Et après la grande tristesse causée par l’absence c’est pour Andrea Gagliarducci l’occasion d’une réflexion profonde et très belle, en particulier sur le défi qu’a représenté le récit de son pontificat pour le milieu de la communication, auquel il appartient. En ce sens, c’est aussi à ses collègues, qui n’ont pas compris Benoît XVI, qu’il s’adresse: le Saint-Père leur a fourni les bases d’un vrai journalisme catholique, la balle est désormais dans leur camp.

Je me permets une note personnelle. Au niveau de mon petit blog, je me reconnais bien dans son analyse. C’est vrai raconter Benoît XVI n’était (n’est) pas facile, dans la mesure où il est insaisissable pour la superficialité ambiante, il ne se prête pas au « copié-collé » (c’est plus vrai aujourd’hui qu’au début de son pontificat, pour de simples raisons technologiques), il vous oblige à aller au fond des choses, à étudier, à méditer – et je ne parle pas seulement des sujets de la foi. Bref, il vous fait « grandir », mais ce développement n’est ni immédiat, ni gratuit. Il se mérite.

Benoît XVI, un mois après

Andrea Gagiarducci
vaticanreporting.blogspot.com
1er février 2023

Trente jours ont passé depuis la mort de Benoît XVI, et le monde semble déjà être à la fois le même et différent. Le même, parce que c’est un monde qui continue dans son rythme, parce que c’est toujours comme cela, parce que cela ne s’arrête jamais. Et différent, parce que finalement nous étions habitués à la présence de Benoît XVI là, sur la montagne, avec sa prière d’intercession, avec sa présence pour nous rassurer que, non, l’Église ne s’effondrerait pas.

Mais trente jours plus tard, on se dit aussi que Benoît XVI a construit cette sécurité de présence. Il l’a fait jour après jour, avec l’humilité de celui qui ne veut rien obtenir et tout donner. Il l’a fait en plaçant toujours et dans tous les cas Jésus-Christ au premier rang. Il l’a fait avec la seule foi, cette foi qui lui a permis de surmonter même les obstacles insurmontables de la timidité. Et il le faisait avec un amour pur pour l’autre, cet amour qui le poussait à toujours essayer d’étonner ses étudiants, car tant qu’ils prenaient des notes, racontait-il, tout allait bien, mais lorsqu’ils retiraient leur stylo du papier et regardaient, ils étaient vraiment étonnés.

Qu’a donné Benoît XVI à la communication religieuse ? Comment son pontificat et son pontificat émérite ont-ils façonné un nouveau type de journalisme religieux ? Ce sont des questions importantes, auxquelles, pour l’instant, seules des réponses partielles peuvent être apportées. Voici les miennes.

  • Benoît XVI a changé le journalisme religieux parce qu’il a obligé les journalistes à aller au-delà des simples discours. Ses discours, ses homélies, ajoutaient simplement une quatrième dimension, celle de la profondeur. Mais c’était une dimension tellement ancrée dans les trois autres, au point que résumer ce qu’il disait était difficile, voire presque impossible. Parce que, comme je l’ai toujours dit, Benoît XVI écrivait des discours comme on construit une cathédrale, et tout était relié et logique à la fois. Par conséquent, pour pouvoir faire une synthèse, on était obligé d’élargir son regard.
  • Toutefois, élargir son regard n’est pas à la portée de tous. Benoît XVI a obligé les journalistes à sortir de leur zone de confort. Il était plus difficile pour ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui de démonter son raisonnement, il était ardu pour ceux qui le soutenaient de ne pas banaliser ses arguments. Par amour ou par haine, il fallait s’élever à quelque chose de plus grand, à un autre raisonnement d’ensemble. Benoît XVI était sincère, et donc l’hypocrisie n’était pas permise. Au contraire, celle-ci était facilement démasquée. Aussi parce que, au fond, on peut immédiatement voir si l’on croit à ce que l’on écrit.
  • Par son authenticité, Benoît XVI obligeait tout le monde à être authentique. Ce n’est pas anodin. L’authenticité d’une pensée, d’une position, d’un choix découle également d’une réflexion profonde et d’une décision transparente et linéaire. Mais les décisions ne sont souvent pas transparentes et linéaires, elles empruntent des chemins escarpés et sinueux. On ne veut pas toujours l’admettre. Pourtant, suivre Benoît XVI obligeait à l’admettre.
  • Cela obligeait à l’admettre car Benoît XVI n’était pas seulement authentique, il ne se souciait pas de l’opinion publique. Sa seule pensée était pour l’Église, et avec cette pensée, il a pu se mettre de côté, se faire petit et humble et laisser parler le Christ, l’Évangile, la théologie. En étant toujours un pas en arrière, il était deux pas en avant. En mettant l’Église au premier plan, il était un révolutionnaire. Pourtant, on le qualifiait de conservateur. Pourtant, on l’appelait le « berger allemand ». Mais il avait une âme tellement pure qu’il était réfractaire à toute étiquette. Une personne comme Benoît XVI était rare.
  • Elle était rare parce que Benoît XVI était en général de bonne foi. Non pas qu’il fût superficiel, mais dans certains cas, il était surpris que ses erreurs puissent être manipulées d’une manière ou d’une autre, qu’il y ait des gens qui puissent profiter de sa proximité [on pense ^à l’affaire Williamson, ndt]. Benoît XVI aimait les gens, quoi qu’on en ait dit. Il aimait les gens parce qu’il aimait Dieu. Les deux ne pouvaient être séparés.
  • En ce sens, on a eu affaire à un pontificat qui a été un gigantesque effort de catéchèse, à commencer par l’homélie du début du pontificat, toute centrée sur la signification du pallium et des symboles du pontificat. La catéchèse pose cependant un autre problème aux communicants. La catéchèse parle avec des symboles. Les symboles doivent être étudiés et expliqués. Encore une fois, cette dimension de profondeur, si difficile aujourd’hui.
  • Parce que la profondeur implique de l’études et du temps, et – à une époque aussi rapide, avec des médias nouveaux et extrêmement rapides – prendre le temps de l’étude signifie avoir de l’amour pour ce que l’on fait. Ici, avec Benoît XVI, on était obligé d’aimer l’Église, ou du moins d’aimer la raconter. Il fallait étudier car le livre était son moyen de communication préféré, et le livre devait être lu dans son intégralité, contextualisé, compris. Il fallait savoir écouter car, tout comme il faut une oreille musicale pour bien comprendre un morceau, il faut une oreille culturelle pour bien comprendre Benoît. Les raisonnements de Benoît XVI sur la musique devraient éventuellement être relu et appliqué à ses études et à ses livres. On serait surpris par les assonances.
  • Pour écouter, il faut ralentir. Benoît XVI requérait de la lenteur, il demandait aussi un « présupposé de sympathie » pour lire ce qu’il disait, pensait, écrivait, parce qu’il voulait que tout soit ouvert dans un discours non polémique, mais dans un débat sain. Il n’y avait aucune logique de confrontation, seulement un désir de savoir. Et cela a été une leçon et une frustration pour les journalistes. Il n’y avait pas de scandales, il n’y avait pas de litiges, mais il y avait des débats
  • Il y avait des débats aussi parce que Benoît XVI n’avait jamais voulu créer une école, mais avait préféré que ses étudiants travaillent ensemble. Le Ratzinger Schulerkreis s’était formé spontanément autour de lui, et le maître de ce cercle n’a jamais imposé ses idées à ses collègues. Ratzinger était un maître de vie précisément parce qu’il ne voulait pas être un maître de vie. Il a soustrait plutôt qu’ajouté. Et, quand il a ajouté, il l’a fait en priant et pour prier.

En résumé, l’information religieuse avec Benoît XVI a profondément changé. Elle a mis fin aux récits de « fin du monde » ou de « fin du pontificat » qui avaient ponctué la maladie de Jean-Paul II, et tenté de délégitimer le pape de toutes parts, sans y réussir. Entre-temps, la façon de lire ses discours, d’interpréter ses mots, de comprendre ses gestes a changé. Benoît XVI s’est communiqué avec authenticité, ce qui a mis en crise tous les schémas. Il a parfois commis des erreurs de gouvernement, mais il a toujours admis que ce n’était pas son point fort.

Il y a eu des débats aussi parce que Benoît XVI n’avait jamais voulu créer une école, mais avait préféré que ses étudiants travaillent ensemble. Le Ratzinger Schulerkreis s’était formé spontanément autour de lui, et le maître de ce cercle n’a jamais imposé ses idées à ses collègues. Ratzinger était un maître de la vie précisément parce qu’il ne voulait pas être un maître de la vie. Il a soustrait plutôt qu’ajouté. Et, quand il a ajouté, il l’a fait en priant et pour prier.

En fin de compte, Benoît XVI a enseigné, par sa vie, que les préjugés ne sont que des préjugés, et que les jugements sont toujours erronés s’ils sont faits avec malice. Il a forcé tout le monde à se remettre en question, il a montré que tout être humain est beaucoup de choses, et que Benoît XVI était énormément de choses, et qu’aucun d’entre eux ne peut être étiqueté avec des clichés.

Aujourd’hui, après Benoît XVI, il y a peut-être deux catégories de journalistes d’information religieuse : ceux qui se sont abreuvés de la pensée de Benoît XVI, et ont compris que rien dans l’Église ne naît par hasard ou de rien ; et ceux qui sont allés au-delà, et voudraient une Église plus humaine, plus présente dans le débat public, mais moins divine.

Pourtant, comme l’a dit Joseph Ratzinger, nous n’avons pas besoin d’une Église plus humaine, mais d’une Église plus divine.

Si le journalisme catholique apprend un jour à renverser vraiment la perspective, et à abandonner l’approche de type marketing qui semble le dominer aujourd’hui, alors il pourra vraiment être un journalisme prophétique.

Benoît XVI a tracé la voie à suivre. C’est à nous de la parcourir.

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