Nico Spuntoni revient sur les circonstances qui ont conduit Benoît XVI à renoncer au ministère pétrinien, soulignant que le pontificat de François a consommé une vraie rupture. « Les origines de la démission de Benoît XVI et de l’élection de François – explique-t-il – se trouvent dans les jours qui ont suivi la mort de Wojtyła »: 8 ans plus tard, lors du conclave de 2013, les cardinaux rescapés du conclave qui l’avait élu Pape Benoît XVI, et ceux créés par lui, ont voulu tourner la page et choisi l’homme qui en 2005 « avait intercepté le consensus de ceux qui ne voulaient pas voir le préfet de la CDF revêtu de blanc ».

Dix ans depuis son renoncement. Comment Ratzinger a « renversé » le conclave qui l’a élu

Nico Spuntoni
Il Giornale
12 février 2023

Les origines de la démission de Benoît XVI et de l’élection de François se trouvent dans les jours qui ont suivi la mort de Wojtyła. Voici pourquoi

Hier a marqué le dixième anniversaire de la Declaratio par laquelle Benoît XVI a annoncé son intention de renoncer au ministère pétrinien. Une décision mûrie après avoir réalisé en conscience qu’il n’avait plus la force physique d’être pape de façon adéquate. À cepropos, ce que le cardinal néerlandais Willem Jacobus Eijk a dit au magazine Il Timone à propos d’une audience privée qui s’est tenue le 8 février 2013 est révélateur : « Lorsque je suis entré dans la salle de réception, je suis resté sous le choc: le Pape avait l’air pâle et flétri et devait s’accrocher à la table pour rester debout. La pensée m’a traversé l’esprit : ‘Comment quelqu’un dans une condition physique aussi précaire peut-il diriger l’Église mondiale ?‘ « .

Contre toute attente, libre des devoirs du gouvernement de l’Église, Joseph Ratzinger a vécu presque une décennie entière après sa démission. Après la publication du livre Nient’altro che la verità, nous avons la confirmation de la personne la plus proche de lui, Mgr Georg Gänswein, que ces années n’ont pas été sans souffrance ni amertume pour lui. Il était probablement inévitable qu’il en soit ainsi, car Jospeh Ratzinger a été l’un des très rares ex-régnants à assister à la naissance d’un nouveau pontificat et donc aussi à la fin du sien. De plus, la succession a été surprenante – comme il l’a lui-même révélé dans le livre Dernières conversations écrit avec Peter Seewald et repris également dans le texte de Gänswein – et, même dans le respect de la figure du prédécesseur, elle ne peut être considérée comme étant uniquement sous le signe de la continuité comme ce fut le cas en 2005.

Les deux conclaves

Alors que Ratzinger avait été le principal collaborateur de Jean-Paul II, en 2013, Jorge Mario Bergoglio n’est pas entré dans la chapelle Sixtine avec les galons de fidèle du pape démissionnaire. L’Argentin n’avait pas été appelé à diriger des congrégations curiales pendant les presque huit années de Benoît XVI et avait commencé son mandat d’archevêque de Buenos Aires à l’époque de Jean-Paul II, qui l’avait également créé cardinal. Non seulement Bergoglio ne se comptait donc pas parmi les Ratzingeriens, mais les cardinaux vétérans de 2005 se souviennent encore de lui comme du principal concurrent de Ratzinger lors du dernier conclave. En fait, toutes les reconstitutions de ces jours qui ont suivi les funérailles de Jean-Paul II s’accordent à dire que le jésuite argentin était à l’époque le candidat de ceux qui ne voulaient pas que le favori allemand monte sur le trône papal.

À la lumière des résultats du conclave de 2005, il était donc évident que Ratzinger et Bergoglio représentaient deux visions différentes de la manière de conduire l’Église dans le nouveau millénaire, même s’ils partageaient une même fidélité à la doctrine et à la Tradition de l’Église [vraiment????]. Ce n’est pas un crime de l’affirmer, mais un constat qui tient compte aussi du fait que dans les congrégations générales et les conclaves, il n’y a pas de loterie de noms mais plutôt une confrontation programmatique. L’Église, en revanche, a toujours été le lieu par excellence où se conjuguent unité et pluralité.

La surprise

En 2013, les vétérans du conclave qui avait élu Ratzinger et les nouveaux cardinaux créés par lui, contre toute attente, ont choisi comme successeur un homme non identifiable à ce pontificat et qui, presque huit ans plus tôt, avait intercepté le consensus de ceux qui ne voulaient pas voir celui qui était alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi vêtu de blanc. Contrairement à ce que l’on voit dans le film « Les deux papes », cet aspect confirme le désintérêt pour le pouvoir qui a toujours marqué la vie de Ratzinger. Non seulement le renoncement, mais aussi sa volonté de fer de ne pas conditionner la succession de quelque manière que ce soit.

« D’après les maigres commentaires que le pape émérite a laissé échapper dans les jours qui ont suivi, révèle Mgr Gänswein dans son livre, j’ai pu comprendre que le nom de Jorge Mario Bergoglio lui est arrivé comme inattendu. Je me suis dit, en me rappelant que des rumeurs attribuées à des cardinaux présents au conclave de 2005 avaient cité l’archevêque de Buenos Aires comme protagoniste de ce moment, que Benoît XVI s’était peut-être rendu compte que les années avaient passé aussi pour son frère argentin ».

D’autre part, c’est Ratzinger lui-même, en tant que cardinal, qui avait expliqué que pendant le conclave, l’Esprit Saint « laisse beaucoup d’espace, beaucoup de liberté, sans nous abandonner complètement ».

Deux pontificats légitimement différents

La renonciation de 2013 a déterminé dans tous les sens du terme la fin du pontificat bénédictin. Mais la survie de l’ancien pape (à laquelle s’ajoutait son désir de s’appeler émérite) a provoqué une confrontation constante et même une confusion pendant près de dix ans.

Bien qu’étant Pape régnant dans une situation sans précédent, François est apparu dès le départ déterminé à poursuivre son programme de gouvernement dans l’Église, tout en maintenant un fort respect formel pour son prédécesseur, mais sans cacher son désir de tourner une nouvelle page.

Le décisionnisme de François a contribué, d’une certaine manière, à reléguer le pontificat de Benoît XVI à l’histoire, malgré l’ambiguïté de sa présence encore au Vatican. En même temps, la ligne de François a aussi accru chez tous les prélats et les fidèles qui ont eu du mal à se sentir à l’aise avec le style du nouveau pape, la nostalgie de ce pontificat conclu de façon traumatique. En résumé, on peut ne pas être d’accord avec la manière de gouverner de François, mais on ne peut pas remettre en cause sa légitimité à agir pleinement en tant que pape.

Le renoncement comme constante

Le nouveau pontificat ne devait pas être une « photocopie » du précédent. Au contraire, l’élection d’un profil considéré comme une alternative à celui de Ratzinger en 2005 a inévitablement débouché sur un pontificat très différent de celui de Benoît XVI.

Les cardinaux réunis en conclave en 2013, créés par Jean-Paul II et Benoît XVI, auraient dû en être parfaitement conscients dans la chapelle Sixtine lorsqu’ils ont fait converger la majorité des voix vers l’archevêque de Buenos Aires. Cette page surprenante de l’histoire de l’Église a été rendue possible par un renoncement tout aussi surprenant d’il y a dix ans. À l’époque, personne n’était habitué à voir un pape démissionner, tandis que ceux qui connaissaient Ratzinger savaient que prendre du recul par rapport aux positions de pouvoir avait toujours été une constante dans sa carrière ecclésiastique et universitaire. Avant son pontificat, il a présenté à plusieurs reprises à Jean-Paul II sa démission de son poste de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et a également quitté son poste prestigieux de professeur de théologie dogmatique à l’université de Tübingen.

Il est difficile de comprendre ce qui s’est passé en ces jours entre février et mars il y a dix ans – de l’annonce de la renonciation de Benoît XVI au ministère pétrinien à l’élection de François – sans remonter à ce conclave de 2005. On dit que Ratzinger, à un pas du quatrième tour de scrutin qui allait l’élire 264e successeur de Pierre, était déjà tenté par le « grand refus ». Pourtant, ce n’était pas une première pour lui. Déjà au moment de la mort de Paul VI en 1978, alors qu’il n’avait que 51 ans et qu’il était tout frais émoulu de la pourpre, le nom de celui qui était alors archevêque de Munich s’était retrouvé sur la liste des candidats à la papauté [c’est une information inédite!] aux côtés de celui, entre autres, d’Albino Luciani, l’homme qui serait plus tard élu sous le nom de Jean-Paul Ier.

Ce qui a été décisif pour le faire changer d’avis en 2005 – du moins d’après les témoignages – semble être une note qui lui a été envoyée peu avant, lors de la réunion des cardinaux, par l’Autrichien Christoph Schönborn, son ancien élève et cardinal. « Si le Seigneur te dit maintenant : ‘Suis-moi’, alors rappelle-toi ce que vous tu as prêché. Ne refuse pas ! » écrit l’archevêque de Vienne. Et Ratzinger l’a écouté, prononçant le fatidique « accepto » quelques heures plus tard dans la chapelle Sixtine. Et toujours lors du conclave de 2005, le nom de Bergoglio a fait son entrée dans le collège des cardinaux, se révélant capable de réunir un important consensus qui s’est avéré décisif presque huit ans plus tard.

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