Le point de vue d’un Italien, spécialiste de géopolitique de la Bussola:

« Ils sont tous d’accord pour soutenir les organisations qui s’engagent à transporter des Africains et des Asiatiques, mais à condition qu’ils ne débarquent qu’en Italie : si Rome a le courage d’aller jusqu’au bout et de bloquer l’accès de nos ports aux navires des ONG, toute l’activité cessera et les financements aussi, car aucune nation européenne n’est prête à accepter que les immigrants illégaux soient débarqués dans ses ports. »

Quand un seul bateau de migrants met la France en crise

Gianandrea Gaiani
lanuovabq.it/it/se-una-sola-nave-di-migranti-mette-in-crisi-la-francia

La dure réaction de la France à la nouvelle politique migratoire de l’Italie est due, avant tout, à une crise interne de la politique française. En effet, la nouvelle de l’arrivée de l’Ocean Viking à Toulon a fait monter l’opposition (qui est majoritaire) à Macron. Le problème sous-jacent est l’absence d’une stratégie commune dans l’UE.

Le revirement du nouveau gouvernement italien sur le front toujours brûlant de l’immigration clandestine et le bras de fer en cours entre Rome et Paris en disent long sur les chances de l’Europe de trouver une réponse commune au défi posé par les trafiquants et le lobby du sauvetage et de l’accueil. Comme cela s’est toujours produit depuis le début de la crise de l’immigration clandestine en Méditerranée, au lieu de défendre des frontières communes, l’Europe, par son immobilisme, a contraint les États individuels à ériger leurs propres « murs », à l’intérieur de l’Union.

Les succès obtenus avec les premières mesures du gouvernement Meloni sont encore loin de réduire significativement les débarquements, mais ils ont montré la discontinuité avec les ports grands ouverts des gouvernements Conte 2 et Draghi, ils ont montré une ligne dure envers les ONG, qui devrait à l’avenir conduire à l’interdiction de leurs navires dans nos eaux, et ils ont conduit pour la première fois l’un de ces navires, l’Ocean Viking, à débarquer dans un port autre que les ports italiens. Ce dernier aspect a suscité de vives réactions à l’encontre de Macron, qui dispose d’un gouvernement minoritaire au Parlement, déclenchant des critiques de la part d’oppositions de droite comme celles menées par Le Pen et Zemmour et de nombreux milieux parisiens.

« Trop c’est trop : l’immigration en France n’est pas un droit inconditionnel. Les Français veulent une politique migratoire beaucoup plus ferme et beaucoup plus efficace », a déclaré hier le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, à propos de l’affaire Ocean Viking. « L’île de Lampedusa, la Porte de la Chapelle (un quartier de Paris où des campements de migrants sont récemment réapparus, ndlr) seront l’avenir de l’Europe si nous ne reprenons pas dès maintenant le contrôle de notre politique migratoire. Il faut fermer le robinet ! » a écrit le bras droit de Marine Le Pen dans un autre tweet. « Au-delà de l’émotion sur le sort des personnes, l’accueil en France de l‘Ocean Viking marque un tournant dans la politique d’immigration de la France », a écrit l’ancien ministre français de l’Intérieur Gérard Collomb sur twitter.

Collomb, ancien maire socialiste de Lyon qui avait lancé en tant que ministre le plan de reprise en main des banlieues baptisé « Reconquête Républicaine », a rappelé que « lorsque la création d’un hot-spot à Toulon avait été envisagée en 2018, je m’y étais opposé de toutes mes forces et j’avais démissionné ». Il a suffi qu’un seul des navires que les ONG utilisent pour transporter les immigrants illégaux vers l’Italie presque chaque semaine accoste dans un port français pour rendre les Français furieux. Pourtant, à Lampedusa, cité comme exemple par Bardella, 1 437 personnes sont aujourd’hui hébergées dans le hotspot qui peut en recevoir moins de 400, et à cause des débarquements de Tunisie et de Libye, cette structure arrive presque chaque semaine à la saturation.

Et tandis qu’en Italie, les milieux politiques de centre-gauche (qui ont toujours été pro-français « sans si et sans mais » au point d’avoir recueilli un grand nombre de décorations de la Légion d’Honneur) n’épargnent aucune critique au gouvernement italien, Paris exerce des « représailles » déterminées essentiellement par des raisons de politique interne. Pour ne pas perdre ce qui lui reste de crédibilité dans son pays, Macron déploie 500 agents à Vintimille et annonce qu’il n’accueillera pas de l’Italie les 3500 migrants prévus dans les plans de redistribution, tandis que ses ministres disent qu’ils ont perdu confiance en l’Italie, même s’il est difficile pour nous, Italiens, d’accepter des leçons de morale de la part de ceux qui rejettent nuitamment les clandestins interceptés à Bordighera ou qui nettoient les camps de clandestins à Calais avec des bulldozers.

Mais au-delà des querelles de voisinage dans une Europe en déliquescence qui n’arrive même pas à édicter des mesures pour freiner la hausse des prix de l’énergie, le véritable fait politique est que les seuls à tirer profit des querelles entre Européens sont les trafiquants d’êtres humains, les immigrés clandestins, les ONG et les lobbies de l’accueil. Il ne faut pas oublier que parmi ceux qui financent les ONG dont les navires battent pavillon des pays d’Europe du Nord figurent des particuliers, des organismes religieux et des administrations publiques de France, d’Allemagne et d’autres pays de l’UE.

Ils sont tous d’accord pour soutenir les organisations qui s’engagent à transporter des Africains et des Asiatiques, mais à condition qu’ils ne débarquent qu’en Italie : si Rome a le courage d’aller jusqu’au bout et de bloquer l’accès de nos ports aux navires des ONG, toute l’activité cessera et les financements aussi, car aucune nation européenne n’est prête à accepter que les immigrants illégaux soient débarqués dans ses ports.

« Je pense que l’Italie et la France doivent trouver une vision commune face au grand défi que nous avons devant nous et que nous devons tous donner une réponse à l’immigration », a affirmé le président du PPE, Manfred Weber, en quittant le Palazzo Chigi [résidence du premier ministre] après une rencontre avec le Premier ministre Giorgia Meloni. « Nous avons besoin d’une solution européenne, qui doit comporter deux aspects : la protection des frontières et la solidarité européenne, car l’Italie ne doit pas être laissée seule », a souligné Weber.

Une phrase prononcée par des dizaines de représentants de l’UE au cours des 12 dernières années mais restée jusqu’à présent lettre morte alors que le Premier ministre Meloni a dit que « nous avons besoin d’une mission européenne pour défendre les frontières extérieures de l’Europe » et « ouvrir des hot spots en Afrique ».

Des sujets sur lesquels il serait utile de clarifier les idées. Soit on arrive à persuader la Libye et la Tunisie de reprendre immédiatement les migrants illégaux qui naviguenté vers les côtes italiennes, soit une mission navale européenne sera destinée à embarquer les immigrants illégaux et à les débarquer en Europe. L’Opération Sophia [*] a en effet été suspendue en 2019, sa phase 3, que Giorgia Meloni cite souvent, n’ayant pu être mise en œuvre car elle prévoyait l’entrée de navires de l’UE dans les eaux libyennes et le déploiement de troupes européennes contre les trafiquants sur les côtes de Tripolitaine. Des actions définies comme des violations de la souveraineté libyenne que Tripoli n’a jamais autorisées, et qu’elle n’autoriserait pas non plus aujourd’hui que l’influence turque dans cette région a également pris des connotations militaires précises.

La Libye et la Tunisie n’ont jamais accepté que des hot-spots, où les migrants peuvent être hébergés pour examiner les demandes d’asile en Europe, soient ouverts sur leur territoire afin de ne pas se transformer de « pays de transit » des flux migratoires illégaux en « point d’arrivée ». Il n’y a donc aucune raison de croire que Tripoli et Tunis vont changer d’avis aujourd’hui. Il est donc préférable de se concentrer sur les accords avec ces deux pays qui prévoient une aide économique, le rapatriement des migrants illégaux qui ont quitté leurs côtes, et leur retour immédiat dans leur pays d’origine avec des avions également mis à disposition par les agences de l’ONU.

(*) Ndt

L’EUNAVFOR MED opération Sophia, appelée de manière abrégée opération Sophia ou EUNAVFOR Med, est une opération militaire décidée le 18 mai 2015 par l’Union européenne au titre de la politique de sécurité et de défense commune pour mettre fin aux départs de migrants tentant de traverser la Méditerranée centrale.  Privée de navires au printemps 2019, l’opération prend fin le 31 mars 2020. L’opération Irini qui lui succède dans la zone considérée intègre pour grande partie les mandats qui lui étaient attribués. (Wikipédia)

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