Même si je ne partage pas tout ce qu’il dit, c’est un avis autorisé (vu la connaissance du sujet de l’ex-vaticaniste de la RAI) et précieux (elle vient de quelqu’un qui aimait Benoît XVI, mais son affection ne lui a pas fait perdre son esprit critique, donc elle ne donne pas prise au soupçon de parti-pris). Il aborde librement tous les sujets qui fâchent: « Les funérailles de Benoît XVI, l’homélie de François, la foule, la renonciation de Ratzinger, la papauté émérite, la polarisation dans l’Église, la mise sous tutelle du diocèse de Rome. »

Duc in altum, 10 janvier 2023
www.aldomariavalli.it

Les funérailles de Benoît XVI, l’homélie de François, la foule, la renonciation de Ratzinger, la papauté émérite, la polarisation dans l’Église, la mise sous tutelle du diocèse de Rome. Sur tous ces sujets, j’ai été interviewé par La Verità.

Stefano Filippi : Sur ton blog Duc in altum, tu as sévèrement critiqué le cérémonial des funérailles. Par exemple, le cercueil de Benoît XVI a été porté dans la basilique presque furtivement en l’absence de représentants officiels du Saint-Siège. Qu’est-ce qui se cache derrière cette attitude ?

Aldo Maria Valli: Si l’on considère que Benoît XVI était un pape émérite, donc un pape, la manière dont s’est déroulé le transfert du corps est inacceptable. Le trajet entre le monastère et la basilique Saint-Pierre s’est déroulé presque furtivement. La dépouille de Benoît XVI a été placée à bord d’une camionnette anonyme utilisée pour le transport de marchandises. Pas un seul représentant du Saint-Siège n’a pris part au cortège funèbre, formé par Mgr Gänswein et les mémoires. Le cercueil est entré dans la basilique par une entrée secondaire. Aucun deuil n’a été proclamé au Vatican et les drapeaux n’ont pas été mis en berne. Et mercredi, alors que le corps du pape émérite n’était qu’à quelques mètres, François a tenu son audience hebdomadaire comme si de rien n’était. Je comprends que c’était une première, et je comprends aussi le besoin de sobriété, exigé par Benoît XVI lui-même, mais il me semble qu’il y a eu un manque de respect. Tout cela découlait de la nécessité de ne pas faire de l’ombre au pape régnant. Une attitude qui a toutefois produit l’effet inverse.

La messe de funérailles a été plus rapide que ce que le cérémonial du Vatican exigeait. Une envie de tourner rapidement la page ?

Là encore, il s’agissait d’une première, et les liturgistes et les canonistes eux-mêmes ne savaient pas trop quoi faire. Cependant, toutes les personnes présentes ont eu le sentiment d’une célébration précipitée : il ne s’agissait pas tant d’un hommage et d’un adieu définitif à un grand pape, mais d’une tâche dont il fallait se débarrasser au plus vite. Sans l’affluence des fidèles, tout se serait déroulé de manière extrêmement froide. L’homélie de François elle-même est apparue détachée, sans élan ni pathos. Je me souviens encore de la belle homélie de Benoît XVI lors de la messe de funérailles du « regretté et bien-aimé » Jean-Paul II. De François, pour le pape Ratzinger, rien de semblable.

Le lendemain des funérailles, le pape François a annoncé la réforme du vicariat de Rome, signe d’une plus grande présence du pontife à la tête du diocèse. Est-ce aussi une façon de détourner l’attention des médias de Ratzinger ? Ou cela répond-il à la nécessité de définir plus strictement le rôle du pape en tant qu’évêque de Rome ?

Le document est plein de mots à la mode tels que synodalité, pastorale, collégialité, discernement, mais en substance il renforce le rôle de contrôleur du pape. On a parlé de mise sous tutelle [commissariamento] du Vicariat. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une manière de détourner l’attention de Ratzinger : ce n’est pas avec une mesure de ce genre qu’un tel objectif peut être atteint. Je vois plutôt le désir du pape de reprendre une situation, celle du diocèse de Rome, marquée par de nombreux problèmes, notamment l’affaire Rupnik. Le cardinal vicaire De Donatis, voulu par Bergoglio lui-même, est tombé en disgrâce et François met noir sur blanc que dorénavant il devra tout renvoyer au pape. La gestion économique est également en jeu.

Que nous disent les milliers de personnes qui ont rendu hommage à Benoît XVI ?

Ils nous disent que le Ratzinger dépeint par les médias, le « berger allemand » maussade et insensible, n’avait rien à voir avec le Ratzinger aimé par le peuple, apprécié comme un défenseur de la foi, un homme doux mais aussi combatif, le dernier rempart contre les manipulations doctrinales, les abus liturgiques et le triomphe du relativisme moral. Devant les caméras, on a vu l’hommage d’un peuple qui a aimé Benoît XVI et qui ne s’est pas laissé influencer par des interprétations tendancieuses de son enseignement et certaines représentations injustes. Benoît XVI a été victime d’une colossale opération de désinformation, mais les fidèles ne sont pas tombés dans le panneau et l’ont démontré par leur hommage plein d’affection et d’estime.

Vous avez qualifié la renonciation de Ratzinger et l’invention de la figure du pape émérite de « malheureuses ». Pourquoi ?

Malheureuses parce que, même si le Code de droit canonique le prévoit, je crois que Pierre ne doit pas descendre de la croix en cédant à une vision fonctionnaliste du pape et du pontificat. Le pape n’est pas le PDG d’une entreprise. Avec la renonciation, son rôle a été bureaucratisé et la figure papale a été sécularisée. De plus, une dichotomie inacceptable a été introduite : il ne peut y avoir un Pierre qui gouverne et un Pierre qui prie. On ne peut pas non plus prétendre continuer à être pape tout en cessant de faire le pape. La figure du pape émérite est un monstrum. L’expérience du pape émérite a échoué à tous égards. Au-delà de l’hypocrisie curiale, des sourires et des embrassades, toutes les différences entre les deux papes sont apparues, jusqu’à l’incompatibilité, et une polarisation s’est inévitablement créée parmi les fidèles

Penses-tu que le pape François étudie une manière d’institutionnaliser cette figure, peut-être en tenant les futurs popes émérites à l’écart du Vatican ?

Des chercheurs et des canonistes du département des sciences juridiques de l’université de Bologne travaillent sur un projet qui vise à fournir un cadre juridique à la papauté émérite mais aussi à mieux préciser le concept de siège empêché. Les lacunes réglementaires sont nombreuses et les problèmes à résoudre sont plus complexes que jamais. Toutefois, il ne semble pas que des études spécifiques soient en cours au Vatican. Le pape François a déclaré dans une interview au quotidien espagnol ABC qu’il avait déjà signé sa « démission » en cas d’ « empêchement pour raisons de santé » et qu’il avait remis le document au secrétaire d’État de l’époque, le cardinal Bertone. Puis il a ajouté : « Je ne sais pas à qui le cardinal Bertone l’a donné ». Une façon très vague et superficielle d’aborder une question sensible. Il a ainsi contribué à la sécularisation du pape et de la papauté, comme s’il s’agissait d’une fonction bureaucratique et administrative et non du rocher sur lequel Jésus a voulu fonder l’Église.

Sans la présence de Benoît XVI, François aura-t-il moins de scrupules à introduire de nouvelles réformes ? Que pourraient-elles être ?

Je ne crois pas que François ait jamais eu de tels scrupules. Nous en avons eu la preuve avec le motu proprio Traditionis custodes qui a effectivement fait échec au Summorum Pontificum du pape Ratzinger.

La démission de François est-elle vraiment proche ?

Rien ne le suggère. S’il a dit qu’il a remis ce document à Bertone, il a également dit que l’on gouverne avec la tête et non avec le genou. Ce qui laisse penser qu’à l’heure actuelle, bien qu’il ait des problèmes de marche et qu’il soit souvent confiné dans un fauteuil roulant, il n’envisage pas d’y renoncer.

Tu as écrit que ceux qui n’appartiennent pas aux clans bergogliens et ratzingeriens et qui essaient seulement d’analyser la situation voient quelque chose de déstabilisant. Et toi, que vois-tu?

Je vois, comme je l’ai dit, une papauté de plus en plus sécularisée, mais aussi avilie. La façon dont François a parlé de sa possible « démission », presque comme s’il s’agissait d’une conversation de bar, et ensuite la façon dont la dépouille mortelle de Benoît XVI a été traitée, presque sous le signe du laisser-aller, m’ont causé un grand malaise. Au sommet de l’Église, le sens de la dignité de Pierre et de son premier devoir : confirmer ses frères et sœurs dans la foi, a été perdu. Aujourd’hui, Pierre court le monde et joue les aumôniers d’organisations mondialistes : rien à voir avec sa véritable mission. Face à un tel spectacle, certains ont vu en Benoît XVI la dernière bouée de sauvetage à laquelle s’accrocher dans la mer démontée. Mais même Benoît XVI, malheureusement, est une expression de cet esprit du Concile qui a conduit à l’apostasie. Il a essayé, il est vrai, de défendre la Tradition, mais son adhésion au Concile, et l’idée que les dérives provenaient d’une lecture déformée du Concile et non du Concile lui-même, font de lui un participant au désastre [!!!]. Je suis désolé de le dire, car à bien des égards, j’avais beaucoup d’estime pour le théologien Ratzinger et pour le pape Ratzinger, mais c’est la réalité, aussi désagréable soit-elle.

Benoît XVI a écouté le cri des fidèles qui voulaient que Jean-Paul II soit « santo subito ». François fera-t-il pareil?

Je ne pense pas. François agit au niveau politique. Chaque choix qu’il fait est idéologique et il est difficile de voir quel intérêt il aurait maintenant à procéder à une canonisation de Ratzinger. Benoît XVI a agi de la sorte parce qu’il avait été le principal collaborateur de Jean-Paul II et qu’il entretenait avec lui une relation très spéciale. François, en revanche, au-delà des sourires et des phrases sur son « grand-père sage », a toujours souffert de la présence de Benoît XVI et de l’allongement de l’ombre de Ratzinger sur son règne.

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