A l’occasion du Xe Symposium International promu par la Fondation Vaticane Joseph Ratzinger-Benoît XVI et qui s’est tenu les 20-21 octobre à Steubenville (Ohio), le Saint-Père a adressé un lettre (que je me garderai bien de commenter, faute de compétences théologiques) au Père Dave Pivonka, Président de l’Université Franciscaine de Steubenville. Le texte original, en anglais, a été lu par le Père Lombardi, président de la Fondation. Voici la traduction dans notre langue (via le blog d’AMV)

Benoît XVI / Moi, mon ecclésiologie, le Concile et la question de l’Église dans le monde

Lettre de Benoît XVI pour le Symposium de Steubenville

Cher Père Pivonka,

C’est un grand honneur et une grande joie pour moi qu’aux États-Unis d’Amérique, à l’Université franciscaine de Steubenville, un Symposium international traite de mon ecclésiologie, plaçant ainsi ma pensée et mon effort dans le grand courant dans lequel elle s’est inscrite.

Quand j’ai commencé à étudier la théologie, en janvier 1946, personne ne pensait à un Concile œcuménique. Quand le Pape Jean XXIII l’a annoncé, à la surprise générale, beaucoup doutaient qu’il soit judicieux, voire possible, d’organiser les intuitions et les questions dans l’ensemble d’une déclaration conciliaire et de donner ainsi à l’Église une direction pour la suite de son chemin. En réalité, un nouveau Concile s’est avéré non seulement utile, mais nécessaire. Pour la première fois, la question d’une théologie des religions s’est posée dans toute sa radicalité. La même chose s’applique à la relation entre la foi et le monde de la simple raison. Ces deux sujets n’avaient jamais été envisagés de cette manière. Cela explique pourquoi le Concile Vatican II a d’abord menacé de déstabiliser et de secouer l’Église plus que de lui donner une nouvelle clarté pour sa mission. Entre-temps, la nécessité de reformuler la question de la nature et de la mission de l’Église est progressivement devenue évidente. De cette façon, le pouvoir positif du Concile aussi émerge lentement.

Mon travail ecclésiologique a été marqué par la nouvelle situation de l’Église en Allemagne après la fin de la Première Guerre mondiale. Si jusqu’alors l’ecclésiologie avait été traitée essentiellement en termes institutionnels, désormais, on percevait avec joie la dimension spirituelle plus large du concept d’Église. Romano Guardini a décrit cette évolution en ces termes : « Un processus d’une immense importance a commencé. L’Église se réveille dans les âmes ». Ainsi, le « Corps du Christ » est devenu le concept central de l’Église, qui a trouvé son expression dans l’encyclique Mystici Corporis en 1943. Mais avec sa formalisation, le concept de l’Église en tant que corps mystique du Christ a en même temps passé son zénith et a été reconsidéré de manière critique.

C’est dans cette situation que j’ai pensé et écrit ma thèse sur « Peuple et Maison de Dieu dans la doctrine augustinienne de l’Église ». Le grand congrès augustinien qui s’est tenu à Paris en 1954 m’a donné l’occasion d’explorer la position d’Augustin dans le bouillonnement politique de l’époque. La question de la signification de la Civitas Dei semblait alors définitivement réglée. La thèse de H. Scholz sur Glaube und Unglaube in der Weltgeschichte (Croyance et incroyance dans l’histoire du monde), développée à l’école de Harnack [Adolf von Harnack, 1851-1930, théologien protestant] et publiée en 1911, avait montré que les deux Civitates ne désignaient pas un quelconque organisme sociétal, mais plutôt la représentation des deux forces fondamentales de la croyance et de l’incroyance dans l’histoire. Le fait que cette étude, rédigée sous la direction de Harnack, ait été accueillie summa cum laude lui assurait une pleine approbation. De plus, elle correspondait à l’opinion publique générale, qui attribuait à l’Église et à sa foi une place belle, mais aussi anodine. Quiconque osait détruire ce beau consensus ne pouvait être considéré que comme obstiné. Le drame de 410 (la prise et le sac de Rome par les Wisigoths) a profondément bouleversé le monde de l’époque et aussi la pensée d’Augustin. Bien sûr, la Civitas Dei n’est pas simplement identique à l’institution de l’Église. En ce sens, l’Augustin médiéval commit une erreur fatale, qui aujourd’hui, heureusement, a été définitivement surmontée. Mais la spiritualisation complète du concept d’Église manque du réalisme de la foi et de ses institutions dans le monde. Ainsi, à Vatican II, la question de l’Église dans le monde est finalement devenue la véritable question centrale.

Par ces considérations, j’ai seulement voulu indiquer la direction dans laquelle mon travail m’a conduit. J’espère sincèrement que le Symposium International de l’Université Franciscaine de Steubenville sera utile dans la lutte pour une juste compréhension de l’Eglise et du monde à notre époque.

Bien à vous dans le Christ,

Benoît XVI

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