Le Pape se voit au coeur d’un scandale gravissime, concernant des faits immondes, dans le silence de cathédrale d’un système et d’une presse complices. Lui qui prône en permanence la transparence et passe son temps à se battre la coulpe (sur la poitrine des autres) pour condamner les abus sexuels commis par des ecclésiastiques (mettant en cause le « cléricalisme » c’est-à-dire l’emprise sur d’autres en se servant de l’autorité donnée par une fonction) est pris au piège de ses propres contradictions, ayant (implicitement ou plus vraisemblablement, EXPLICITEMENT) couvert de son autorité un réseau sordide de complicités au seins de son ordre . Luisella Scosatti fait le point, et elle n’est pas tendre.

Rupnik, le scandale des abus frappe à Sainte Marthe

Luisella Scrosatti
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Les graves abus sexuels commis par le Père Rupnik sur les religieuses qui étaient sous sa responsabilité spirituelle et le crime grave d’absolution du complice qui a procuré son excommunication sont maintenant des faits établis. Mais le puissant réseau de complicité et de protection qui le voit toujours impuni a maintenant atteint même le Saint-Père : lui seul avait le pouvoir de remettre l’excommunication. Alors, que s’est-il passé ? On attend encore du Vatican des réponses adéquates.

L’affaire Rupnik prend, jour après jour, une connotation de plus en plus grave et inquiétante. Il ne s’est pas agi d’un moment de faiblesse, mais d’une série d’abus prémédités, menés avec des justifications « théologiques », une manipulation psychologique perfide et une intimidation des victimes pour qu’elles ne révèlent rien, avec la certitude rassurante d’être couvertes. C’est ce qui ressort de l’interview de l’ancienne religieuse de la tourmentée communauté de Loyola, fondée dans les années 1980 par le Père Marko Rupnik et Sœur Ivanka Hosta. parue dans le quotidien Domani le 18 décembre dernier ; faits et détails que la femme avait témoignés le 10 décembre 2021 au Dicastère de la Doctrine de la Foi, et qu’elle a ensuite réitérés sur papier dans une lettre adressée directement au général des jésuites, le père Arturo Sosa, et en copie à son délégué, le jésuite Johan Verschueren, au préfet du même dicastère, le cardinal Ladaria, au cardinal vicaire de Rome, Angelo De Donatis, au père Hans Zollner, également jésuite et expert dans la lutte contre les abus, et à la directrice du Centro Aletti, fondé et dirigé par Rupnik, Maria Campatelli.

Lundi, Mgr. Daniele Libanori, lui aussi jésuite, vicaire épiscopal du diocèse de Rome et chargé d’enquêter sur les scandales de la communauté de Loyola, a confirmé les informations qui ont filtré ces dernières semaines : « Il semble que les nouvelles rapportées par les journaux correspondent à la vérité », a-t-il écrit dans une lettre adressée aux prêtres de sa zone de responsabilité dans le diocèse de Rome, soulignant comment les personnes « blessées et offensées, qui ont vu leur vie ruinée par le mal qu’elles ont subi et par un silence complice », ont le « droit d’être indemnisées, y compris publiquement dans leur dignité, maintenant que tout a été mis en lumière ». Il a ajouté : « Je m’efforce de faire taire les sentiments que j’éprouve face à ces témoignages révoltants, provoqués par des silences arrogants, qui exposent à la face du monde la putridité dont sont imprégnées certaines écoles spirituelles ». Des tonalités fortes, qui semblent être le résultat d’un clash avec le cardinal Angelo De Donatis, vicaire général de Rome, qui, selon une reconstruction, a rejeté toutes les accusations circonstanciées portées contre Rupnik comme des calomnies. Lors d’une réunion réservée aux évêques du diocèse capitolin, tenue le vendredi 16 décembre, après les propos de De Donatis, Mgr Libanori aurait tourné les talons et serait parti. Puis est venue la décision d’écrire la lettre.

La confirmation de Mgr Libanori fait suite à l’aveu de la part des jésuites de la double affaire (pour l’instant) impliquant le jésuite slovène. Ayant donc établi qu’il ne s’agit pas d’indiscrétions non vérifiées, nous devons commencer à tirer quelques conclusions.

Tout d’abord, plus d’un doute sur les sanctions imposées au Père Rupnik. Un prêtre, un religieux, qui s’est servi de son autorité sacerdotale et de son ascendant spirituel pour exécuter ce qu’il a commis sur des novices et des jeunes religieuses, et qui s’avère avoir de graves troubles liés à la sphère de la sexualité, puisqu’il s’est également révélé être un habitué de la pornographie, s’est vu simplement interdire d’entendre des confessions, de prêcher des exercices spirituels et de pratiquer la direction spirituelle.

Quant à l’interdiction de se livrer à des activités publiques sans l’autorisation du Supérieur local, elle est plutôt ridicule, tant en raison du fait que les religieux sont déjà liés par le vœu d’obéissance qu’en raison de la manière dont cette restriction est exercée. Car, en attendant, le Père Rupnik continue d’exercer publiquement son ministère. Le 8 décembre, on l’a en effet vu prêcher dans une église de Rome, près de Santa Maria Maggiore, « avec la permission des supérieurs », selon l’intéressé. Et il y a à peine un mois, le 30 novembre, il était au Brésil pour recevoir un diplôme honorifique. Si l’on avait le moindre sens de la justice envers ces femmes, dont les vies ont été lacérées et piétinées non seulement par les prestations du jésuite, son intimidation, mais aussi par la bravade avec laquelle il a prêché à droite et à gauche sur la vie religieuse et spirituelle pendant trente ans, tout en promenant ses réalisations artistiques dans le monde entier, on devrait au moins convenir que ces « mesures de précaution » sont une mascarade.

La tentative de rejeter les abus commis au début des années 1990 comme étant prescrits est encore moins respectueuse de la dignité des personnes concernées. Comment est-il possible que de tels actes infâmes, des abus en série commis avec l’aide du ministère sacerdotal, puissent être prescrits ?

Mais il n’y a pas seulement un problème avec les Jésuites ad intra, mais aussi avec ceux ad extra. La première enquête, en effet, concernait l’absolution du complice contre le sixième commandement, une absolution – invalide, selon le can. 977 du Code de droit canonique – que le père Rupnik avait donnée en 2015 à une novice italienne, avec laquelle il avait péché de sexto. En janvier 2020, le procès s’était terminé par une condamnation unanime, qui reconnaissait la crédibilité de l’accusation. Le jésuite s’est donc vu notifier, par la Congrégation pour la doctrine de la foi, son excommunication en mai de la même année, excommunication qui a ensuite été levée à la fin du mois.

Or, ce délit canonique est l’un des six qui prévoient l’excommunication latae sentientiae – c’est-à-dire l’excommunication « automatique » – réservée au Siège apostolique (les autres concernent la profanation des espèces consacrées, la violence physique contre le Pape, la consécration d’un évêque sans mandat papal, la violation du sceau sacramentel et la tentative d’ordonner une femme). Cela signifie que l’excommunication ne pouvait être levée que par le pape. Selon le délégué général des jésuites, le père Johan Verschueren, c’est la CDF elle-même qui a levé l’excommunication dans un délai très court.

Il y a deux cas de figure : soit il s’agit d’une initiative illégitime du cardinal jésuite Ladaria, soit la demande émane du pontife jésuite lui-même et a ensuite été notifiée par la Congrégation. Il faut aussi noter que le pape François, en mars 2020, soit deux mois après que la Congrégation ait condamné le père Rupnik pour l’absolution du complice, avait appelé le jésuite slovène à remplacer le père Raniero Cantalamessa pour la prédication de Carême au Vatican.

D’une part, la prescription et, d’autre part, l’intervention très probable du Pape pour lever l’excommunication ont rendu dérisoires les sanctions imposées au Père Rupnik ; dérisoires objectivement, parce qu’elles ne correspondent pas à la gravité des actes répétés et des dommages causés à toutes les personnes impliquées jusqu’à présent. Mais ce qui est encore plus irritant, c’est l’attitude de ceux qui, bien qu’informés, ont essayé d’étouffer l’affaire, laissant les cris de ceux qui ont dû subir le traitement du Père Rupnik tomber dans l’oreille d’un sourd, puis le retrouvant pontifiant partout. Il est tout aussi incroyable que l’excommunication soit révoquée de façon fulgurante, ce qui montre de façon inquiétante qu’il est possible, dans l’Église, de s’en tirer à bon compte tout en commettant tous les crimes. Évidemment, si on a les bonnes amitiés. Si le « pape noir » montre qu’il est de plus en plus coupable dans l’affaire, même le « pape blanc » – au nom de la transparence qu’il a si souvent invoquée – ne peut échapper à l’exigence d’une justification adéquate.

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