Entre souvenirs personnels et hommage au grand théologien, une interview très émouvante, qui restitue le vrai visage du Saint-Père. Michael Hesemann, nous l’avons croisé à plusieurs reprises dans ces pages, notamment pour avoir co-écrit avec Georg Ratzinger la biographie « Mon frère le Pape » (un document incontournable pour les historiens de demain). Ici, il a une formule heureuse à l’intention des conservateurs qui reprochent à Benoît XVI (et même, vont jusqu’à le détester) d’avoir été un acteur de premier plan du « funeste » concile. C’est cette formule-choc qui donne son titre à l’article de Luisella Scosatti:

A propos de Michael Hesemann:

« Benoît XVI a arraché le Concile aux griffes des modernistes »

Luisella Scrosatti
lanuovabq.it/it/benedetto-xvi-ha-strappato-il-concilio-dalle-grinfie-dei-modernisti

Ratzinger a corrigé les erreurs et déjoué les tentatives des modernistes de falsifier Vatican II en contrant « leur herméneutique de la rupture par son herméneutique de la continuité ». La plupart des théologiens allemands le détestent aussi parce que Benoît XVI a « exigé une démondanisation de l’Église ». La NBQ interroge l’historien Michael Hesemann, ami personnel de Ratzinger.

Historien, auteur de nombreuses publications à caractère archéologique – parmi lesquelles, traduits en italien, Titulus Crucis e Testimoni del Golgota – Michael Hesemann a été un grand ami et admirateur de Benoît XVI. La NBQ l’a interviewé.

Dr Hesemann, quand avez-vous rencontré Joseph Ratzinger pour la première fois ?

C’était en 1999 ; je venais de publier mon étude sur l’inscription de la Croix de Jésus : Ratzinger l’a suivie avec grand intérêt. Nous sommes donc restés en contact. Lorsque Jean-Paul II est décédé, j’ai été profondément touché par son homélie lors de la messe des funérailles. Je devais écrire une biographie du pape polonais pour un éditeur allemand et je lui ai demandé la permission de l’imprimer, ce qu’il m’a accordé. Pour la Journée mondiale de la jeunesse à Cologne en 2005, j’ai écrit ma première biographie « Benoît » pour les jeunes lecteurs. En 2009, je suis devenu membre fondateur de Deutschland pro Papa, un mouvement qui s’est battu pour une juste appréciation de son pontificat dans les médias et a contribué à préparer sa visite en Allemagne en 2011. Chaque année, il me recevait en audience pour que je l’informe de mon travail et de mes derniers livres.

Et puis, une autre biographie curieuse.

En 2011, j’ai publié Mon frère, le pape, avec son frère Georg, avec qui je suis resté ami jusqu’à sa mort en 2020 ; puis j’ai édité ses discours lors de son voyage en Allemagne. À chaque fois, il m’a donné envie d’écrire de nouveaux livres et c’est uniquement grâce à lui que je suis ce que je suis aujourd’hui. Nous sommes restés en contact même après sa démission en 2013 ; j’ai continué à lui rendre visite chaque année, la dernière fois le 10 décembre 2022, trois semaines seulement avant sa mort. Je puiserai dans ces rencontres, dans sa sagesse et sa bonté, pour le reste de ma vie. À chaque fois, j’avais l’impression d’avoir rencontré un saint.

Des voix autorisées commencent à s’élever pour que Benoît XVI soit déclaré docteur de l’Église. Le cardinal Müller le considère même comme un « Augustinus redivivus ».

C’est absolument justifié. J’ai eu la même pensée quand je lui ai offert un portrait d’Augustin pour son 95e anniversaire [voir photo ; c’est la dernière photo avec le pape émérite vivant]. Il est le seul théologien du XXe siècle à avoir eu la stature d’un docteur de l’Église. Rien que sa trilogie Jésus de Nazareth transmettra la vie et le message de Jésus aux générations futures avec une profondeur et une beauté historiquement uniques. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelait aussi le « Mozart de la théologie », en raison de la beauté, de l’élégance et de la clarté de son langage, dans lequel il exprimait la profondeur et l’ampleur de sa pensée. Avec sa théologie, l’Église peut surmonter sa crise, qui est avant tout une crise de la foi. Il faut juste réaliser le trésor qu’il a laissé pour nous tous.

Qu’est-ce que ce court mais extraordinaire pontificat a apporté dans le travail de l’ « Église post-conciliaire » ?

Il a arraché le Concile – qui était aussi « son » Concile et dont il était l’un des protagonistes – aux griffes des modernistes et a opposé à leur herméneutique de la rupture son herméneutique de la continuité. Le Concile n’a pas été une révolution qui a jeté tout ce qui était ancien par-dessus bord, mais une tentative de traduire la vérité révélée, le trésor de la foi de l’Église, dans un langage moderne. Le premier père conciliaire fut le pape Pie XII, dont les sermons, les discours et les encycliques ont contribué à préparer le Concile, un fait qui, à lui seul, conduit à considérer l’idée d’une rupture comme une absurdité. Malheureusement, certains des textes du Concile ont été dilués par la suite et certaines ambiguïtés sont devenues une porte d’entrée pour les aventuriers théologiques qui se sont référés plus tard à « l’esprit du Concile » parce qu’ils n’avaient pas le soutien des textes du Concile. Benoît XVI a corrigé ces erreurs et ces déviations malencontreuses avec une clarté unique. Cela inclut également le fait qu’il a levé l’interdiction absurde de la messe tridentine, car ce qui avait été bon, juste et saint pendant des siècles ne pouvait pas soudainement être mauvais.

Racontez-nous ce qui s’est passé à l’occasion du voyage de Benoît XVI en Espagne.

En 2003, j’avais publié une étude sur la relique du « Santo Caliz », le calice de Jésus vénéré aujourd’hui dans la cathédrale de Valence. Lorsque l’on a appris que Benoît XVI se rendrait à Valence pour la Rencontre mondiale des familles en juillet 2006, j’ai obtenu une audience et j’ai informé le pape du contexte de la vénération de cette relique et des indices de son authenticité. Il fut tellement impressionné qu’il demanda à pouvoir consacrer avec ce calice à Valence, en utilisant l’ancien Canon romain, qui était autrefois prononcé par les Papes, qui avec l’expression « et hunc praeclarum calicem« , consacraient précisément « ce glorieux calice ». C’était un signe merveilleux de la continuité de la tradition apostolique et un aperçu des premiers jours de l’Église.

Avez-vous fait part de vos recherches historico-archéologiques à Benoît XVI?

Oui, plusieurs fois, car elles l’intéressaient vraiment, ne serait-ce que parce qu’elles confirment l’authenticité historique des Évangiles et de la Tradition apostolique. Avec mes livres, en fait, j’ai fourni une sorte de commentaire archéologique sur les initiatives papales telles que l’Année paulinienne, dans laquelle Benoît XVI a eu recours à l’archéologie pour confirmer la tradition paulinienne dans le cas spécifique de la recherche du tombeau de Paul. Ou encore la trilogie Jésus de Nazareth, à laquelle j’ai simultanément ajouté un livre consacré à l’état actuel de la recherche archéologique sur Jésus. Du reste, en devenant un homme, Jésus a travaillé dans une région géographique spécifique, à une époque spécifique. Aujourd’hui, grâce à l’archéologie, nous pouvons dire que les évangélistes connaissaient cette région et cette époque comme seuls leurs contemporains pouvaient le faire. Les évangiles respirent le zeitgeist [l’esprit du temps] et la saveur locale de la Judée du 1er siècle.

Comment Benoît XVI est-il réellement « perçu » en Allemagne ? Il semble être un signe de contradiction là plus qu’ailleurs.

Vous savez, les Allemands sont un peuple de rabat-joie. Au lieu d’être fiers du plus grand penseur allemand de l’histoire, comme les Polonais le sont, à juste titre, de « leur » Jean-Paul II, ils recherchent désespérément la « tache * », quelque chose pour le démolir. L’adage biblique « Nul n’est prophète dans son propre pays » ne s’applique nulle part mieux que dans ce pays. Cela est bien sûr dû au fait que la plupart des théologiens allemands – et malheureusement aussi la plupart des évêques – veulent s’attirer les faveurs non seulement des protestants, mais aussi du gouvernement fédéral qui, après tout, paie leurs salaires princiers – une conséquence du Concordat avec le Reich d’Adolf Hitler de 1933. Et c’est pourquoi ils sont hypermodernistes. Il n’y a qu’en Allemagne qu’est possible une construction aussi absconse que la « voie synodale », qui est suicidaire pour l’Église et sacrifie tout concept de vérité au Moloch du relativisme. Benoît XVI, en revanche, a toujours défendu l’Église de la vérité révélée, la beauté de la foi traditionnelle ; déjà en 2005, il avait mis en garde contre la « dictature du relativisme » : cette homélie avait fait scandale en Allemagne. Il a appelé à une démondanisation de l’Église, face à la sécularisation de la plupart des évêques et des théologiens et à leur adaptation inconditionnelle à l’esprit du temps.

Racontez-nous une dernière anecdote.

Volontiers. Il y a cinq ans et demi, en mai 2017, lorsque j’ai pu lui rendre à nouveau visite, je l’ai félicité pour son 90e anniversaire : « Saint-Père, je vous souhaite de nombreuses années heureuses, en bonne santé et pleines de créativité ». Dès que j’ai prononcé ces mots, son index s’est levé : « Ne me souhaitez pas cela, Monsier Hesemann! ». Je me suis arrêté, stupéfait, et j’ai balbutié, car je ne trouvais rien de mieux : « Mais Saint-Père, vous avez de la chance, ici, au milieu de ces magnifiques jardins du Vatican ». Puis le doigt du Pape a pointé droit vers le haut : « Le paradis est bien plus beau ! » a-t-il dit, avec une grande conviction. Il a passé ses dernières années avec un pied au Paradis, pour ainsi dire. Il supportait que le Seigneur ne veuille pas encore le prendre, mais il désirait ardemment rencontrer le Christ, « le visage humain de Dieu », comme il l’appelait, et qu’il avait désiré toute sa vie. Pour lui, c’était plus son ami bien-aimé que son Juge céleste : voilà comment vit, pense et meurt un saint, qui est un modèle pour nous tous !


Un « inédit » pour nos lecteurs.

Benoît XVI et la dernière apparition de Sievernich [nous discuterons plus en détail de ces apparitions avec Hesemann lui-même, dans une autre interview]

Si nous accordons foi à Manuela Strack, qui affirme que la Vierge lui est apparue à Sievernich, près de Cologne, entre 2000 et 2005, et que le Seigneur lui apparaît sous la forme de l’Enfant Jésus de Prague depuis 2018, Benoît XVI est au paradis. Elle affirme l’avoir vu lors de l’apparition du 6 janvier, tout de blanc vêtu, entouré de lumière. Elle dit qu’il a dit : « Dites à tout le monde… que je suis avec le Seigneur ». Le Seigneur est ma maison céleste. Je prie pour l’Église catholique. Veuillez prier beaucoup pour l’Église catholique ».

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