Andrea Gagliarducci poursuit son analyse minutieuse (cf. Grand ménage à la Caritas, ce qui se cache derrière…) du « grand remplacement » à la tête de la Caritas, précédé avec fracas par l’annonce inattendue du licenciement de l’ensemble de ses cadres, et la nomination d’une commission. Alors que le volet précédent se focalisait plutôt sur le présent, en particulier le profil du commissaire, dans ce second volet, il approfondit la logique suivie dans sa réforme de 2012 par Benoît XVI, qui entendait recadrer l’organisation et la remettre sur des rails authentiquement catholiques. Et il met ainsi en évidence en quoi le démantèlement de la Caritas s’inscrit dans une volonté générale de plus en plus visible de « liquider » le pontificat de Benoît XVI. Dans un souci respectable de pondération, il impute (en partie) la décision de François à des manigances « derrière son dos », mais si l’existence de manigances ne fait aucun doute, faire porter le chapeau à d’autres est évidemment une interprétation charitable, ou ecclésialement correcte, et qui ne peut tromper personne

Pape François, révolution ou restauration ?

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-revolution-or-restoration

La décision du pape François de nommer un commissaire pour Caritas Internationalis représente pour le pontificat un nouveau plongeon dans le passé. L’idée de changer à nouveau les statuts de Caritas, après dix ans et une orientation précise donnée par Benoît XVI, risque de donner l’impression qu’il n’y a pas de véritable volonté de réformer l’Eglise. Au contraire, il semble qu’il y ait un désir de reculer les aiguilles de l’horloge avant le pontificat de Benoît XVI.

Pour comprendre cette affirmation, il faut remonter à 2012 et à la réforme des statuts de Caritas Internationalis voulue par Benoît XVI. Cette réforme est intervenue au milieu d’un intense débat qui avait surgi au sein de l’institution lorsqu’en 2011, il avait été décidé de ne pas réélire Lesley-Ann Knight au poste de secrétaire générale de la confédération.

Le travail de Knight avait été salué par le président de l’époque, le cardinal Oscar Andrés Rodrigues Maradiaga. Mais il y avait plusieurs problèmes.

Par exemple, pendant les années de son mandat, l’Organisation canadienne pour le développement et la paix [Canadian Organization for Development and Peace – CCODP] a rejoint la Confédération de Caritas Internationalis. De nombreuses organisations pro-vie ont souligné que la CCODP soutenait la légalisation de l’avortement, distribuait des contraceptifs et appuyait les politiques pro-gender. Knight a toutefois défendu la CCODP dans une lettre adressée aux donateurs.

Ces circonstances ont conduit Benoît XVI à réformer les statuts de Caritas Internationalis, plaçant la confédération sous l’égide du Conseil pontifical Cor Unum de l’époque. Les nouveaux statuts ont également établi une série de principes qui devaient éviter le risque d’accepter dans la confédération des organisations non conformes à la doctrine catholique.

Ce principe était celui de la « Charité dans la vérité », exposé dans l’encyclique Caritas in Veritate de Benoît XVI. Des principes que la secrétaire générale sortante a critiqués dans une interview, soulignant qu’un profil trop catholique éloignerait les donateurs. Knight est ensuite devenue PDG de l’organisation humanitaire The Elders, qui compte Kofi Annan parmi ses présidents et perpétue les principes mondialistes qui lui étaient opposés.

Dix ans plus tard, cependant, les statuts de Caritas sont remis en question, et un commissaire est nommé, dans un geste qui semble exagéré, étant donné que les communiqués de presse eux-mêmes ne parlent que de problèmes de gestion et non de questions financières ou de scandales sexuels. Un gestionnaire a été choisi comme commissaire de Caritas, Pier Francesco Pinelli, qui avait déjà été appelé à conceptualiser la fusion des Conseils pontificaux « Justice et Paix », « Migrants » et « Cor Unum », et qui a ensuite rejoint l’équipe d’inspecteurs du dicastère résultant.

Une décision qui témoigne d’une approche différente, moins ancrée sur les principes et plus axée sur les principes de la gestion d’entreprise.

Une telle affirmation semble peut-être exagérée. Il y a cependant plusieurs éléments à prendre en compte.

Tout d’abord, Benoît XVI est devenu pape après une longue période de fin de pontificat de Jean-Paul II, qui ne pouvait plus prendre toutes les décisions et autour duquel s’étaient noués des liens de pouvoir et d’intérêt qui n’étaient pas faciles à dénouer.

Benoît XVI a été choisi précisément parce qu’il était l’un des rares à jouir d’une réputation inattaquable et à pouvoir porter un si grand héritage sur ses épaules. Benoît XVI a commencé le travail de redéfinition des choses, de leur purification, de leur démondanisation selon un terme qui lui était cher. La philosophie de cette réforme a été esquissée dans ses discours en Allemagne en 2011, devant une Église, comme il l’a expliqué, qui risquait d’être riche en œuvres, mais pauvre en esprit. Pour lui, l’Église en Allemagne était l’exemple à ne pas suivre, ou plutôt le laboratoire des choses à éviter.

De nombreuses réformes de Benoît XVI doivent être lues dans ce sens. Par exemple, la réforme des statuts de Caritas Internationalis. Mais aussi la réforme du système financier et l’adhésion à des normes internationales compatibles avec la mission de l’Église. Et l’institution du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, le bureau des séminaires au sein de la Congrégation pour le clergé, et les lignes directrices de la diplomatie pontificale.

Le pontificat de Benoît XVI a été un grand effort pour rétablir les principes de la foi, pour briser les anciennes alliances de pouvoir et pour donner une nouvelle philosophie au gouvernement de l’Église. Puis, en 2013, Benoît XVI a renoncé, et dans sa déclaration de renonciation, il y avait un signal précis : nous avions besoin d’un pape plus jeune qui puisse continuer le travail. Il n’était plus temps de créer les principes, il était temps de les mettre en pratique avec force, énergie et constance contre tous les vents contraires.

D’un autre côté, les cardinaux réunis en conclave n’ont pas choisi un jeune pape mais une éventuelle papauté de transition. On savait que le pape François avait un mandat spécifique pour réformer la Curie. Mais il est apparu immédiatement que le débat était dominé par l’ancienne Curie mise de côté par Benoît XVI. Beaucoup étaient âgés, et beaucoup allaient perdre le pouvoir en peu de temps. La renonciation leur donnait une dernière chance.

Le cardinal Danneels a parlé de »mafia de Saint-Gall », et Austen Ivereigh a parlé de « Team Bergoglio » à l’œuvre dans l’élection du pape François. Il y avait cependant un agenda clair derrière le dos du Pape François, qui était de revenir en arrière. Revenir en arrière pour aller de l’avant, voilà le paradoxe. Revenir à une Église plus en phase avec son temps, plus gestionnaire, plus organisée, plus capable de parler au monde.

Le fait que le pape François ait voulu, d’une certaine manière, remédier au passé s’est manifesté par de nombreux signes. Par exemple, la création de « cardinaux de remédiation » a signalé une prise de position claire par rapport aux décisions passées. Comme l’ancien nonce en Belgique Rauber, celui qui ne voulait pas la nomination d’André-Joseph Léonard comme archevêque de Bruxelles (et en fait, le pape François ne l’a pas créé cardinal, mais a donné le chapeau rouge à son successeur de Kesel). Ou le chapeau rouge donné à Mgr Fitzgerald, que Benoît XVI avait envoyé comme nonce en Égypte alors que sa promotion à la tête d’un dicastère semblait naturelle, parce que le pape ne partageait pas sa vision du dialogue avec les autres religions. Ou encore, la création comme cardinal d’Enrico Feroci, que le cardinal Ruini n’avait jamais voulu promouvoir comme évêque.

Ce sont des signes qui indiquent un jugement clair sur le passé. Formellement, le pape François n’a rien changé à la doctrine. Dans la pratique, cependant, il a mené une série d’actions qui étaient, en fait, un retour à une vision du passé où la doctrine pouvait être changée, ou au moins, où la déviation de la doctrine pouvait être tolérée.

Les premières idées de réforme de la Curie, et même le Conseil des cardinaux, faisaient partie d’un agenda qui avait été défini dans les derniers jours de Jean-Paul II, de même que le cardinal Carlo Maria Martini avait proposé l’idée d’un grand débat sur la famille dans les Congrégations générales qui ont précédé le Conclave de 2005.

Le pape François a envoyé une inspection partout où il y avait une coupure avec le passé. Les inspections ont servi à concrétiser des décisions déjà prises. L’accent mis sur l’application du Concile Vatican II contraste par exemple clairement avec l’application modérée du Concile qui existait dans les années de Jean-Paul II et surtout sous Benoît XVI, qui, depuis le premier discours dans l’église Sixtine, avait promu le thème de l’herméneutique de la continuité.

L’année dernière, avec Traditionis Custodes, le pape François a entamé l’accélération finale, qui vise à établir ses principes, en effaçant les anciens. Traditionis abolit une norme antérieure de Benoît XVI, la libéralisation de l’ancien rite.

Vient ensuite la réforme de la Curie, enfin définie, qui répond à des critères plus pragmatiques qu’idéaux. En fait, le divorce entre l’autorité et l’ordre (/l’ordination) fait partie de ce programme post-conciliaire qui, en fin de compte, a placé le prêtre au second plan. Le risque de l’Église ONG, redouté par le Pape François, est aussi dans ces décisions.

Il y a maintenant cette décision de réviser les statuts de Caritas Internationalis, qui, entre autres, ont été réformés il y a seulement trois ans. Le sentiment est que c’est un pas de plus vers le démantèlement du travail accompli.

Bien sûr, il y avait un agenda derrière le dos du Pape François, comme il y en a eu derrière le dos de chaque Pape. Ce qu’on ne comprend pas, c’est à quel point le Pape était d’accord avec cet agenda ou a agi uniquement parce que les conseillers l’ont poussé. En effet, le principe évangélique de la charité dans la vérité a été remplacé par le principe pragmatique « les réalités sont plus grandes que les idées. » Sur la base de ce principe, le risque est que l’Église devienne insignifiante. Et pas seulement pour le monde, mais pour les catholiques eux-mêmes.

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