne de voyage solidaire, ses trésors les plus précieux, qui sont la révélation divine, les sacrements, la prière, la sainteté et la charité de ses enfants. L’Église sait que son combat « n’est pas contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les pouvoirs, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais qui habitent les régions célestes » (cf. Ep 12) et elle sait donc qu’elle ne peut pas le mener simplement avec des expédients mondains. Toujours dans la même lettre aux Éphésiens, l’apôtre Paul demande pour lui-même ce que je demande aussi aujourd’hui pour mon ministère d’évêque et que j’implore pour l’Église :

« Priez aussi pour moi, afin que, lorsque j’ouvrirai la bouche, la parole me soit donnée, pour que je puisse faire connaître avec assurance le mystère de l’Évangile, dont je suis l’ambassadeur enchaîné, et que je puisse l’annoncer avec le courage avec lequel je dois parler » (6,19).

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