La nomination à la tête de la CDF de l’Allemand Heiner Wilmer, né en 1961 (succédant, après l’intermède Ladaria, à un autre Allemand, mais d’une toute autre orientation, le cardinal Müller) est plus qu’une rumeur insistante. Si l’on en croit Andrea Gagliarducci qui dresse ici un portrait du « challenger » à travers ses écrits et ses déclarations, il s’agirait pour le Pape Français de clore une époque, en cette phase tardive (et difficile) de son pontificat, marquant une rupture avec les pontificats précédents et surtout un désaveu de la ligne de Benoît XVI, tout en envoyant des signaux positifs au Synodal Weg (qu’il prend soin de critiquer en public). Mais ce Pape est tellement imprévisible, et tellement « politique » (ou manoeuvrier), qu’il pourrait bien surprendre une fois de plus, en nommant quelqu’un d’une toute autre orientation juste pour s’attirer les bonnes grâces de l’aile conservatrice ou s’assurer le soutien de telle ou telle faction, bref, brouiller les cartes.

(*) Eugen Drewermann, né en 1940, théologien et psychanalyste allemand, ordonné prêtre en 1966, il a été sanctionné par la CDF pour ses positions hétérodoxes et il a quitté définitivement l’Eglise en 2005.

Pape François, quelle doctrine de la foi ?

Andrea Gagliarducci
19 décembre 2022
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-which-doctrine-of-the-faith

La bombe, lancée par le site Messa in Latino la semaine dernière, concerne la nomination du nouveau préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi. Si les rumeurs se confirment, il s’agira toujours d’un religieux (le cardinal Ladaria, sortant, est un jésuite), mais plus jeune, évêque et allemand de l’orientation de ce Synodaler weg que le pape François n’a pas manqué de remettre en cause [pour la galerie! ndt] car – selon les mots du pape – « en Allemagne il y a déjà une Église évangélique. » Il s’appelle Heiner Wilmer, dehonien [prêtre du Sacré Cœur de Jésus, en référence au fondateur Léon Dehon], 61 ans, depuis 2018 évêque de Hildesheim.

Son nom aurait circulé pour la première fois lors de la dernière réunion du Conseil des cardinaux, et mentionné par le pape qui aurait été impressionné par la façon de penser de ce jeune théologien allemand, supérieur général du Sacré-Cœur de Jésus depuis trois ans. Wilmer n’a pas manqué de se montrer critique envers l’Église catholique, soutenant en 2018 que « l’abus de pouvoir est dans l’ADN de l’Église ». Et, ce faisant, il n’a pas hésité à se référer à la pensée d’Eugène Drewermann, un ex-prêtre et psychothérapeute qui a appliqué la « psychologie des profondeurs » [Tiefenpsychologie en allemand, expression utilisée pour qualifier différentes recherches de la science de l’inconscient, couvrant à la fois la psychanalyse et la psychologie] à la lecture de la Bible.

La Congrégation pour la doctrine de la foi a sanctionné Drewermann qui, pour son 65e anniversaire, s’est offert le cadeau « douteux » de quitter le catholicisme.

Drewermann remettait en cause l’institution même de l’Église, le célibat des prêtres, et même la Bible elle-même, qu’il présente comme un ensemble de symboles plutôt que comme un récit historique. C’est pour répondre à ce type d’approche, répandue en Allemagne, que Benoît XVI a écrit la trilogie de Jésus de Nazareth. Car au-delà des symboles, la Bible est aussi une histoire précise et concrète des peuples, et la vie de Jésus aussi.

Si la nomination de Wilmer devait être confirmée (les rumeurs disent que cela devrait se faire dès aujourd’hui), le pape François consacrerait ainsi définitivement l’approche qui existait avant Jean-Paul II puis après Benoît XVI. Mais il le ferait aussi pour contester une idée de fond, celle qu’il faut préserver en permanence l’institution.

Si Wilmer a dit que les abus sont dans l’ADN de l’Eglise, il l’a fait aussi en pensant aux œuvres de Drewermann, défini comme « un prophète de notre temps non reconnu par l’Eglise ».

Pourquoi le pape François se serait-il alors orienté vers cette décision ? Qu’est-ce qui l’a convaincu ?

En lisant l’interview de Wilmer en 2018, nous trouvons de nombreuses idées qui se retrouvent dans le pontificat du pape François.

Laissons la parole à Mgr Wilmer.

Parfois, je me dis : qui détermine exactement ce que signifie Catholique? Nous continuons à nous comporter comme si c’était la hiérarchie, comme si nous, les évêques, avions droit à l’étiquette catholique. C’est faux ! Nous ne sommes pas une Stiftung Warentest [version allemande de « 60 millions de consommateurs », ndt]. Nous devons être des destinataires et des auditeurs qui apprennent en dialoguant avec des hommes et des femmes catholiques, mais aussi avec des chrétiens d’autres confessions et des non-croyants. Si cela est théologiquement clair, les conséquences concernant le scandale des abus le sont aussi : pour endiguer le mal dans l’Église, nous avons besoin d’un contrôle efficace du pouvoir dans l’Église. Nous avons besoin d’une distinction des pouvoirs, d’un système de « Checks and Balances » (« freins et contrepoids », comme dans le système démocratique, note de AG). »

Et encore :

Quand j’entends de la part du cardinal Gerhard Müller que les laïcs ne peuvent pas juger les ministres consacrés selon l’ordre religieux de l’Église, je ne peux que dire : ce n’est pas vrai. Dans les premiers siècles, les diacres et les prêtres étaient toujours choisis pour la fonction d’évêque par acclamation du peuple. À Cologne, comme vous le savez, au Moyen Âge, les citoyens se sont soulevés à plusieurs reprises contre le pouvoir de leur archevêque et, en 1288, à la bataille de Worringen, ils ont gagné la liberté de leur seigneur féodal. Les formes de participation à l’Église étaient beaucoup plus nombreuses que celles que nous connaissons aujourd’hui. Nous devons faire attention à ne pas être victimes de l’oubli de notre histoire.

Le pape François fait souvent écho à cette position, d’écoute des laïcs, de contrôle du pouvoir porté par le contact personnel et jamais institutionnel, mais aussi avec la décision de permettre au Tribunal du Vatican de juger les cardinaux ou les prélats. Et puis, il y a cette idée de la mission canonique, qui est conférée par l’évêque et peut être attribuée à n’importe qui. C’est le centre de la réforme de la Curie, mais c’est aussi un recul par rapport au Concile Vatican II, qui avait lié le pouvoir à l’ordre [/ordination] précisément pour éviter les abus. Et la même chose valait lorsqu’il avait été décidé que les ministres consacrés ne pouvaient pas être jugés : il s’agissait d’une forme de garantie, créée non pas pour défendre l’institution-Église, mais pour protéger le sacrement.

Cependant, la ligne super-pragmatique du Pape n’a pas ces nuances, et ne regarde pas non plus l’histoire. Selon le Pape, les réalités sont plus grandes que les idées. Mais certaines idées correspondent aux pensées du pape et forment la réalité dans la vision du pape.

L’évêque Wilmer, pourtant, a été inspiré par Drewermann, comme on l’a dit. Et c’est là que les choses deviennent plus intéressantes. Son ouvrage le plus connu est « Les fonctionnaires de Dieu : psychogramme d’un idéal ». En près de 700 pages, Drewermann étudie la formation et les fonctions des prêtres à la lumière de la « psychologie des profondeurs ». La thèse du livre est que ceux qui vont au séminaire le font pour échapper à leur sexualité, cherchant refuge dans l’appareil ecclésiastique détesté, réduit à une sorte de nid. Plein de pièges, cependant, étant donné qu’il provoquerait chez les nouveaux prêtres des névroses dues à l’étude inlassable, folle et désespérée des éléments fondamentaux de la doctrine catholique. Autant de choses qui devraient être éliminées, écrit l’auteur.

Il y a quelques années, dans une interview au périodique allemand Publik-Forum, il affirmait:

Cette schizophrénie que le dogme ecclésial provoque sciemment est grave, [à savoir que] l’interprétation de la Bible et des contenus de la foi chrétienne ne doit pas se faire sur un plan symbolique, mais seulement idéologique, dans le sens de dogmes objectifs ou de faits historiques.

Cette position reflète également, d’une certaine manière, la pensée du pape François. L’Église, pour le Pape François, ne peut en effet pas être un nid plein de chausse-trappes, mais elle est l’Église du peuple, faite par le peuple, nourrie dans les périphéries. Seule cette Église, ainsi formée, peut être authentique, précise et véridique. Et peu importe, pour le pape François, s’il s’agit de démolir une structure. Parfois, pense-t-il, cela est nécessaire et sain.

L’approche du Dicastère pour la Doctrine de la Foi sera-t-elle celle-là? C’est possible. Si le Pape a décidé, il ira de l’avant avec la nomination, même au-delà de toute objection possible.

En réalité, cette nomination semblerait être un signe de faveur envers le Synodaler Weg et l’approche des évêques allemands, ouverts à revisiter le célibat à travers les thèmes de la sexualité et des abus de pouvoir dans l’Église.

Mais c’est le pape lui-même qui a critiqué le Synodaler Weg, ne partageant pas entièrement son approche.

Le fait est que, maintenant, le choix du Pape pourrait tomber sur cet évêque-religieux, qui semble être le visage d’une nouvelle vague théologique qui vise à appliquer le Concile Vatican II dans un sens plus littéral que ce qui a été fait jusqu’à présent. Un reniement, en un certain sens, des pontificats précédents.

Mais aussi un désaveu de la ligne de Benoît XVI, qui avait certes choisi un Allemand comme préfet de la Doctrine de la Foi, mais un Allemand en accord avec l’enseignement de l’Église : le cardinal Gerhard Ludwig Müller. Il convient de noter que Müller est également un profond connaisseur de la théologie de la libération et un ami personnel du fondateur de cette théologie, Gutierrez.

En cette phase tardive du pontificat, le pape François est-il en train de clore une époque ? Peut-être. Il peut y avoir d’autres motivations plus « politiques » dans ce choix possible du pape François. A savoir, accorder au monde allemand un théologien d’une certaine ouverture à la Doctrine de la Foi pour faire échouer leur mouvement synodal, qui vise à changer même la doctrine de l’Eglise.

La nouvelle n’est qu’une rumeur, mais elle pourrait être confirmée prochainement. On attend également l’annonce du nouveau préfet pour les évêques, indispensable pour les prochaines nominations épiscopales. Mais, une surprise est probable à ce niveau si la nomination de Wilmer a lieu.

En effet, si Wilmer arrive, de nombreuses déclarations du pape François devront également être lues à cette lumière : étaient-elles réelles, ou étaient-elles destinées à capter l’attention d’un monde progressiste spécifique ?

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