Luisella scrosatti revient longuement sur l’interview de Geeorg Gänswein (dont elle salue au passage le courage) parue dans Die Tagespost, et sur l’aveu que le Saint-Père en a été bouleversé. Comment se fait-il que François, qui proclamait pourtant à tous vents combien il aimait « le grand-père sage à la maison » n’ait pas songé à consulter ce sage aïeul avant de mettre un œuvre une réforme qui démolissait purement et simplement celle qui lui tenait tellement à cœur? (en réalité, ce n’est même pas une question).
En appendice, le récit des derniers instants.

Ce non à l’ancienne messe qui a frappé Ratzinger au cœur

Luisella Scrosatti
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Mgr Gänswein, interrogé par « Die Tagespost », retrace ses longues années aux côtés du pape émérite et aborde un point sensible pour de nombreux catholiques et pour Benoît XVI lui-même : le motu proprio par lequel le pape François a annulé ses efforts pour accueillir les fidèles liés à l’ancien rite.

Ce sont les yeux de quelqu’un qui a versé beaucoup, beaucoup de larmes en peu de temps, que ceux de Mgr Georg Gänswein. Dans une interview confidentielle accordée à Guido Horst, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Die Tagespost, le secrétairede Benoît XVI et préfet de la Maison pontificale depuis 2012, apparaît profondément ému en évoquant les souvenirs de sa vie avec le pape allemand (1).

De la première rencontre « à distance », dans l’église Saint-Michel de Munich, alors qu’il était doctorant et que Ratzinger était déjà préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, à la rencontre plus personnelle au Collège teutonique de Rome, lorsque les deux hommes se sont retrouvés pour le petit-déjeuner. Une relation qui, explique Gänswein, « a évolué au fil du temps. Il a vieilli et s’est affaibli ; son esprit était encore vif, Dieu merci, mais physiquement il est devenu de plus en plus faible ».

La plus grande préoccupation de Benoît XVI pour l’Europe et le monde occidental était la disparition de la foi. Tous ses efforts se sont concentrés « sur le problème de Dieu et de sa place au centre de la foi ; il voulait que Dieu soit à nouveau placé au centre de la foi, et il voulait appeler et encourager les autorités de l’Église à faire les pas nécessaires dans cette direction ». Sa trilogie sur Jésus de Nazareth peut être vue, selon Gänswein, comme son testament ; Benoît XVI l’a écrite dans l’intention « d’aider les gens à mettre Dieu, Jésus-Christ, au centre de leur foi », de les renforcer dans leur foi. Il considérait qu’il s’agissait là de sa principale tâche en tant que pontife, même si on lui a reproché de soustraire ce faisant du temps et de l’énergie au gouvernement de l’Église.

Et puis la grande question de la foi et de la raison, et, malheureusement, des abus au sein de l’Église catholique, qui ont touché son représentant le plus visible, le pape, à partir de 2010. Une année au cours de laquelle, entre autres, Benoît XVI s’est rendu en Grande-Bretagne. Gänswein révèle la grande tension qui régnait dans les préparatifs de ce voyage : le pape était averti qu’il serait reçu très froidement, tandis que certains appelaient même à son arrestation. « Je me souviens très bien que pendant les deux premières heures à peu près, il y avait beaucoup de froideur. Puis les choses… ont soudainement changé. Je ne peux pas dire exactement pour quelle raison », probablement la simple présence de Benoît XVI, une personnalité humble mais riche de charisme.

Le point critique de la conversation se situe vers la minute 23:00, lorsque Horts confronte Gänswein au fait que la réadmission du Missel de 1962, par le Motu Proprio Summorum Pontificum, « ne s’est pas déroulée comme Benoît XVI l’avait souhaité » ; et il demande au secrétaire particulier de Benoît XVI si le Motu Proprio Traditionis Custodes a déçu le Pape émérite d’une quelconque manière. « Oui, je pense que c’était une blessure douloureuse », a répondu Gänswein. « Quand Benoît XVI a lu ce motu proprio, il a eu de la douleur dans son cœur (il a eu le coeur brisé), parce qu’il avait voulu aider précisément ceux qui ont trouvé leur foyer dans le rite ancien, à trouver la paix intérieure et la paix liturgique, pour les éloigner de [l’archevêque] Lefebvre. »

Le cardinal Joseph Ratzinger avait, en effet, œuvré pendant longtemps pour permettre à ceux qui étaient profondément attachés à l’ancien rite de pouvoir avoir leur place dans l’Église, sans être considérés comme une réserve de nostalgiques, mais en comprenant leur amour pour ce vénérable rite de l’Église. Lors des ordinations épiscopales sans mandat papal de Mgr Marcel Lefebvre et de Mgr Antônio de Castro Mayer en 1988, il semblait que la seule façon de continuer à boire à cette source spirituelle inépuisable et sûre était de suivre Mgr Lefebvre dans la création d’une entité canoniquement non reconnue par l’Église et d’adhérer à sa position de rejet substantiel des documents de Vatican II, du Magistère post-conciliaire et de la réforme liturgique.

Ratzinger a été à l’avant-garde dans la création d’une configuration canonique afin que des communautés entières et des prêtres et fidèles individuels ne soient plus confrontés à l’incroyable dilemme : soit le rite ancien, soit la communion ecclésiale. C’est ainsi qu’a été créée la Commission pontificale Ecclesia Dei et les différents instituts sacerdotaux et communautés monastiques et religieuses qui lui sont rattachés. C’était un premier pas important, mais il était clair ce faisant, on ne sortait pas de la réalité de la « zone protégée » et de l’idée que le rite ancien était au profit de quelques nostalgiques, peut-être même un peu fanatiques.

Summorum Pontificum a été la grande reconnaissance que ce rite appartient pleinement à l’expression liturgique de l’Église, dans le rite romain. Et qu’il ne pouvait en être autrement, car, comme Benoît XVI lui-même l’avait confié à Peter Seewald, l’enjeu était et reste l’identité même de l’Église : « Pour moi, disait Benoît XVI, il était important que l’Église préserve la continuité interne avec son passé. Que ce qui était auparavant sacré ne devienne pas d’un moment à l’autre quelque chose de « mauvais », quelque chose à regarder avec suspicion et même avec mépris » C’est ce que souligne à son tour Mgr Gänswein :  » Si vous pensez que pendant des siècles, l’ancienne messe a été la source de la vie spirituelle, la nourriture de nombreux saints, il est inimaginable qu’elle ne vaille plus rien. Il ne faut pas oublier que de nombreux jeunes, nés bien après Vatican II et qui ne comprennent même plus tout le tamtam qu’on a fait autour, bien qu’ils connaissent la nouvelle messe, ont trouvé dans l’ancienne un foyer et un trésor spirituel. Retirer ce trésor aux hommes me met plutôt mal à l’aise« .

Après ces déclarations, plus d’une question se pose. Pour le pape François, Benoît XVI n’était-il pas « le grand-père qui vit à côté de chez vous et dont vous pouvez puiser à la sagesse à tout moment » ? Comment se fait-il que sur ce sujet, qui était si cher au pape émérite et dont il était le plus grand connaisseur, François ait oublié de lui demander son avis ? Les déclarations de Gänswein confirment, pour la première fois officiellement, la conviction de beaucoup : Traditionis Custodes a frappé Benoît XVI au cœur, et a interrompu drastiquement ses efforts pour une réconciliation non seulement dans l’Église, mais de l’Église avec elle-même. Ce qui signifie qu’avec cet acte, le pape François a déchiré le tissu ecclésial et blessé l’identité de l’Église.

Le résultat est là sous les yeux de tous : le Pape qui, dans sa lettre d’accompagnement de Traditionis Custodes, déplorait l’utilisation de l’ouverture de Benoît XVI « pour accroître les distances, durcir les différences, construire des oppositions qui blessent l’Église et entravent son chemin, l’exposant au risque de divisions », n’a fait qu’accroître ces divisions, poussant de plus en plus de personnes liées à l’ancien rite vers les chapelles de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, qui a toujours fait de l’opposition son étendard, dont les chapelles sont aujourd’hui combles. Le pape François n’aurait pas pu faire un « meilleur » choix pour diviser ; de la réforme liturgique à aujourd’hui, aucune décision ecclésiale n’a été plus efficace pour éloigner les fidèles de la communion avec l’Église. S’il n’y avait pas de divergence de vues évidente, on pourrait soupçonner un accord entre le Saint-Siège et la FSSPX.

On ne peut qu’être reconnaissant à Mgr Gänswein pour la courageuse franchise dont il a fait preuve dans cette interview et pour sa profonde compréhension de la souffrance des nombreuses personnes qui se sont retrouvées, du jour au lendemain, injustement privées de cette solide nourriture que l’Église offre à ses enfants depuis des siècles. Ce n’est pas un mince réconfort de savoir que notre souffrance sert de couronne à celle de Benoît XVI et que nos gémissements sont fondamentalement les mêmes que ceux du pape émérite. qui intercède maintenant pour nous.


Ndt

(1) Ce n’est pas directement lié au sujet de cet article, mais l’hebdomadaire « Famille Chrétienne » a mis en ligne, gratuitement pour une fois, le récit de Mgr Gänswein (tiré de Vatican News) des derniers instants de Benoît XVI, qu’il a vécues à ses côté, comme un fils.

Le secrétaire personnel de Benoît XVI explique, dans un entretien avec Vatican News le 4 janvier 2023, être rentré en Allemagne le 26 décembre pour rendre visite à sa famille. Le lendemain matin, une des laïques consacrées de la Résidence Sainte-Marthe l’a appelé pour lui dire que Benoît XVI avait passé une très mauvaise nuit et que le Dr Patrizio Polisca, un cardiologue italien s’occupant du pontife émérite, était venu.

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Le 27 décembre, Mgr Gänswein a décidé de prendre un avion pour retourner à Rome. Il est arrivé au Monastère Mater Ecclesiae une heure du matin le 28 décembre. « Je me suis tout de suite approché de son lit et j’ai eu peur parce qu’il respirait très fort », confie-t-il, évoquant des problèmes aux poumons ou aux bronches.
Le matin, il a appellé le pape François pour le prévenir. Ce dernier est venu juste après l’audience et a « béni » son prédécesseur. Le reste de la journée a été « difficile », mais le lendemain matin, « contre toute attente », l’état de santé du pontife émérite s’est amélioré, sans que le médecin ne sache l’expliquer. Cependant, la situation a ensuite empiré au cours de la journée, et Mgr Gänswein a alors décidé de donner l’onction des malades au pontife émérite. Puis une messe a été dite dans sa chambre pendant qu’il était alité. Benoît XVI a communié, ne recevant que le sang du Christ à l’aide d’une cuiller liturgique parce qu’il ne s’était pas alimenté « depuis deux jours ».
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La dernière nuit du pape allemand du 30 au 31 décembre « s’est à peu près bien passée », explique-t-il. C’est pendant cette nuit que le pontife a prononcé « Seigneur, je t’aime » en italien devant une aide-soignante, entre 2h50 et 3h10. Puis le matin est arrivé et « en l’espace de trois heures, il a subi une chute libre », raconte Mgr Gänswein. « Dieu merci, l’agonie n’a pas duré si longtemps, environ trois bons quarts d’heure », avant de rendre l’âme à 9h34, explique-t-il.

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Dans l’entretien, l’archevêque allemand se confie aussi sur sa relation personnelle à Benoît XVI, expliquant avoir vécu une vraie « Via crucis » à ses côtés ces derniers jours. Mais il dit retenir surtout de lui sa « joie », et se réjouit que les « profonds trésors » que laisse en héritage Benoît XVI pourront être découverts par d’autres.

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https://www.famillechretienne.fr/39549/article/les-derniers-instants-de-benoit-xvi-en-lespace-de-trois-heures-il-a-subi-une
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